D’EAUBONNE, Françoise. "Santé et pouvoir - l’exemple des « bombardiers de la santé » et de la clinique des Vinatiers à Lyon dans les années 1970"
Présentation aux Rencontres de Bieuzy, 2002. Compte-rendu de Ronald Creagh
médecine — thérapiepsychanalyseLes années 70-80 ont déjà pratiquement abordé bien des questions traitées dans cette rencontre : elles y étaient même monnaie courante. Ils avaient bien plus d’audace et d’esprit critique que ce dont on parle aujourd’hui
Dans les journées qui ont suivi mai 68 il y a eu un grand mouvement de tous ceux qui avaient exprimé des désirs et voyaient que ceux-ci n’étaient pas réalisés. Il ne suffisait plus de croire que le socialisme réaliserait tout.
Il y eut des débats sur l’éducation, etc. Et ces mouvements se sont développés en Allemagne plus qu’en France mais ils ont pris une grande intensité ici. Après mai 68, tout le monde était stupéfait de la rapidité de sa disparition : j’ai dit que c’était une source qui entre sous terre et ressortira. En effet tout a reparu après 71 avec l’antimilitarisme, le PHAR, le mouvement féministe. Une croissance spontanée et inimaginable est apparue. Et parmi tous ceux-ci, la question de la santé.
La question de la santé mentale a été mise en avant. La psychiatrie a donné naissance à des débats qui témoignaient d’une grande vitalité. L’antipsychiatrie est née en Allemagne avec beaucoup de force et d’efflorescence, notamment avec le SPK. C’était une théorisation et une praxis, regroupant des médecins, des patients, des psychiatrisés, parfois des internés qui remettaient en question ce qui les concernait directement. Ces mouvements ont été condamnés par la bande à Baader.
Il y avait des débats, notamment avec le professeur Huber : "Faire de l’analyse une arme". Ce livre exprime d’abord une théorie particulièrement propre au SPK, à savoir que la réalité est un mot, car c’est toute la société qui est malade. La société est une maladie.
Huber développait une thérapie qui ressemblait à une thérapie de groupe mais qui me semble moins convaincante, mais la théorisation et la documentation sur laquelle elle s’appuyait était extrêmement intéressante.
On les avait surnommé les bombardiers de la santé, à cause de leur connivence avec les bandes à Baader. C’était une erreur sémantique, il aurait fallu dire bombiste ; mais Huber passait pour un être dangereux, capable de fomenter des attentats. Or il est certain que beaucoup de grosses têtes de la psychiatrie n’ont pas eu à se flatter de l’action de ces groupes. L’hôpital psychiatrique des Vinatiers, vit le docteur psychiatre déclarant que la psychiatrie était une erreur et quittant la psychiatrie. Il fit un comité d’autogestion avec les malades des Vinatiers ; ils avaient flanqué certains docteurs à la porte et la clinique fut autogérée avec certains malades. Tout à coup se réveillaient, descendaient les étages, prenaient la parole, des gens considérés comme des autistes. Ce qui était assez spectaculaire. Dans la fièvre et la jubilation d’une espèce de mai 68 ils avaient retrouvé une certaine pratique des facultés qu’ils avaient perdue. Malheureusement, il n’y eut jamais de débat : on applaudissait sans critique ou on critiquait a priori.
Après la révolte des Vinatiers il y eut une série de faits spectaculaires de simili attentats et certains partirent pour le Liban. A Paris, le Dr. Huber a participé à différentes actions politiques et publié « je ne serai plus psychiatre ». Ce fut difficile à le pousser
Les critiques refusèrent de parler du livre mais il fut un grand succès. Le Dr Huber eut un procès fut sévèrement condamné et emprisonné. Les malades firent la grève de la faim.
Huber et ses acolytes furent relâchés et les théories de faire de la maladie une arme furent largement discutées à Paris. La théorie fit long feu, à cause des extravagances et dérives. La folie est parmi nous du Dr Jean Fretet est un livre brillant mais qui fut si mal reçu que depuis l’auteur n’a rien publié.