LANGLOIS, Jacques. Un art politique : les Statistiques
criminalité et délinquanceLANGLOIS, JacquesEconomie. Niveau de vie"en réalité, il faudrait plusieurs indices en fonction des niveaux de revenus. Le pouvoir d’achat est une différence : entre le revenu et la dépense."
Nous sommes abreuvés de sondages, d’enquêtes, de statistiques en tout genre. Le moins que l’on puisse dire est que ces choses sont largement manipulées. On va le montrer avec l’exemple des statistiques, les bien nommées puisque le mot renvoie à ce qui est relatif à l’état, à l’État. Les outils statistiques sont des modèles construits en vue de rendre compte de réalités utiles à connaître, mais pour qui et dans quel but ?
Les statistiques ne sont pas la réalité, mais une représentation de celle-ci. Comme la comptabilité, la statistique ne rend compte que de ce pourquoi et pour qui elle a été bâtie. La vieille comptabilité européenne avait été construite pour informer les pouvoirs publics, les investisseurs, les banques, les fournisseurs sur l’état de l’entreprise (bilan) et sur ses flux d’argent et d’activité (compte d’exploitation). Elle est en train d’être remplacée par la comptabilité à l’américaine, construite pour les actionnaires soi-disant seuls propriétaires de la boutique : il s’agit de mesurer le dégagement de valeur pour l’actionnaire et de valoriser le patrimoine en y incluant des actifs largement imaginaires et peu évaluables comme les brevets, le logo, l’image de marque, le portefeuille clientèle…Ainsi Enron, Worldcom, Vivendi, etc. ont pu falsifier leurs comptes afin de faire monter fictivement la valeur des actions. De même, la statistique, comme disait l’humoriste, est comme le bikini : elle cache le plus important.
Donnons nous une idée des insuffisances et des lacunes, plus ou moins intéressées, de la statistique publique à la française, c’est-à-dire gouvernementale pour l’essentiel. En effet, la France se caractérise par l’absence d’organismes indépendants de production de statistique. Ce n’est pas la tsarine Nicole Notat, ex-CFDT, organisation syndicale compradore, qui a créé une boîte d’audit social et environnemental avec des capitaux issus des grosses entreprises qu’elle fera auditer, boîte qui dépend donc doublement de ces dernières à la fois pour l’investissement et pour les commandes d’analyses, qui relèvera le niveau. Car l’indépendance doit être double : vis-à-vis de l’Etat et au regard des puissances capitalistes ou de tout acteur social par trop intéressé. En réalité, pour se faire une idée assez exacte des choses il faudrait pouvoir croiser et comparer plusieurs sources et il faudrait que les “ organes ” publics soient gérés en main commune par tous les acteurs concernés et pas seulement par des fonctionnaires d’Etat (position typiquement proudhonienne). Prenons quelques exemples.
A l’heure qu’il est, l’Etat, c’est-à-dire le gouvernement, car l’Etat n’existe pas (c’est une forme symbolique signifiant que le pouvoir social ou souveraineté n’appartient à personne hormis le peuple), n’a toujours pas trouvé les moyens de bâtir un outil statistique convenable pour apprécier la situation et l’évolution de la pauvreté en France. Mieux, Balladur avait supprimé le CERC (Centre d’étude des revenus et de la consommation) qui avait eu le toupet de montrer la progression de la précarité, du chômage, du sous-emploi, du temps partiel et, in fine, de la pauvreté. Le trostkard Jospin s’est bien gardé de recréer le dit CERC. Finalement il a été récemment remplacé par un vague observatoire confié au curé Delors. Heureusement, une association (le RAI, le Réseau d’alerte sur les inégalités) a mis sur pied un outil statistique, le BIP 40. Le RAI met en évidence, ce qui relativise quelque peu les discours de l’ami d’Eyadema sur la fracture sociale et la cohésion du même tonneau à la Borloo, grâce à son baromètre périodique, la progression des inégalités et de la pauvreté. Cela corrobore les statistiques des Restos du Cœur, d’Emmaüs, d’ATD quart-monde, etc.
C’est que l’INSEE demeure infoutu de comparer les revenus réels. Cela ne veut pas dire que les employés de l’INSEE sont des salauds, mais que cet organisme étatique est dirigé par des grands commis de l’État stipendiés par le gouvernement (M. Chirac a truffé tous les organismes publics avec ses affiliés ou sympathisants politiques). Les chiffres de l’INSEE sont déformés parce qu’il ne tient guère compte des revenus du patrimoine (habitations, titres), lesquels ont fortement progressé grâce à la politique de privatisation des retraites, assurances-vie, assurances-maladie et de création d’une “ épargne populaire ” par les plans d’épargne d’entreprise et les privilèges accordés aux PEA (plans d’épargne en actions ou le PER, plan d’épargne retraite). Pourtant les informations sont partiellement disponibles car on peut les trouver dans les déclarations d’impôt. On en déduit que de ne pas recouper les fichiers (en se protégeant derrière la loi informatique et liberté du 6 janvier 1978) est volontaire afin de camoufler au maximum les réalités dérangeantes et d’obliger d’autres acteurs, dont on escompte qu’ils n’auront jamais les moyens d’établir de vraies statistiques (on spécule sans doute même sur leurs difficultés afin de pouvoir dire que leur production n’est pas objective…). Comme aurait dit Fernand Reynaud, les statistiques, c’est fait pour.
On notera aussi avec grand intérêt que le plan Fillon sur la réforme de l’Education nationale avait essayé de faire la peau à la filière ES (économique et sociale), regroupant pourtant un tiers des potaches. En effet, le Medef se plaignait de ce que les “ profs ” de cette filière, grands lecteurs du mensuel /Alternatives économiques/ (journal de grande qualité et aux approches pluralistes), ne parlaient pas assez de l’entreprise et minoraient les “ enseignements ” de la théorie économique classique (celle qui prétend fonder scientifiquement le libéralisme). Par ailleurs, cette filière se distinguait par un enseignement en partie fondé sur un travail actif et coopératif des élèves sur la base de dossiers à constituer (bien avant les TPE). M. Fillon voulait lui substituer une langue étrangère et avait le culot d’installer l’informatique au rang des savoirs fondamentaux, alors que ce n’est qu’un outil, par exemple de moulinage de statistiques, le contenu de ces dernières n’étant pas, évidemment, défini par un ordinateur. Au lieu de former les jeunes à décrypter les statistiques et l’information, on leur donnait les moyens de surfer sur le Web, dont chacun sait que l’on n’y trouve que ce que l’on y cherche, à condition de le savoir, ce qui implique une formation par exemple économique et sociale !
Les statistiques gouvernementales du chômage reposent sur un appareillage parfois suffisant, mais elles sont sciemment présentées pour dorer la pilule. Conformément à une norme internationale et européenne, on n’affiche que les chiffres de la catégorie 1, celle qui concerne les chômeurs à la recherche d’un emploi à temps plein et n’ayant pas travaillé dans le mois précédent (environ 2 500 000 chômeurs “ officiels ”). Cela permet de rester dans les 10 % de la population active, chiffre en progression malgré les brillantes analyses et promesses de Raffarien. Cela permet de ne pas évaluer le sous-emploi, qui concerne les salariés à temps partiel désirant “ travailler plus pour gagner plus ”, les stagiaires parking, les titulaires de contrats aidés (ex-CES). Cela évacue les préretraités, les dispensés de recherche d’emploi (prétendument trop âgés), les dégoûtés de la recherche d’emploi (qui se contentent d’un RMI avant d’être pourchassés faute d’efforts suffisants pour s’insérer…). Le chiffre réel du chômage tourne donc, comme l’établit chaque mois Marianne, autour de 5 millions.
Remarquez, il y a pire. Au Royaume-Uni, ne sont déclarés chômeurs que ceux qui perçoivent une indemnité de chômage. Or, comme celles-ci sont ridiculement faibles, nombre de demandeurs d’emploi ne jugent pas opportun de s’inscrire. Ce qui signifie que les 4 % de chômage affichés par la Grande-Bretagne ne signifient rien. Les USA sont encore plus performants : avec 2 millions de taulards essentiellement noirs et hispaniques, par définition hors chômage, sur 281 millions d’habitants (0,75 pour mille, soit 75 fois plus qu’en France), on fait bel et bien baisser les statistiques. Certains pays du Nord sont plus subtils : ils sortent les chômeurs des statistiques en les déclarant en longue maladie ou handicapés.
Les statistiques sur l’évolution des prix sont elles aussi manipulées. La France s’illustre par déjà deux indices, un avec et un sans tabac. Je suggère un indice sans loyers, sans essence, sans alcools, etc. Il sera alors facile de prouver que le seul dont le pouvoir d’achat a augmenté est le SDF, puisqu’il fume des mégots, habite sous les ponts, n’a pas de 4-4 et boit du Préfontaine à 12 degrés. Depuis longtemps, l’indice CGT contredit l’indice officiel, car en réalité, il faudrait plusieurs indices en fonction des niveaux de revenus. Le pouvoir d’achat est une différence : entre le revenu et la dépense. Or, l’actuelle augmentation exponentielle des loyers, des carburants, des cotisations de sécurité sociale ou UNEDIC, des impôts locaux réduit le pouvoir d’achat des pauvres sans que l’INSEE suive la mesure, d’autant plus que les salaires, en réalité, stagnent sérieusement. L’organe (au sens de Soljenitsyne) vient à peine de concéder une baisse de 0,3 % en 2003. Le Bip 40, lui, a évalué cette perte à plus et depuis longtemps. C’est qu’il raisonne autrement : les dépenses fixes (loyers, assurances, cotisations, impôts locaux, etc.) sont calculées à part et on y raisonne donc à partir d’un revenu effectivement disponible et non global. L’INSEE intègre dans ses calculs la baisse des produits de haute technologie dont les prix baissent (CD, Vidéo, etc.) ou dont la qualité augmente. Mais les plus démunis peuvent-ils acheter ces choses ? L’INSEE tient compte de prix moyens, y compris dans les magasins Discount, mais ces derniers ne sont souvent accessibles que si le déshérité dispose d’un véhicule (de plus en plus taxé ou soumis à des dépenses obligatoires comme le contrôle technique ou victime des hausses des péages confiés à des société privées car vendus à la bourse).
Les manipulations gouvernementales sont souvent subtiles. Ainsi, le calcul du taux de prélèvement obligatoire (impôts plus cotisations sociales) est-il non seulement minoré mais en voie de diminution mécanique. Car le report d’une part de plus en plus importante de la couverture sociale et des retraites sur des mutuelles et des assurances privées (forcées d’augmenter leurs prix, suite au désengagement de l’État) fait que, comme ce n’est pas obligatoire, cela n’en fait plus partie. Des tas d’impôts sont camouflés : exemple, les frais d’hypothèque qui sont considérables et n’ont rien à voir avec le coût effectif des actes administratifs correspondants. Autres exemples, les prétendus frais de prélèvement et de calcul des impôts locaux par le fisc national au lieu des communes (en gros 500 francs alors que cela coûte 40 au maximun à établir), les cotisations UNEDIC, les taxes sur l’eau, sur l’électricité, la redevance télé, etc. Ce sont des taxes, c’est-à-dire la contrepartie d’un service rendu, donc pas toujours obligatoire (d’où la confusion soigneusement entretenue entre impôts locaux, taxes d’habitation ou foncière, “ redevances ”). Le seul indicateur véridique des prélèvements obligatoires, serait fondé sur le calcul annuel des dépenses réelles de l’État, des assurances sociales et des collectivités en les rapportant au PNB (PIB plus revenus venant de l’étranger). Dans les dépenses, il faudrait englober les déficits monstrueux et qui sont un chèque en blanc sur les générations futures. Ce calcul montrerait que le chiffre réel des prélèvements publics est d’environ 65 % et non de 43,5 % ! Quand il n’y a pas tout simplement racket. Jusqu’en 1995, les compagnies des Eaux versaient un droit d’entrée aux municipalités concédantes remplaçant leur régie par une concession auxdites compagnies. Ces dernières s’en servaient pour financer des installations (stades, piscines, etc.) qui auraient dû être payées par les impôts locaux. Mais ça ne se voyait pas car la prime d’entrée était répercutée sur les factures des consommateurs, lesquels payaient donc deux fois, par les impôts et par les tarifs. Idem en ce qui concerne les fastueuses redevances de concession payées par EDF aux villes de Paris, Lyon, Marseille, etc. (500 millions de francs à Paris).
Les statistiques sur la délinquance sont perpétuellement trafiquées. Le 14 janvier 2005, Villepin a annoncé des chiffres globaux en baisse (global signifie un amalgame entre les vétilles déclarées et ayant dépassé le stade de la main courante [grosse astuce des poulets : ne pas aller au-delà pour faire baisser les statistiques] et les crimes de sang ou les violences physiques. Or, les séquestrations (plus 6, 31 %), les viols sur mineurs (plus 7 %), les vols à main armée (plus 8, 69 %) étaient en hausse. L’indicateur crimes et délits contre les personnes, abandonné par Villepin, était en hausse de 4, 7 %. L’Observatoire de la délinquance (organe récent visiblement créé pour cacher la merde au chat et truffé d’affiliés de l’UMP et sympathisants) ayant malgré tout observé sur 31 crimes et délits (ce qu’il devait repérer) une hausse de 0, 7 %, la DGPN (direction générale de la police nationale) a viré les “ menaces et chantages ” pour la faire disparaître. Rappelons que Chiracos a été élu en 2002 sur le thème de la sécurité, d’où la nécessité de truquer les chiffres et de modifier les bases de calcul.
Il faut donc exiger la mise en place d’organismes statistiques indépendants du pouvoir politique et/ou économique et faire organiser l’appareillage statistique par un conseil général regroupant les forces sociales réelles de la société civile. Une statistique ou une comptabilité ne reflète jamais que ce pour quoi et pour qui elle a été construite. Elle donne une image que de la réalité que l’on voudrait saisir. Mais ce n’est qu’une image de la réalité et non cette dernière. C’est pourquoi il est important de comprendre que les instances gouvernementales et le pouvoir financier ont le plus grand intérêt à ne prendre en compte que ce qui les intéresse et à trafiquer les chiffres pour manipuler l’opinion publique.