DAUGUET, Aurélien. "Anarchisme et surréalisme"

DARIEN, Georges (1862-1921/08/19). Pseud. de Georges Hippolyte AdrienBRETON, André (1896/02/18) - (1966/09/28). Poète surréalisteSTIRNER, Max (Bayreuth, 1806/10/25 - Berlin, 1806/06/25). Pseud. de Johann Caspar SCHMIDTRévolution soviétique. Kronstadt (1921)LÉNINE, Vladimir Iliitchart : courants : surréalismeCÉLINE, Louis-Ferdinand (1894-1961). ÉcrivainTROTSKI, Léon (1879-1940), trotskistes et trotskismesTAILHADE, Laurent (1871-1919). PoèteArts. DadaFONTENIS, Georges (27 avril 1920 - 20 août 2010)ARAGON, LouisGOURMONT, Rémy de (1858-1915)DALI, SalvadorARTAUD, Antonin (1896-1948)CREVEL, René (1900-1935). Poète surréalisteDESNOS, Robert (1900-1945)ÉLUARD, Paul (1895-1952)ERNST, Max (1891-1976)MASSON, André (1896-1987)PÉRET, Benjamin (1899-1959)BAUDELAIRE, Charles (1821-1867)RIMBAUD, Arthur (1854-1891)JARRY, Alfred (1873-1907)SADE, Donatien Alphonse François, Marquis de (1740-1814)SADOUL, George (1904-1967)VAILLANT-COUTURIER, Paul (1892-1937)DUCHAMP, Marcel (Blainville-Crevon, 1887 - Paris, 1968)TZARA, Tristan (1896, Moinesti, Romania - December 1963, Paris)VACHÉ, JacquesFREUD, Sigmund (1856-1939)SOUPAULT, Philippe (Chaville 1897-Paris 1990)DE CHIRICO, Giorgio (1888-1978) Greek-born Italian Futurist Painter and SculptorPICABIA, Francis (1879-1953)BERTON, Germaine (1902 - ?)DAUDET, Léon (1867-1942)DAUDET, Philippe (....- 24/11/1923)CHAR, René (1907-1988)ALQUIÉ, Ferdinand (1906-1985)EHRENBOURG, Ilya = ÈRENBURG, Ilʹâ Grigorʹevič 1891-1967)Action française PLATEAU, MauriceDAUGUET, Aurélien (1932- )DAUGUET, Aurélien (1932-....)ARP, Hans (1886-1966)TANGUY, Yves (1900-1955)

Où le surréalisme s’est pour la « première fois reconnu... c’est dans le miroir noir de l’anarchisme. » Par cette phrase sans équivoque, André Breton réaffirme en 1952 une évidence qui pourtant, on a pu le constater dans l’histoire des deux mouvements, a eu quelques difficultés à se faire admettre et a rencontré quelques aléas. « La Claire Tour » est paru dans le nº 297 du 11 janvier 1952 du Libertaire qui accueillait les surréalistes depuis mai 1947 après que le retour d’André Breton des U.S.A. eut été salué par André Julien dans le numéro du 24 avril de la même année. « Pourquoi une fusion organique n’a-t-elle pu s’opérer à ce moment entre éléments anarchistes et surréalistes », s’interroge-t-il. Cette question, si elle peut être posée aujourd’hui, demande quelques approfondissements.
En fait, s’établissait dans le même temps, si ce n’était la fusion organique que Breton évoquait et appelait explicitement, tout au moins une collaboration régulière entre surréalistes et anarchistes par le truchement de textes destinés au Libertaire : les Billets surréalistes et autres écrits comme la réponse de Breton à l’enquête à propos de Céline, son discours à la Mutualité, des critiques de films, des billets d’humeur ou l’étude de Péret sur « La Révolution et les Syndicats ». Mais ce que beaucoup d’auteurs oublient de préciser en évoquant cette période, c’est de quelle sorte d’anarchistes il s’agissait. Faire ici l’historique de la prise de possession du journal et de l’organisation par l’équipe de Fontenis, la déviance marxiste, la société secrète Pensée et Bataille et la chute dans l’électoralisme nous conduirait trop loin. Il suffit de dire que si les surréalistes furent quelque temps les dupes de cette situation, ils comprirent très vite et d’ailleurs conservèrent le contact avec ceux qui reconstruisirent la F.A. et lancèrent, avec le succès que l’on sait, le Monde Libertaire.
Mais comment fut pensé, senti, vécu, rêvé l’anarchisme au sein du surréalisme depuis son émergence dans le monde de l’esprit ? Le premier « Manifeste du surréalisme » est paru en 1924. Breton y posait les jalons de cette grande aventure. Jalons mais non limites, rédigés dans une langue à la fois riche et claire, sans pédantisme : évocation de la vie quotidienne, références aux auteurs qui l’ont nourri, salut à ses amis qui « ont fait acte de surréalisme absolu », hommages poétiques. En même temps, il dresse comme une manière de panthéon du surréaliste. « Baudelaire est surréaliste dans la morale, Rimbaud est surréaliste dans la pratique de la vie, Vaché est surréaliste en moi. » Il établit les bases référentielles des apports scientifiques : reconnaissance à Freud de ses découvertes « L’imagination est peut-être sur le point de reprendre ses droits. Si les profondeurs de notre esprit recèlent d’étranges forces capables d’augmenter celles de la surface ou de lutter victorieusement contre elle, il y a tout intérêt à les capter d’abord, pour les soumettre ensuite, s’il y a lieu, au contrôle de notre raison. ». Il relève, de Reverdy, la définition de l’image : « L’image est une création pure de l’esprit. Elle ne peut naître d’une comparaison mais du rapprochement de deux réalité plus ou moins éloignées [...] Plus les rapports de deux réalités rapprochées seront lointains et justes, plus l’image sera forte, plus elle aura de puissance émotive et de réalité poétique » et donne une définition du surréalisme : « Automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière le fonctionnement réel de la pensée. » Mais il n’a garde d’oublier de préciser que « le seul mot de liberté est tout ce qui m’exalte encore. Je le crois propre à entretenir, indéfiniment, le vieux fanatisme humain. Il répond sans doute à ma seule aspiration légitime. »

C’est après la rencontre avec Jacques Vaché, personnage unique, poète de l’instant et du vertige qui marqua fort le jeune Breton, et avant le Manifeste de 1924, en 1919 que l’on peut dater les débuts du surréalisme. C’est en effet à cette date que paraissent Les Champs magnétiques de Breton et Philippe Soupault, recueil de textes automatiques pour lesquels les deux auteurs se sont associés sans qu’a priori l’on puisse discerner la part de chacun. C’était à proprement parler ouvrir le champ à tous les magnétismes de la pensée, de l’inconscient et de la poésie. Ces jeunes gens, et avec eux Louis Aragon et quelques autres, avaient été très sensibles à l’expression plastique de leurs aînés de quelques années seulement : Giorgio de Chirico, Francis Picabia, Marcel Duchamp et Max Ernst. Cette expression était à leurs yeux comme une concrétisation de l’esprit de Rimbaud et de Lautréamont dans la personnalité et l’naissait alors que dans l’interprétation volontairement dérisoire de Dada. Dada apparaît en 1916 à Zurich. C’est la réaction sauvage à la guerre affreuse et imbécile, par un non-conformisme absolu et ravageur. Il y eut, bien sûr, d’autres précurseurs, Sade, Jarry, car le surréalisme a été une reconstruction totale du monde de la pensée et de la sensibilité. Avec tous les surréalistes, Breton n’a cessé, durant toute sa vie de solliciter à travers l’histoire de la philosophie, de l’anthropologie, de l’art, de la science et dans bien d’autres domaines, tous les auteurs, tous les travaux, toutes les démarches qu’avait occultés la pensée officielle infléchie par la religion et l’autorité. Mais, avant tout le surréalisme est né d’une prise de conscience aiguë du dérisoire de la condition humaine et, en même temps, de la perte des immenses pouvoirs qui ont été arrachés à l’homme par la morale, la religion et les sujétions sociales.
Mais si les surréalistes ne sont parvenus qu’en 1947 à rejoindre les anarchistes, quel fut leur cheminement politique depuis l’anticonformisme total de Dada ? On va voir que si ce parcours les a amenés à côtoyer les communistes durant quelques courtes années, et ceci avec des fortunes diverses, il ne leur a jamais fait perdre la lisière de la révolte et de l’anarchisme.
Une grande sensibilité est toujours présente chez Breton et cette sensibilité s’exprime avec une grande intensité lorsqu’il évoque l’anarchisme. Dans Arcane 17, écrit en 1944, il se rappelle : « Le drapeau rouge, tout pur de marques et d’insignes, je retrouverai toujours pour lui l’tation populaire aux approches de l’autre guerre, je l’ai vu se déployer par milliers dans le ciel bas du Pré-Saint-Gervais. Et pourtant je sens que par raison n’y puis rien je continuerai à frémir plus encore à l’évocation du moment où cette mer flamboyante, par places peu nombreuses et bien circonscrites, s’est trouée de l’envol de drapeaux noirs. [...] Dans les plus profondes galeries de mon cpeaux noirs, certes, les ravages physiques étaient plus sensibles, mais la passion avait vraiment foré certains yeux, y avait laissé des points d’incandescence inoubliables. Toujours est-il que c’était comme si la flamme eut passé sur eux tous, les brûlant seulement plus ou moins, n’entretenant chez les uns que la revendication et l’espoir les plus raisonnables, les mieux fondés, tandis qu’elle portait les autres, plus rares à se consumer sur place dans une attitude inexorable de sédition et de défi. [...] Et encore « Je n’oublierai jamais la détente, l’exaltation et la fierté que me causa, une des toutes premières fois qu’enfant on me mena dans un cimetière parmi tant de monuments funéraires déprimants ou ridicules la découverte d’une simple table de granit gravée en capitales rouges de la superbe devise Ni dieu ni maître ».
Ces émois de jeunesse devaient marquer la formation intellectuelle de Breton et de ses amis tout autant que l’actualité politique l’affaire Dreyfus, les grands mouvements sociaux et la vie intellectuelle bouillonnante de l’époque, les poètes symbolistes comme Laurent Tailhade ou le Rémy de Gourmont d’alors ou encore Georges Darien (Breton préfacera en 1955 la réédition du Voleur en évoquant Stirner et l’Unique qui aspire à être « L’homme libre sur la terre libre »). Mais c’est surtout la révolte individuelle que célébreront ces milieux intellectuels, plutôt que la lutte sociale. Les surréalistes n’hésiteront pas, en 1923, à prendre la défense de Germaine Berton, une jeune anarchiste qui tua, dans les locaux de l’Action française, le camelot du roi Maurice Plateau. L’affaire se compliqua du fait du suicide du fils de Léon Daudet, Philippe, acquis aux idées libertaires et amant de Germaine Berton.
Mais si, chez les surréalistes on éprouve de l’attirance pour l’anarchisme, on ne cherche pas encore à agir directement dans une organisation ou un groupe. Robert Desnos, cependant, a fréquenté un temps le groupe où évoluaient Rirette Maîtrejean et Victor Serge. Et, selon un rapport daté du 30 décembre 1940 de la direction des Renseignements généraux, Benjamin Péret aurait milité dans un groupe anarchiste de la région parisienne en 1924 et collaboré à la même époque au Libertaire, qui est mentionné dans la Révolution surréaliste. Les surréalistes lisaient donc Le Libertaire à cette époque ainsi que L’Anarchie et l’Action d’Art.
Aragon qui fit carrière dans le stalinisme écrivait en 1924 cette phrase, dans le pamphlet « Un cadavre »,dirigé contre Anatole France : « I1 me plaît que le littérateur que saluent à la fois le tapir Maurras et Moscou la gâteuse ». A Jean Bernier qui le lui reprochait, il répondit : « La Révolution russe, vous ne m’empêcherez pas de hausser les épaules, à l’échelle des idées, c’est au plus une vague crise ministérielle. » C’est assez paradoxalement dans cette atmosphère que les surréalistes vont se poser la question de l’action révolutionnaire. On peut comprendre aujourd’hui l’attirance qu’a pu exercer sur eux, en peu de temps, la révolution russe qui paraissait alors encore prometteuse. D’un autre côté, le mouvement anarchiste était peu cohérent. S’estompait à peine le souvenir du Manifeste des seize prenant parti pour la guerre et les anarchistes étaient divisés en plates-formistes et synthésistes. En juillet 1925, Breton prend la direction de La Révolution surréaliste succédant ainsi à Artaud qui exprimait un individualisme anarchisant et avait rédigé la plupart des textes collectifs de la revue comme « Videz les prisons, licenciez l’armée » et découvre le livre de Trotski sur Lénine qui le marque. Le mouvement s’accélère : Eluard, André Masson et Joe Bousquet suivent. Aragon, un moment réticent, prend le courant au grand étonnement de Victor Castre « stupéfait de voir en quinze jours l’esprit le plus libertaire du groupe passer d’un individualisme absolu à un engagement total ».
Il y avait certainement chez Breton, qui avait mené ce processus, un désir subit de concrétiser certaines données du surréalisme et la crainte de voir le surréalisme s’enliser dans une sorte de bohème négativiste. Son refus de statut d’artiste pèse également dans la balance comme le désir sincère de voir le monde changer. En fait, seuls cinq membres du groupe surréaliste s’inscrivirent auP.C. : Aragon, Breton, Eluard, Unik et Péret, en janvier 1927.

« Il n’est pas douteux que l’idée de l’efficacité, qui aura été le miroir aux alouettes de toute cette époque, en a décidé autrement. Ce qu’on peut tenir pour le triomphe de la révolution russe et l’avènement d’un Etat ouvrier entraînait un grand changement d’éclairage. La seule ombre au tableau qui devait se préciser en tâche indélébile résidait dans l’écrasement de l’insurrection de Kronstadd le 18 mars 1921. Jamais les surréalistes ne parvinrent tout à fait à passer outre... »

explique Breton lui-même, dans “La Claire Tour”. Mais l’adhésion à la révolution soviétique ne fut pas acceptée par tous les surréalistes. Ainsi Robert Desnos refuse « d’accepter des mots d’ordre et une discipline par trop arbitraire ». Même genre de refus chez Miro et G. Ribemont-Dessaigne. D’ailleurs, il faut bien préciser que l’engagement de Breton lui-même ne se fait pas sans réserve : Il estime que le programme communiste n’est, tout compte fait, qu’un programme minimum et il reproche à L’Humanité d’être « puérile, déclamatoire inutilement, crétinisante, illisible ; tout à fait indigne du rôle d’éducation prolétarienne qu’elle prétend assumer. » Breton se voit affecté à la cellule du gaz. Ces poètes prônant le rêve et l’inconscient semblent d’autant plus suspects qu’on se souvient de leur prise de position dans les affaires Germaine Berton et Philippe Daudet. De leur côté, les surréalistes commencèrent à éprouver une certaine inquiétude lors des tout premiers procès, notamment celui du parti industriel en novembre et décembre 1930. Aragon et Sadoul obtinrent de leurs amis la condamnation publique des prétendus saboteurs qui le firent du bout des lèvres avec, précise André Breton, « plus ou moins de restriction mentale ».
Dans « Légitime Défense », texte important qu’il faudrait citer entièrement, Breton avait bien précisé que « les expériences de la vie intérieure se poursuivent et cela bien entendu, sans contrôle extérieur, même marxiste ». Cette période « communiste » sera, on l’aura compris, orageuse et le baromètre oscillera entre la volonté des surréalistes de participer efficacement, à leur manière, à la révolution prolétarienne, leur volonté de conserver leur spécificité et les tentatives des dirigeants du P.C. de les faire passer sous la toise. Breton, se tenant droit dans la tempête et désirant influencer la politique du P.C., décide de siéger -nous sommes à l’automne 1932- avec Char, Eluard et Crevel, au bureau de l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires que préside P. Vaillant-Couturier. C’était monter plus haut pour tomber plus bas. En 1933, Breton est exclu. Le prétexte, un texte de Ferdinand Alquié critiquant le film soviétique « Les Chemins de la Vie » dans la revue Le surréalisme au service de la Révolution. Puis ce fut, en 1935 entre temps Breton avait giflé Ilya Ehrenbourg qui avait qualifié de pédérastiques les activités surréalistes dans son livre « Vu par un écrivain de l’U.R.S.S. » , le « Congrès international pour la défense de la culture » au cours duquel les surréalistes furent pour ainsi dire bâillonnés : on ne leur accorda la parole que le dernier jour du congrès, à deux heures du matin. Crevel, qui avait fait beaucoup pour préserver les liens fragiles entre ses amis et P.C. , se suicidait le matin même. Si cet événement n’est pas la cause unique de son suicide, on peut avancer sans crainte qu’il n’y fut pas étranger.
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