Histoires de Chine

ChineSOMMERMEYER, Pierre(1942 - )

Quand Mao arrive au pouvoir, il lui faut trouver un qualificatif pour désigner le régime qu’il va remplacer. Il forge celui de « capitalisme bureaucratique monopoleur d’État féodal de comprador ». C’était pour lui une façon de se débarrasser du passé en le rendant adéquat à un processus pseudo marxiste qui place le communisme après le capitalisme et ce dernier après la féodalité. Mais qu’en est-il réellement ?
Les derniers travaux datent à deux millions d’année l’apparition de l’homme en Chine. De -500 à -200 l’époque des Royaumes combattants précède l’unification de la Chine sous la direction de la dynastie Han. Cette époque voit l’apparition de trois philosophies qui vont influencer définitivement et profondément les Chinois : le Confucianisme, l’École de la loi et le Taoïsme. Le premier est un rationalisme traditionnel basé sur la morale qui va devenir la religion chinoise actuelle, sans dieu ni transcendance mais soumise à l’interprétation des Lettrés. La seconde, rationaliste aussi est en plus Etatiste et pense que la nature humaine est mauvaise par nature. Seul un système de punition et de récompense peut fonctionner. Le Taoïsme enfin est antiféodal par essence, mystique et anarchiste. Il prône la non-intervention de l’État dans les affaires de l’homme et privilégie la petite communauté autonome.
En quinze années, de -221 à -206 av. J.C. les bases de la Chine sont définitivement posées. Le féodalisme est aboli et remplacé par une monarchie bureaucratique fortement centralisée et hiérarchisée. L’organisation gouvernementale, l’administration préfectorale, le système judiciaire sont mis en place. C’est la victoire des tenants de l’école de la loi. Quatre cent ans après, les lettrés confucianistes prendront le pouvoir. La confucianisation de l’État est rendue nécessaire du fait des excès de brutalité du régime légaliste. La bureaucratie s’appropriera le droit dévolu au peuple, selon la tradition, de retirer le mandat céleste au souverain pour interpréter, manipuler les signes du mécontentement populaire. La notion d’obéissance filiale des jeunes envers les vieux, des inférieurs envers les supérieurs deviendra le ciment indissoluble de la société chinoise. Cette bureaucratie était formée de fonctionnaires-lettrés.
Chaque jeune homme instruit pouvait se présenter à l’examen d’accès à cette fonction. Ce qui était demandé était la caaapacité de commenter les écrits des anciens, donc des commentaires de commentaires. Il n’y avait parmi ces gens pas de spécialistes ni de techniciens. Si l’on a pu déplorer son absence d’esprit d’initiative force fut de reconnaître son énorme force d’inertie et sa capacité de stabilité. S’il fallut la confrontation avec l’Occident capitaliste pour qu’elle commence à se désagréger, il ne faut pas oublier que seule cette immense bureaucratie était capable de maintenir en fonctionnement le système d’irrigation dont dépendait la fertilité des champs et donc la nourriture de l’Empire.
Une question se pose pourtant. Comment se fait-il qu’avec un tel niveau de civilisation le capitalisme n’ai pas pu se développer en Chine. Scientifiquement autant que technologiquement l’Empire céleste était fortement en avance sur l’Occident au moins jusqu’à la Renaissance.
Plusieurs raisons à cela :

  • les habitants sont en grande majorité des paysans, il existe à côté une petite classe moyenne d’artisans et de marchands.
  • la main d’œuvre ne coûte rien, donc pas de nécessité de création de machines.
  • l’acquisition de terres ne pouvait se faire que par le service de l’État qui n’était ouvert qu’à ceux qui possédaient des terres.
  • la ville chinoise ne fut jamais le siège de la bourgeoisie mais celui du gouvernement et des fonctionnaires hostiles aux marchands.
  • les fonctionnaires œuvrèrent de façon à ce que la bourgeoisie soit dans l’incapacité de se forger une conscience en tant que corps social séparé avec des intérêts propres.
    Tous ces points rajoutés à l’absence de liberté individuelle font que la forme occidentale du capitalisme n’a jamais vu le jour en Chine. Si nous prenons en compte la place de l’Etat dans l’économie chinoise nous réalisons qu’il existe depuis des siècles un capitalisme d’État chinois.
    Cette contradiction sous-jacente et bi-millénaire entre un dynamisme propre à un mode de production et le maintien d’une bureaucratie à été mis en lumière par l’un des plus grands historiens de la Chine en Occident, Étienne Balazs (1905-1963). Il avait participé au groupe des communistes de conseil réuni dans les années 50 et 60 autour de Maximilien Rubel.
    D’origine hongroise, il avait quitté l’Allemagne dès l’accession de Hitler au pouvoir et s’était réfugié en France. Sous le pseudo de Tomori il avait publié un texte dans Spartacus Qui succédera au capitalisme ? Avec un tel passé on comprendra pourquoi les maoïstes et autre thuriféraires du régime chinois ne pouvaient prendre en compte de telles données.
    La Chine d’hier est celle d’aujourd’hui, que nous le voulions ou pas.
    Pierre Sommer