JACQUIER, Charles.- "George Orwell ou l’impossible neutralité"
ORWELL, George (pseud. de Eric BLAIR) (1903-1950)JACQUIER, Charles (1955/09/01 - ....)George Orwell, Essais, articles, lettres, Volume I (1920-1940), Volume II (1940-1943)
Paris, Éditions Ivrea/Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, 1995 & 1996
Georges Orwell ou l’impossible neutralité, Commentaire, n° 83, automne 1998, p. 857-860 (Éditions Plon).
Dans un petit essai stimulant [1], Jean-Claude Michéa s’était étonné de l’absence d’une traduction française des Collected Essays, Journalism and Letters de George Orwell, alors que leur auteur était considéré comme un classique de notre temps. Au-delà d’un strict problème « technique », cette absence témoignait, selon lui, « de l’incapacité de la critique dominante (…) à saisir la valeur exacte de l’œuvre théorique d’Orwell ». L’auteur se proposait donc d’étudier pour elle-même cette incapacité et concluait : « ce que l’époque n’admet pas, c’est que l’on puisse être à la fois un ennemi décidé de l’oppression totalitaire, un homme qui veut changer la vie sans pour autant faire du passé table rase et par-dessus tout un ami fidèle des travailleurs et des humbles ».
Depuis, sont parus successivement les deux premiers volumes de leur traduction qui permet au public français d’avoir accès directement à cette œuvre imposante. Malheureusement, cette publication est loin d’avoir eu l’écho qu’elle méritait, et cela, aussi, a une signification qu’il faudrait étudier pour elle-même ; comme en a une l’invention d’une pseudo-affaire Orwell. Grâce à un journaliste en mal de scoop, une lettre privée à une amie est devenue la soi-disant preuve qu’Orwell aurait offert spontanément aux Services secrets britanniques une liste noire d’écrivains soupçonnés d’être des cryptocommunistes (The Guardian, 11 juillet 1996). Traduit dans le langage de notre triste époque, cela devient, après avoir promptement traversé la Manche : « Orwell en mouchard anticommuniste », « Quand Orwell dénonçait au Foreign Office les “cryptocommunistes” » ou « Brother Orwell » ! (2). Une émission de France Culture de la série curieusement nommée « Une vie, une œuvre » est venue compléter cette campagne de calomnies, y apportant une touche du plus bel effet où l’ignorance et la mauvaise foi rivalisaient seulement avec le grotesque et l’ignoble … Il a été répondu à cette campagne dans une brochure intitulée George Orwell devant ses calomniateurs. Quelques observations (Editions Ivrea/Editions de l’Encyclopédie des nuisances, 1997). La traduction de la lettre d’Orwell à son amie Celia Kirwan, à l’origine de cette lamentable manipulation, permet d’emblée de renvoyer au néant la prétendue preuve archivistique de la « délation »… La brochure s’attache ensuite à présenter et à disséquer le mécanisme de ces prétendues révélations. Les attaques contre Orwell relèvent pour les auteurs de la brochure de la « déliquescence intellectuelle » de l’époque, sorte de phénomène spontanée illustré par les salariés des médias qui prétendent « déconstruire » la vérité alors qu’ils la mettent en pièces et la rendent inaudible et incompréhensible. Au contraire, la question essentielle devrait être : « l’analyse que fait Orwell du totalitarisme n’aurait-elle pas quelque validité dans la société mondiale où nous sommes ?
[1] Jean-Claude Michéa, Orwell, anarchiste tory, Castelnau-le-Lez, Climats, 1995.