FRÉDÉRICK, Françoise. De l’exclusion à l’intégration. Le corps blessé
Rencontres de Bieuzy, 2002. "A notre santé"
médecine — thérapieFRÉDÉRICK, FrançoiseIl s’agit de personnes trisomiques qui doivent vivre leur corps. Le corps blessé pose les questions du corps intègre. C’est aussi un corps des désirs, qui est la volonté de vivre pleinement sa condition de sujet. Tout comme les « normaux ».
Ce projet, ces angoisses du manque, de la maladie, de la mort, le rêve de l’éternelle jeunesse, tout cela n’est pas nouveau. La mythologie antique lui avait déjà donné corps, par exemple la mythologie grecque, avec l’ambroisie qui donne la jeunesse éternelle. Il y a aussi les Adonis tués dans la fleur de leur jeunesse.
C’est bien la question du pouvoir et du monopole absolu des dieux qui tiennent à le garder.
Aphrodite, patronne des fiancés mais aussi des prostituées. Il y a d’autres exemples, mais ils nous éclairent sur le mythe qui sert à imaginer que l’être humain peut vaincre la mort. Les recherches actuelles sur le clonage en sont la vaniteuse illustration.
On conclut que le handicap portait malheur et on le rejetait du champ de l’humanité, avec de nombreuses pratiques d’exclusion, notamment au cours de la dernière guerre. Un grain de légèreté en trop attire des châtiments inextricables.
Ces angoisses ont à voir avec le risque de ne plus pouvoir aimer, qui n’est pas lié à l’esthétique du corps, mais le sentiment de l’identité, la légitime estime de soi est handicapée.
Qu’est-ce qu’un groupe de paroles peut faire ? L’objectif est d’aider les handicapés à se reconnaître, à penser, à franchir les interdits parentaux, à se reconnaître comme capables de jouer, de nouer des relations. De l’incertitude intérieure qui est la leur, ils tentent de s’approprier leur pensée et non de penser en termes de dépendance ou de croyance.
On ne veut rien savoir de ce que celles-ci ont à dire : car ces croyances magiques, économistes, religieuses etc. nient la qualité d’être au profit de la quantité d’avoir. Les rapports entre sujets sont traités comme des objets.
Les malades expriment combien ils souffrent d’avoir été traités en objets. Ils ont dû renoncer au langage dans le sens d’une communication, au savoir.
Comment fonctionne un groupe de parole ? Chaque groupe de 10 personnes fonctionne en séance tous les quinze jours. Certains ont émis le désir de noter les questions qu’ils veulent poser. Ce temps leur appartient, ils ont leur réunion. C’est un espace potentiel permettant des repères communs, fonctionnant sur des critères de liberté de parole. Elles excluent tout jugement. La notion de responsabilité, de partage de règles de fonctionnement du groupe ont été établis en commun.
Les participants peuvent expliciter leur agressivité, leur haine, leur préférence, dire ce qui est source de difficulté pour eux. Ils ont peu à peu découvert la nécessité de s’écouter, chacun est devenu garant de l’existence de ce groupe de parole.
Ce groupe de parole est catalyseur de ce passage à l’acte. Il est également un temps où la convergence des questionnements leur permet de reconnaître qu’ils ne sont pas seuls, que ces douleurs ne leur appartiennent pas isolément, mais ce que chacun pense de ce qu’il voit, vit ou ressent.
Des avis très divers sur la vie quotidienne, les événements familiaux, de société, de tout ce qu’ils reçoivent par le journal, etc. peuvent être demandés. Des questions intimes individuelles sont prises en considération et réinjectées dans une dimension plus globale de la vie. On peut en reparler plus longuement sur un plan individuel.
Ils sont soumis aux mêmes difficultés relationnelles que tout un chacun, et amplifiées par leurs difficultés. D’où leur beaucoup plus grande qualité d’écoute. Leur parole est authentique. Lorsque quelqu’un exprime sa difficulté d’exister, d’impératifs de vie du groupe insupportables, fréquemment un ou quelques autres manifestent leur empathie mais sans plainte. Ensemble ils trouvent des parades à l’angoisse et on trouve souvent une éclosion des conflits latents, des points nouveaux, des repères nouveaux, des modes nouveaux de participation au groupe prennent valeur de convention. Ainsi chacun révèle ses spécificités. Evidemment, cela peut être contradictoire. Ces adultes déficients intellectuels disent que ce lieu est un lieu pour exprimer, penser vivre, s’approprier leur langage et l’utiliser dans leur vie quotidienne pour porter leurs besoins et l’expression de leurs désirs. Ceci a pour effet de les amener à une critique de leur environnement familial et social. Cette critique leur apparaît comme légitime, saine et nécessaire. A nous qui les accompagnons et à tous ceux ici présents d’oser les entendre dans leur rapport à la solitude, à la maladie, au sens de vivre, au lieu du non sens de nos institutions.