LÖWY, Michael. "Franz Kafka et le socialisme libertaire"

KAFKA, Franz (Prague 1883/07/03 - Vienne 1924/06/03). Écrivain, philosopheLÖWY, Michael (1938-…)KACHA, MichelTchéquie LÖWY, Michael (1938 - …)

Il va de soi que l’on ne peut réduire l’œuvre de Kafka à une doctrine politique, quelle qu’elle soit. Kafka ne produit pas des discours, mais crée des individus et des situations, et exprime dans son œuvre des sentiments, des attitudes, une Stimmung. Le monde symbolique de la littérature est irréductible au monde discursif des idéologies : l’œuvre littéraire n’est pas un système conceptuel abstrait, à l’instar des doctrines philosophiques ou politiques, mais création d’un univers imaginaire concret de personnages et de choses. [1]
Cependant, cela n’interdit pas d’explorer les passages, les passerelles, les liens souterrains entre son esprit antiautoritaire, sa sensibilité libertaire, ses sympathies pour l’anarchisme d’une part, et ses principaux écrits de l’autre. Ces passages nous ouvrent un accès privilégié à ce qu’on pourrait appeler le paysage interne de l’œuvre de Kafka.
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Les inclinations socialistes de Kafka se sont manifestées très tôt : selon son ami de jeunesse et camarade de lycée Hugo Bergmann, leur amitié s’était quelque peu refroidie pendant la dernière année scolaire (1900-1901), parce que " son socialisme et mon sionisme étaient trop forts " [2]. De quel socialisme s’agit-il ?
Trois témoignages de contemporains tchèques documentent la sympathie que l’écrivain pragois portait aux socialistes libertaires tchèques et sa participation à certaines de leurs activités. Au début des années 30, lors de ses recherches en vue de la rédaction du roman Stefan Rott (1931), Max Brod recueillit des renseignements d’un des fondateurs du mouvement anarchiste tchèque, Michal Kacha. Ils concernent la présence de Kafka aux réunions du Klub Mladych (club des Jeunes), organisation libertaire, antimilitariste et anticléricale, fréquentée par plusieurs écrivains tchèques (S. Neumann, Mares, Hasek). Intégrant ces informations - qui lui furent " confirmées d’autre part " -, Brod note dans son roman que Kafka " assistait souvent, en silence, aux séances du cercle. Kacha le trouvait sympathique et l’appelait "Klidas", ce qu’on pourrait traduire par "le taciturne" ou plus exactement suivant l’argot tchèque par ’colosse de silence’ ". Max Brod n’a jamais mis en question la véracité de ce témoignage, qu’il citera à nouveau dans sa biographie de Kafka. [3]
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[1Cf. Lucien Goldmann, "Matérialisme dialectique et histoire de la littérature", Recherches dialectiques, Paris, Gallimard, 1959, pp. 45-64.

[2Hugo Bergmann, " Erinnerungen an Franz Kafka ", in Franz Kafka Exhibition (catalogue), The Jewish National and University Library, Jérusalem, 1969, p. 8.

[3Max Brod, Franz Kafka, pp. 135-136.