SAULIERE, Jean René (alias André ARRU). Témoignage
(Fait à Marseille le 20 août 1970 )
Guerre mondiale (1939-1945). RésistanceARRU, André (pseud. de Jean René SAULIÈRE, 1911-1999)Marseille et région du sud-est (France)Les Amis d’André Arru disposent d’un site, visitez le !
Pacifiste et anarchiste militant, J’avais décidé, quelques années avant la mobilisation de 1939, de refuser toute guerre. Aux motifs connus des pacifistes et des révolutionnaires qui considèrent la guerre comme une solution pire que le mal que l’on prétend vouloir combattre, il faut ajouter mon caractère qui empochait toute concession que ce soit en faveur de la facilité ou de la famille. Mes actes devaient affirmer la sincérité de ma propagande passée. J’en étais conscient et il ne m’est même pas venu à l’idée de reculer. Il était aussi bien entendu que mon refus ne s’accompagnait nullement d’une soumission volontaire à l’arrestation qui devait s’ensuivre. Mes vues étaient de tenter d’y échapper pour pouvoir ainsi continuer ma lutte de pacifiste et d’anarchiste.
C’était du reste un point de vue commun dans les milieux libertaires et syndicalistes révolutionnaires de cette époque. Dans le seul groupe anarchiste de Bordeaux, quelques mois avant la mobilisation générale, nous étions une bonne douzaine dans ces dispositions. Mais nous n’avons été que deux à ne pas nous rendre, le 3 septembre 1939, et, deux jours après, je restais tout seul.
Je me cachai donc pendant cinq mois à Bordeaux, d’abord chez divers camarades et amis et puis, à bout de caches, je retournai chez moi. Pendant tout ce temps, je restais cloîtré le jour et sortais quelquefois la nuit. C’était pénible et le danger de me faire prendre augmentait de jour en jour. Après m’être procuré un livret militaire de réformé n°2 [3], je me décidai à partir pour Marseille où j’arrivai, le 13 février 1940, à 6 heures du matin. La première impression, en prenant pied à la gare Saint-Charles, fut très désagréable. J’étais parti de Bordeaux avec une température de plus vingt, j’arrivais à Marseille le lendemain en plein mistral avec moins cinq .
En descendant l’escalier monumental de la gare, je faisais le bilan de la situation un peu en frissonnant, mais pas seulement de froid. Je devais en effet me mettre en tête que je m’appelais bien André ARRU, que, malgré ma stature, j’étais réformé définitif et qu’il fallait que je me débrouille. Je n’avais, comme pièce d’identité, qu’un seul livret militaire un peu gratté, pas de travail, pas de logement fixe ; je n’avais jamais mis les pieds à Marseille ni dans la région. Je ne connaissais personne. Je ne pouvais oublier que mon vrai nom était porté sur un bulletin de recherches qui traînait dans toutes les gendarmeries et commissariats de France et qu’il fallait que j’évite toute maladresse. Par contre ma fortune se montait à 5 000 francs d’époque, cachés sur moi. C’était tout de même la possibilité de vivre plusieurs mois. J’allais louer une chambre à la journée au premier hôtel venu sur le boulevard d’Athènes.
Deux jours après mon arrivée, en traversant le square qui existait derrière la Chambre de Commerce, des « gardiens de la paix » (en 1940 !) ne demandaient mes papiers. Je sortais "mon" livret militaire, déclinais mes noms, prénoms, âge, profession, noms des père et mère et raison de ma présence à Marseille, sans bafouiller, mais le coeur en émoi. Je reprenais possession de « mon » livret ; les interlocuteurs étaient satisfaits. J’avais passé avec brio mon premier examen d’homme en rupture de ban.
Quelques jours après, je dénichais une chambre meublée à l’angle du boulevard Baille et de la rue de Lodi et, dans le un même temps me faisais embaucher comme employé-gérant d’un petit poste d’essence à Saint-Loup. Il y avait 5 000 francs de caution à donner immédiatement. Sous un prétexte quelconque, j’en donnais 4 500 ; il devait me rester une centaine de francs en poche. J’appris assez vite mon nouveau métier qui n’avait rien de commun avec mon passé de représentant. C’était dur par le travail lui-même et par sa durée. J’ouvrais à 6 heures du matin sans interruption jusqu’à 20 heures, mais ma « planque » ne paraissait bonne. Deux mois après, je trouvais une chambre à Saint-Loup. Je m’installais.
J’eus alors la chance d’entrer en relation avec un sympathisant libertaire d’origine italienne, François, qui me présenta à d’autres. Ensuite, je me liais avec des réfugiés espagnols, libertaires pour la plupart, qui habitaient Saint-Loup. Tout ceci m’amena à connaître aussi des anarchistes français ayant milité avant la déclaration de la guerre.
Dans le même temps, un camarade de couleur noire, Armand, du groupe de Bordeaux, démobilisé de Syrie, vint se réfugier chez moi, ne pouvant rentrer en zone occupée. Avec lui, on commença à confectionner des papillons et des tracts tirés à la gélatine. On allait les glisser la nuit dans les boites aux lettres et les coller sur les poteaux de tramway. Puis l’essence fut rationnée, mon poste fut fermé et mon contrat suspendu pour cas de force majeure. Je demandais au propriétaire l’autorisation de monter dans son local un atelier de réparations de cycles. Nous parvînmes à un accord et, grâce au retour de ma caution, je pus m’acheter un peu de matériel. Je me fis inscrire au registre des métiers et, faisant mon apprentissage sur le tas, vaille que vaille, je réparais et montais des vélos.