LANZA, Luciano. "Bref voyage dans l’économie qui n’existe pas"

MALATESTA, Errico (1853-1932)économie (généralités)GIAMBELLI, MarcoLANZA, Luciano

La naïveté de cette phrase, tirée d’un opuscule de Marco Giambelli, Comment il arriva qu’un peuple vive sans argent, publié à Milan en 1954, en fait tout le prix. Elle exprime et accentue la vulgate économique anarchiste jusqu’aux années 60. Giambelli (surnommé Marchino), un anarchiste qui avait survécu au fascisme, s’était formé politiquement dans le grand sillage politico-théorique d’Errico Malatesta. Il s’agit si peu d’un personnage de troisième ordre qu’un intellectuel anarchiste tel qu’Ugo Fedeli signa la préface de son opuscule.
Dans une large mesure, Giambelli représente ce que les anarchistes pensaient, et pensent encore souvent, de l’économie, réduite à l’instrument qui permet la circulation des biens, la monnaie : « l’ennemi le plus terrible ». En d’autres termes, l’économie n’est pas analysée comme un domaine du social devenu autonome, mais exclusivement comme l’instrument des patrons pour exploiter les travailleurs, le peuple.

La vulgate malatestienne
Cette affirmation, dans sa simplicité, exprime un fait indéniable, mais en cache des dimensions plus complexes. Giambelli est principalement un vulgarisateur de Malatesta. Mais Malatesta, tout en reconnaissant qu’il a « très peu de compétence en économie » (L’Agitazione, 14 octobre 1897), soutient que la forme économique n’est pas importante afin de concentrer son attention sur le contexte social et éthique dans lequel la forme économique se trouve insérée.
Il faut souligner ici, et précisément à partir de Malatesta, que parler de théorie anarchiste à propos d’économie signifie décrire une absence plutôt qu’une présence. Dans l’imaginaire anarchiste, la révolution sociale fera table rase de tous les problèmes économiques : la nouvelle société ne connaîtra pas d’économie, entendue comme science de la société de domination.
La figure et la pensée de Malatesta sont à l’origine de cette manière de poser le problème. Il s’agit toutefois d’un Malatesta « revu et corrigé » par les militants. Les écrits de Malatesta, déjà simples parce qu’ils sont un distillé de ses connaissances et de ses expériences, sont simplifiés encore dans la propagande. On ne pourra donc guère parler (avec quelques exceptions importantes) que d’un « parfum d’économie ».
Certes, il faut reconnaître que Malatesta se place dans un espace théorique a-économique : pour lui, la transformation sociale n’est pas conditionnée par la forme économique, et la structure sociale ne dépend pas de l’économie.