PRUDHOMMEAUX, André à VOLINE. « A propos de la « Réponse à Lénine »

{La Revue anarchiste} n° 20, août-septembre 1934

Révolution soviétique de 1917LÉNINE, Vladimir Iliitchconseils ouvriers et conseillismeVOLINE (1882-1945). Pseud. de EICHENBAUM, Vsevolod MikhailovitchPRUDHOMMEAUX, André (1902-1968)

A titre documentaire, nous reproduisons, ci-dessous, une lettre adressée, autrefois, par le camarade Prudhommeaux, alors que, avant de venir carrément à l’anarchisme, il avait encore d’étroite attache avec les milieux communistes de gauche( le courant marxiste anti-léniniste et stalinien). Elle concerne une critique faîte par Voline, dans le numéro 17 (février 1932) de la R.A. (N.D.L.R.)

Cher Camarade Voline, [1]
Je ne doute pas que les lecteurs de la Revue anarchiste ne se soient intéressés à ton vivant compte rendu critique sur la brochure de H. Gorter, Réponse à Lénine [2], qui fut éditée, naguère par les Groupes Ouvriers-Communistes. Ils apprendrons donc avec plaisir que les traducteurs-éditeurs français, et même tous les disciples actifs de Gorter dans les autres pays, ont unanimement fait un pas de plus dans le sens indiqué par le courageux auteur de la Réponse à Lénine et qu’ils ont cessé de mêler les formules creuses de l’Etat et de la dictature politique à leur conception prolétarienne de la révolution sociale.
1° - Selon nous, cette révolution consiste essentiellement dans l’appropriation directe du capitalisme par les masses travailleuses organisées en Conseils ou Soviets d’usine, et par Communes. Toute dictature de parti sur la classe ouvrière ou sur la paysannerie révolutionnaire est une forme de réaction sociale. Il en est de même de la socialisation centralisée ou étatisation, en tant que cette mesure s’oppose à la liquidation du salariat et à l’auto-direction des entreprises par les travailleurs eux-mêmes ;
2° - La question des relations avec les Etats capitalistes ne peut être tranchée par voix diplomatique qu’à condition de renoncer à la révolution sociale, pour nommer un Gouvernement autoritaire susceptible d’être reconnu par les capitalistes… C’est pourquoi nous croyons que la seule voie possible, la révolution ayant éclatée dans un pays, c’est de combattre le capitalisme étranger, offensivement et défensivement, par les mêmes méthodes que l’on emploie contre la réaction intérieure : fraternisation avec les éléments populaires de l’armée et de la population, guerre de partisans contre les officiers, la police et la bourgeoisie, terrorisme de propagande, infiltration révolutionnaire, grèves généralisées, résistance passive, etc., etc... ;
3° - Notre conception de la nature économico-sociale (et non pas essentiellement politico-étatique) de la révolution peut être exprimée comme suit : le capitalisme ne peut être vaincu par les armes à la main que sur les bases du communisme spontané, libertaire, du communisme des Conseils. Lui seul prive l’Etat et la bourgeoisie de leur force invincible en la détruisant à la racine ; lui seul développe l’initiative des masses et leur solidarité pratique, leur assure des conquêtes immédiates (pain et liberté) qui vaillent la peine d’être défendues et étendues dans une lutte à mort contre la réaction nationale et mondiale ;
4° - Le communisme, sous la forme de la répartition des subsistances à la population travailleuse, de la production collective, suivant les besoins, et de l’échange gratuit entre ville et campagne, n’est donc pas le résultat lointain de la victoire révolutionnaire, mais sa condition préalable. D’ailleurs, dans un pays assiégé, affamé, arriéré ou ruiné (cas particulier de la Russie, qui sera bientôt peut-être le cas général), la seule forme sociale viable pour éviter le gaspillage, l’accaparement, le banditisme, l’abandon de la production, la lutte de tous contre tous et la chute dans la barbarie, c’est précisément le communisme libertaire des Conseils et des Communes.
Bref, approfondissant l’opinion de Gorter, nous trouvons les péchés originels du léninisme comme pratique russe – (et non pas seulement comme généralisation orientale de cette pratique) – dans les mesures suivantes :
A) La distribution de la terre aux paysans individuels sous le contrôle et avec la garantie de l’Etat et la liquidation de la vieille communauté rurale ;
B) Le pacte de Brest-Litovsk avec l’Allemagne impériale et la politique wilsonienne des nationalités (droit de la bourgeoisie finlandaise, polonaise, balte, etc… à disposer de leurs peuples) ;
C) L’interdiction de l’expropriation directe des entreprises par leur personnel ouvrier, et la substitution du capitalisme d’Etat au capitalisme privé ;
D) La suppression des soviets d’usines, des partisans rouges et la répression antianarchiste. Le système des réquisitions sans contrepartie imposé aux paysans non exploiteurs.
Ne sommes-nous pas bien prêts d’être d’accord ?
A. Prudhommeaux
N.B. – En corrigeant les épreuves de ce texte, adressée en mars 1932, je tiens à marquer qu’il constitue à mes yeux une étape aujourd’hui dépassée de mon évolution vers l’anarchisme. Il conserve toutefois sa valeur en tant qu’il exprime les positions actuelles d’une série de groupements communistes indépendants, parmi lesquels il m’est permis de citer comme positivement actifs :
L’Union Ouvrière-Communiste d’Allemagne,
La Fédération Communiste Antiparlementaire de Grande-Bretagne,
L’opposition ouvrière de gauche dans le N.A.S. (Hollande),
Le groupe U.W.P. (Etats-Unis d’Amérique).
Parmi les groupements français où le léninisme est en régression devant une conception plus libertaire du communisme, on peut signaler (sous bénéfice d’inventaire) :
Le groupe « Masses »,
Et le « Cercle du Communisme-Démocratique ».
L’avenir montrera s’il y a là un point de départ, ou un simple signe de dislocation.
Juillet 1934.
A.P.

[1Texte aimablement communiqué par Charles Jacquier

[2En vente à la Librairie du Travail, 17, rue de Sambre-et-Meuse, à l’imprimerie, 10, rue Emile-Jamais, Nîmes, et à la Revue anarchiste