STEVENS, Annick. "Droit, nature et organisation politique d’après Aristote"

droitARISTOTE (c. 385 - 322 av. J.-C.) Philosophe grecSTEVENS, Annick

La conception aristotélicienne du droit naturel est particulièrement intéressante parce qu’elle ne se réclame d’aucune entité transcendante et qu’elle parvient à se maintenir en équilibre entre l’universalisme et les différences, de même qu’entre le fait établi et l’idéal à atteindre. En ce sens, elle me semble souvent proche de la pensée politique anarchiste, même si, à certains égards, Aristote est irrémédiablement prisonnier de son époque.

Je voudrais examiner sa réflexion sur deux questions qui suscitent toujours actuellement le débat :
sur quoi peut-on fonder un droit universel qui dépasse les droits particuliers de chaque société ?
faut-il accorder tous les droits inconditionnellement à tous ou les subordonner à certaines exigences ?
L’enjeu de ces questions, pour nous anarchistes, est énorme. En effet, si la tendance relativiste du droit l’emporte sur la revendication universelle, notre effort d’émancipation de tous les humains devient une colonisation culturelle ; mais, d’autre part, nous ne pouvons cesser de dénoncer le recours à une entité transcendante, formelle et fabriquée, telle que « l’Humanité » dont se réclament les tenants de l’universalité des droits humains.
La deuxième question est ravivée actuellement par la demande d’extension des droits humains à certains animaux, demande qui repose sur l’abandon du critère formel d’appartenance à une espèce, au profit du critère pragmatique de possession de certaines facultés. Est-il juste, demandent par exemple les antispécistes, de protéger un humain gravement handicapé mental et de torturer en laboratoire un chimpanzé manifestement pourvu de capacités intellectuelles et affectives plus grandes que lui ? La question ne peut pas être évacuée par la simple mention de l’utilisation totalitaire de ce genre de raisonnement.