HENRIETTE JEANNE HUMBERT-RIGAUDIN (1890-1986)

HUMBERT, Jeanne.- Archives. (2) Présentation de Francis Ronsin, avec l’aide d’Isabelle Ubeda.

LECOIN, LouisBAKUNIN, Mihail Aleksandrovič (1814-1876)MARX, Karl (1818-1883)MAITRON, Jean (1910-1987)RYNER, Han (1861-1938).– Pseudonyme de Jacques Élie Henri Ambroise NERFAURE, Sébastien (1858-1942)féminismeAVRAY, Charles d’ (pseud. de Charles-Henri Jean, 1878-1960) Chansonnier, écrivain anarchisteBIANCO, René (1941 - 31 juillet 2005)ROBIN, Paul (1837-1912)HUMBERT, Jeanne (1890-1986)GOLDMAN, Emma (1869-1940)SERGE, Victor (Bruxelles, 1890-Mexico, 1947)COUTÉ, Gaston (1880-1911)Politique. Marxisme et marxistesLÉNINE, Vladimir IliitchpacifismeOrphelinat de Cempuis Congrès. Congrès anarchistesPICQUERAY, May (1898-1983)Population. Néo-malthusianismeVIGO, Jean (1905-1954). Cinéaste, scénariste, auteurRAMUS, Pierre (pseud. de Rudolf GROSSMANN, né le 15 avril 1882 - mort le 27 mai 1942)TAILHADE, Laurent (1871-1919). PoèteRECLUS, Paul (Neully-sur-Seine 1858-Montpellier 1941)DEVALDÈS, Manuel (1875-1956)HUMBERT, Eugènecontrôle des naissancesARRU, André (pseud. de Jean René SAULIÈRE, 1911-1999)JACOB, Alexandre Marius (1879-1954)FRANCE, Anatole (1844-1924)BARBUSSE, Henri (1873-1935)VIGO, Eugène Bonaventure de (dit ALMEREYDA)Politique. Partis socialistes et socialistesLigue des Droits de l’Homme BAISSAT, Bernard (1943-....) PICABIA, Francis (1879-1953)MARESTAN, JeanKOLLONTAY, Alexandra (1872-1952). Révolutionnaire russeRONSIN, Francis (27 mars 1943 - ....)GIROUD, GabrielPLACE, FrancisOWEN, RobertCARLILE, RichardDRYSDALE, GeorgesBRADLAUGH, Charles (1833-1891) Ligue de la Régénération humaine DELALÉ, Auguste (1864-1910)RIGAUDIN, Aline (ép. BLANC)CLARO, ÉmilieROBIN, LucieFLAMMARION, Sylvie (née PETIAUX ; épousa Camille FLAMMARION en 1874)PRIVAS, XavierMAGRE, MauriceMARGUERITTE, VictorROUSSEL, Nelly (1878-1922)SIXTE-QUENIN, député socialisteSANGNIER, Marc (1873-1950)MONTEHUS (pseudo de Gaston BRUNSWICK, 18...-1952)Anarchistes-communistes AURIOL, VincentBLUM, LéonLONGUET, JeanMOCH, JulesNEUWIRTH, LucienVEIL, SimoneLANGEVIN, PaulBASCH, VictorPELLETIER, MadeleineWELLS, Herbert GeorgeUniversal Esperanto Asocia DOMMANGET, Maurice (1888-1976)SANGER, MargaretCRAVAN, Arthur (1887- ?)LICP (Ligue Internationale des Combattants de la Paix) MÜLLER, GünterALBRECHT, Berty (1893-1945)RUSSELL, Dona Winifred (1894-1986)BÉRENGER, René (1830-1915)MALTHUS, Robert Thomas (1766-1834)UBEDA, IsabelleDUNAN, Renée (pseud. Luce Borromée, Renée Camera, Chiquita, Louise Dormienne, Laure Héron, Marcelle La Pompe, Ethel Mac Singh, A. de Sainte-Henriette, Jean Spaddy, M. de Steinthal, etc. – Avignon, 1892-1936)

Présentation de Francis Ronsin, avec l’aide d’Isabelle Ubeda

I - Richesses et lacunes d’un fonds d’archives.
Jeanne Humbert avait régulièrement évoqué devant moi le sort futur de ses archives. On l’avait contactée, d’ici et de là, pour lui demander un legs. Untel lui avait conseillé de les verser à la Bibliothèque nationale, et Devaldès, en Angleterre, où on vole moins qu’en France... Je faisais systématiquement dévier ces conversations, car elle avait - à mon avis, mais pas au sien - atteint depuis longtemps l’âge à partir duquel parler de la mort devient un sujet délicat. Pourtant, Jeanne Humbert est morte. Puis, sa fille, Claude Villon (Lucette Humbert), m’a appris qu’elle m’avait confié l’avenir de ses papiers.
Entassés, en vrac, dans des cartons de téléviseurs, ces documents sont restés chez moi plusieurs années avant de trouver un refuge à Amsterdam. Entre temps, en écrivant la biographie de Jeanne Humbert, j’ai pu constater l’état de désordre où ils se trouvaient. J’ai pu également l’accroître, car, dans le désordre général, subsistaient les traces de plusieurs tentatives, successives et avortées, de classement. Les chercheurs qui les ont utilisés chez moi, pour travailler sur des sujets tels que "les chansonniers anarchistes", ou "les mouvements pacifistes", se sont heurtés aux mêmes problèmes, et, comme moi, ont certainement aggravé la situation. L’équipe de la bibliothèque Marguerite Durand, institution parisienne spécialisée dans l’histoire des femmes et du féminisme, que j’avais autorisée à reproduire tous les documents qu’elle souhaitait, est venue, à son tour, y apporter un nouvel ordre et autant de désordre.
De ce qui précède, il ressort deux choses :
La première est que le travail de classement effectué par Tiny de Boer pouvait sembler dépasser les forces humaines pour qui ne possède pas son professionnalisme. Je l’ai critiqué à propos de certains choix, mais je me suis bien gardé de suggérer une autre démarche.
En revanche, c’est ma seconde observation, j’ai insisté pour présenter ce catalogue afin de souligner le caractère éminemment particulier de la collection de documents qu’il décrit. Ces cartons renferment, on le sait, avec les tracts, affiches, journaux, brochures, livres, photographies... de même origine également conservés à l’IIHS d’Amsterdam, la meilleure source d’étude du mouvement néo-malthusien français (les archives de Gabriel Giroud étant indisponibles). Ils peuvent toutefois être tout aussi indispensables pour des travaux touchant à l’anarchisme, au pacifisme, je viens de le dire, au féminisme ainsi qu’à d’autres thèmes que je crois devoir signaler. Ces archives ne sont pas, en effet, celles d’un mouvement. Elles ont été constituées par une militante, par une femme, ce qui explique aussi bien leurs lacunes que leurs richesses. Elles retracent, non pas un, mais des combats, une vie surtout, et, partiellement, celles qui l’ont croisée. C’est souvent ce qui leur donne une authenticité et même une richesse historique que n’ont jamais celles des organisations.
Les suggestions de lecture faites ci-dessous doivent être considérées comme des exemples qui ne donnent qu’une idée des richesses de ce fonds.

II - Le néo-malthusianisme.
On a souvent écrit, et je l’ai trop souvent fait moi-même, que les néo-malthusiens s’opposaient aux malthusiens en prônant la contraception, et donc la liberté sexuelle, alors que le pasteur Malthus n’acceptait que la continence sexuelle. C’est faux, dans le sens où, à ma connaissance, la plupart des disciples, malthusiens ou néo-malthusiens, du pudibond pasteur ont reconnu la nécessité de la contraception. De ce fait, dans de nombreux pays, la différence entre malthusianisme et néo-malthusianisme n’a jamais été bien nette. Même en France, les malthusiens, qui ont une forte influence sur les classes dirigeantes au moins jusqu’à la moitié du XIXe siècle, acceptent la contraception pour éviter la prolifération des pauvres qui menacerait le confort des riches.
Le véritable néo-malthusianisme, qui s’est particulièrement épanoui en France, détourne la pensée de Malthus d’une toute autre façon. Le néo-malthusianisme est un détournement de la pensée de Malthus dans un sens subversif, révolutionnaire, lié à une philosophie de révolte, d’insoumission et d’action directe. L’ensemble de ce fonds d’archives en apporte de multiples preuves que l’on peut également trouver dans les biographies des principaux animateurs du mouvement. Paul Robin fut membre du Conseil de la première Internationale avant d’en être expulsé avec les bakounistes. J’évoquerai, ci-dessous, les jeunesses d’Eugène Humbert, déjà qualifié d’"anarchiste dangereux" par la police de Nancy dès son adolescence, et de Jeanne Rigaudin, la future Jeanne Humbert. Les militants néo-malthusiens français ont eu, pour la plupart, des relations étroites avec l’anarchisme ou le syndicalisme révolutionnaire.
L’attitude des autorités confirme ce qui précède en évitant toute confusion. Les malthusiens n’ont jamais été poursuivis en justice. Les organisations qui, après la Seconde Guerre mondiale, lutteront pour la liberté de la contraception et de l’avortement ne le seront pas plus, alors que les néo-malthusiens ont constamment subi un véritable acharnement policier et judiciaire.

1 - A l’origine des vocations
(Le terme "vocations" est le plus approprié que j’ai pu trouver pour souligner que la famille néo-malthusienne ressemble beaucoup à une secte unie autour d’une révélation.)
Paul Robin (1837-1912), fondateur de la première organisation néo-malthusienne française : la Ligue de la Régénération humaine, fut enseignant avant de consacrer l’essentiel de son énergie au militantisme révolutionnaire. Il adhère à l’Internationale en 1866, milite en Belgique, puis en Suisse avec Bakounine où il devient membre de l’Alliance de la Démocratie sociale. En 1871, il se réfugie à Londres et entre au Conseil de l’Internationale (dont il sera exclu l’année suivante). C’est alors qu’il découvre les théories malthusiennes déjà profondément transformées par des penseurs radicaux tels que Francis Place, Robert Owen, Richard Carlile, Georges Drysdale, Charles Bradlaugh...
Il s’efforce alors de convaincre ses amis révolutionnaires de l’importance de la question de population. Pour cela, il se rend, en 1877, au Congrès communiste libertaire de Saint-Imier et adresse un appel au Congrès socialiste de Marseille (1879). Il ne recueille qu’indifférence ou hostilité. Appelé par les républicains, devenus majoritaires en France, à participer à leur oeuvre de rénovation pédagogique, il doit, pendant plusieurs années, ne pas afficher publiquement ses convictions révolutionnaires et surtout néo-malthusiennes. Il est nommé inspecteur de l’enseignement primaire à Blois, puis, surtout, en 1880, directeur du premier internat mixte, l’orphelinat de Cempuis dans l’Oise. A Cempuis, Paul Robin s’emploie à développer des principes de pédagogie et de vie quotidienne proche de ses idéaux libertaires. La presse conservatrice s’en scandalise et, en 1894, il est révoqué. Cette révocation lui permet de se lancer ouvertement dans la propagande néo-malthusienne. Dès février 1895, il édite un petit journal pédagogique : L’Education intégrale, où ses engagements eugéniste et néo-malthusien sont ouvertement exprimés. En 1896, il crée la Ligue de la Régénération humaine, qui, après un premier succès : la publication d’une traduction de la brochure néerlandaise Moyens d’éviter les grandes familles (à l’IIHS), végète. Son journal, Régénération, ne paraît qu’épisodiquement. Ce n’est qu’à partir de 1902, lorsque Eugène Humbert devient le gérant de Régénération, que la Ligue de la Régénération humaine - et, donc, le néo-malthusianisme en France - connaît un réel développement.
La mère de Jeanne Humbert, Aline Blanc, épouse Rigaudin, avait au moins deux mauvaises habitudes. Celle de fréquenter la "maison du peuple" de Romans, ville où elle vivait, pour y écouter les orateurs anarchistes et socialistes de passage. Celle de fuguer. C’est ainsi qu’elle rencontra Auguste Delalé, un agitateur anarchiste et syndicaliste, qu’elle suivit à Tours en 1901. Elle emmena sa fille Jeanne, alors âgée de onze ans, avec elle, et abandonna ses deux autres enfants. Jeanne a toujours voulu croire que ce choix venait de ce qu’elle était le fruit d’un amour d’un jour et non d’un Rigaudin, petit bourgeois alcoolique. Chez les anarchistes, néo-malthusiens ou non, on détestait naturellement les petits bourgeois, ainsi que les alcooliques, tout en étant généralement friand de copieuses et joyeuses libations.
(Cet épisode a pour conséquence que, dans ces archives, les noms d’Aline Rigaudin et d’Aline Blanc désignent la même personne, de même que ceux de Jeanne Rigaudin, pendant un court temps Jeanne Delalé, plus tard, Jeanne Humbert.)
Jeanne Rigaudin fit alors connaissance avec des grandes figures de l’anarchie que Delalé faisait venir à Tours. Des conférenciers : Laurent Tailhade, Jean Marestan... Le célèbre cambrioleur Alexandre Jacob (également présent dans ces archives sous le nom de "Marius", nom qu’il adopta à son retour de 23 ans de bagne)...
En 1903, la tribu Delalé fut contrainte à l’exil, ses activités anarchistes ayant causé trop de scandales. Elle se réfugia à Paris où Marestan lui avait trouvé un appartement.
Jeanne Humbert m’a confié ses souvenirs d’enfance à Romans puis à Tours pour une interview parue dans Le Monde en 1980 (dossier 415).
Elle a écrit un récit très vivant et très détaillé de ses premières années à Paris, accompagnée d’une intéressante description des milieux anarchistes de l’époque, dans l’article "Jean Vigo cinéaste d’avant-garde" qu’elle a publié en novembre 1956 dans Contre-Courant. On trouve, dans le dossier 121 deux manuscrits successifs de cet article, tous deux incomplets mais qui se complètent l’un l’autre.
En effet, le père de Jean Vigo, Miquel Almereyda (Eugène Vigo, de son véritable nom) appartenait alors à l’équipe du Libertaire assidûment fréquentée par Delalé. Jeanne, qui avait passé son certificat d’études à Tours, fut confiée à ces compagnons pour compléter son instruction. Miguel devint son professeur de sténographie, ce qui explique les nombreuses cartes postales sténographiées du dossier 121. Lorsqu’en avril 1905, Emilie Claro, compagne de Miguel Almereyda, donna naissance à un garçon, il fut appelé Jean car Jeanne Rigaudin devint sa marraine (laïque).
Eugène Humbert fréquentait les mêmes milieux que Jeanne Rigaudin, et Miguel Almereyda était également de ses amis (lettres dans le dossier 200). L’un et l’autre cessèrent de le voir en 1914, après qu’Almereyda ait rallié le camp des bellicistes. Jeanne demeura toutefois très attachée à Jean Vigo, d’où l’importance des documents réunis par sa marraine lorsqu’elle deviendra sa biographe. (dossier 121)
(A noter, dans le même dossier, un article du Bonnet rouge (1928) qui réfute les rapports établis par certains entre l’affaire Almereyda, la bande à Bonnot et les assassinats de la mère et du frère de Jeanne Humbert.)
Ces relations et ces convictions communes expliquent qu’en 1909, Eugène Humbert fit appel à Jeanne Rigaudin pour aider au secrétariat de Génération consciente. Leurs vies devaient désormais se confondre étroitement avec l’histoire du néo-malthusianisme français.
Ces archives sont très pauvres en ce qui concerne la jeunesse d’Eugène Humbert (né en 1870) avant sa rencontre avec Paul Robin (1902) et, surtout, avec Jeanne Rigaudin (1909). On doit toutefois y trouver un numéro de L’Indépendant, deuxième journal (le premier était Le Tire-Pied) qu’il fonda à Metz avec Eugène Mariatte. Les lettres de son cousin, Lucien Humbert, personnalité marquante du syndicalisme révolutionnaire et de la libre-pensée, sont très postérieures (dossier 234)... Eugène était manifestement beaucoup moins conscient que Jeanne de l’intérêt de la constitution d’archives. La meilleure source pour étudier sa vie est certainement le livre que lui a consacré Jeanne : Eugène Humbert - La vie et l’oeuvre d’un néo-malthusien. Edition de la Grande Réforme, Paris, 1947. (A l’IIHS).
Gabriel Giroud (1870-1945) a été formé aux idées de Paul Robin dès son enfance. Il est, en effet, entré à Cempuis en 1877, soit trois ans avant Robin. Il quitte Cempuis en 1887 pour accéder à l’Ecole normale. Il y revient en 1892, comme enseignant, et, épouse, en 1893, Lucie Robin, la fille de son maître. En 1894, il abandonne Cempuis lorsque Robin est révoqué. Il jouera, dès lors et jusqu’à sa mort, un rôle très important dans le mouvement néo-malthusien. Auteur de nombreux ouvrages et articles, qu’il signe souvent G. Hardy, et, parfois, C. Lyon (il est né à Lyon), il est considéré par ses amis comme le tenant de l’orthodoxie néo-malthusienne et un érudit d’une grande rigueur scientifique. Gabriel Giroud sera particulièrement chargé des relations avec les organisations étrangères.
Les lettres adressées par Giroud aux Humbert sont très nombreuses et très riches en informations. Elles couvrent la période 1904-1945 et se trouvent dans les dossiers 86, 87 et 114.
La quasi-totalité des autres militants néo-malthusiens de premier plan provenait des milieux anarchiste, syndicaliste révolutionnaire, ou, moins souvent, socialiste et républicain radical.
2 - La propagande
La propagande néo-malthusienne répond à un double objectif. Le premier est de répandre les thèses malthusiennes revues par Robin et que l’on peut résumer par sa formule : "Le problème du bonheur humain a donc trois parties à résoudre dans cet ordre et dans cet ordre seul :
1, Bonne naissance ; 2, Bonne éducation ; 3, Bonne organisation sociale.
Les efforts pour résoudre une partie du problème sont en grande partie perdus tant que les précédents sont mal résolus."
Le deuxième de ces objectifs est de convaincre les individus que leurs responsabilités d’êtres humains et leurs intérêts personnels convergent pour leur commander de limiter leur fécondité, et, donc, puisque nous sommes dans la tradition anarchiste d’action directe, de leur fournir les moyens nécessaires pour y parvenir : la connaissance du processus de la reproduction et les contraceptifs.
Ce programme, associant éducation théorique et action pratique, est parfaitement appliqué jusqu’au vote de la loi de 1920. Ceci place les organisations néo-malthusiennes dans une situation exceptionnelle, presque unique, dans l’histoire des organisations révolutionnaires : elles sont financièrement prospères car ce sont des entreprises commerciales et les dépenses qu’elles font pour la propagande doivent, logiquement, être couvertes par l’accroissement de leur vente de préservatifs. C’est sur cette question que l’on peut, à mon avis, déplorer la principale lacune de ces archives. On y retrouve des catalogues d’objets et de produits, quelques traces de correspondance avec des fournisseurs ou des clients, mais aucune véritable pièce comptable, pas de bilan. Pourquoi ? L’absence de ces pièces peut être le résultat de saisies opérées par la police (mais on ne les trouve pas non plus dans les archives policières), plus vraisemblablement, elles ont été détruites par crainte de la répression.
Après 1920, la propagande néo-malthusienne est contrainte à beaucoup plus de prudence. La vente des préservatifs devient clandestine. L’initiation aux techniques contraceptives se fait au travers de l’éducation sexuelle.

a) La presse
Un journal mensuel se trouve au centre de chaque organisation néo-malthusienne. Presque exclusivement diffusé par abonnement, c’est lui qui assure la liaison entre les groupes, entre les militants et les sympathisants. Ces journaux, dont une collection quasi-complète se trouve à l’IIHS, confirment ce qui vient d’être dit à propos de la propagande. Jusqu’en 1920, les rubriques liées aux problèmes démographiques, aux procédés contraceptifs, y côtoient la présentation des produits et objets en vente. A cela s’ajoutent, et c’est souvent le plus intéressant, des articles et des "brèves " d’actualité, mines de renseignements sur la vie des mouvements et des groupes locaux, sur les publications et les conférences, sur les témoignages de sympathie, les déclarations et les actes hostiles. Après 1920, leur rédaction est contrainte à la prudence. Chacun d’entre eux pourrait néanmoins légitimer, selon la loi, une série de procès. Toutes les pièces comptables relatives à ces journaux ainsi que les listes d’abonnés, ont hélas disparu.
- Régénération
Fondé par Paul Robin en 1900, dirigé par Eugène Humbert à partir de 1902, Régénération est l’organe de la Ligue de la Régénération humaine. Il disparaît en 1908 après la rupture entre Eugène Humbert et Paul Robin.
(Collection complète à l’IIHS)
Les pièces concernant la vie du journal sont, dans ces archives, rares. On est beaucoup mieux renseigné sur sa mort, suite à la brouille survenue en 1908 entre Robin et Humbert.
Dans une lettre datée du 18 février 1908 (dossier 15), Robin demande à E. Humbert sa démission du poste d’administrateur gérant du journal Régénération. Les motifs de cette éviction ne sont pas clairement exprimés. Robin accuse Humbert d’avoir fait "concorder ses intérêts et ses convictions" sans donner d’autres précisions.
Autre témoignage direct de la rupture entre Robin et Humbert : une lettre non datée d’E. Humbert à "Mon cher Ami" (?) qui fait état de ses regrets quant à l’attitude peu conciliante de Paul Robin. Pour Humbert, la "haine" de Robin explique le déclin du journal Régénération. Il y récuse les insinuations de Robin : "Pour son plus grand malheur, Paul Robin s’est laissé circonvenir par deux ou trois fripouilles qui conduisent tout droit Régénération à sa ruine (...)." (dossier 119 a).
Quant aux témoignages indirects, ils se trouvent, notamment, dans le dossier 109a. Une lettre du 28 juillet 1908, adressée par un inconnu (signature maçonnique) à Eugène Humbert, rend compte de la brouille entre les "deux partis frères ennemis". L’auteur de cette lettre souhaite, de même, dit-il, que Nelly Roussel, cesser sa collaboration rédactionnelle avec Régénération (voir, de plus, les lettres de Humbert (25 novembre 1909) et d’Urbain Gohier (27 novembre 1909) dans ce même dossier 109a).
Pour compléter ces quelques lettres, il est possible de se reporter aux journaux Régénération et Génération consciente.
Les biographies de Paul Robin et d’Eugène Humbert, respectivement écrites par Gabriel Giroud, Paul Robin (1937) (à l’IIHS) et par Jeanne Humbert, Eugène Humbert, la vie et l’oeuvre d’un néo-malthusien (1947) (à l’IIHS) relatent également cette séparation. Il est à noter que ces deux livres donnent des versions quelque peu différentes des causes de la rupture entre Humbert et Robin.

- Génération consciente
Génération consciente, fondé par Humbert en 1908, paraîtra régulièrement jusqu’à la Première Guerre mondiale. C’est un journal prospère. Eugène Humbert rétribue tous ses collaborateurs à l’exception de Gabriel Giroud qui le refuse. Selon Jeanne Humbert (lettre du 14 novembre 1971 à René Bianco) Génération consciente aurait eu plus de 10.000 abonnés. Cette prospérité lui a permis de survivre, car, en quelques années, le journal va subir un total de plus de 7.000 francs-or d’amendes.
Un des moyens de mesurer l’importance des persécutions subies par les néo-malthusiens et des sympathies qu’ils pouvaient mobiliser peut être l’étude des documents touchant à la campagne de la "Lettre ouverte à Monsieur le Sénateur Bérenger" lancée en 1911.
Le récit de cette initiative peut se trouver dans Génération consciente mais le fonds d’archives Humbert livre, de plus, une masse d’informations importante.
Dans le dossier 126, notamment, figurent quelques unes des signatures accordées pour cette lettre ouverte, celle d’Anatole France, Sylvie Camille Flammarion, Xavier Privas, Maurice Magre et Victor Margueritte... Le 3 novembre 1911, Nelly Roussel écrit : "Contre ces gens-là, contre leur hypocrisie malfaisante, je signerai tout ce qu’on voudra" (dossier 177).
Pour ce qui est des refus de soutien, le dossier 109a est à signaler. Il révèle quelques incohérences dans les prises de position de certains néo-malthusiens et sympathisants. Ainsi, le député socialiste Sixte-Quenin, après avoir soutenu l’inscription des néo-malthusiens sur la liste des amnistiés (lettre du 11 juin 1910), se rétracte-t-il dans une lettre adressée à E. Humbert datée du 13 mai 1911, où il signifie son refus de signer la lettre ouverte. Jean Marestan, en désaccord avec la méthode employée, ne signera pas la pétition (lettre du 17 avril 1911, dossier 109a).
Pour ce qui est des réactions provoquées par cette lettre ouverte dans les milieux natalistes et catholiques, on peut lire, dans le dossier 110, la réponse brutale d’Etienne Branly (23 mars 1912). Voir, également, les lettres de Gabriel Giroud (dossier 86). Celle du 2 juin 1911, où il évoque la joie de Paul Robin d’avoir été dénoncé par Marc Sangnier comme l’instigateur de cette campagne, celles des 14 juin et 26 août 1911...
(Collection complète de Génération consciente à l’IIHS.)

 
La Grande Réforme (Eugène Humbert)
Fondée par Humbert en 1931, La Grande Réforme aura cent numéros avant de disparaître avec la Seconde Guerre mondiale. Certainement moins diffusé que Génération consciente, ce journal devait néanmoins avoir un nombre d’abonnés relativement important puisque les ressources provenant de la vente des préservatifs étaient devenues très modestes.
(Collection complète à l’IIHS.)
- La Grande Réforme (Jeanne Humbert)
Fondé par Jeanne Humbert en 1946, ce journal aura 32 numéros avant de disparaître, faute de moyens, en 1949. Selon le journal intime de Jeanne Humbert (10 juin 1949, dossier 5) il n’aurait jamais atteint le chiffre de 400 abonnés.
(Collection presque complète à l’IIHS.)

 Autres journaux
Après la rupture entre Robin et Humbert, Le Malthusien (dirigé par Albert Gros) se présente comme le successeur de Régénération. Il vivra jusqu’en 1914 et aura, après la guerre, un seul numéro avant de se saborder lors du vote de la loi 1920.
Durant l’hiver 1910-1911, s’est créée une Fédération des Groupes ouvriers néo-malthusiens, constituée essentiellement d’anciens militants et sympathisants de la Ligue de la Régénération humaine, qui, en mars 1911, lance le journal Rénovation qui paraîtra jusqu’à la guerre.
A partir de 1916, Gabriel Giroud tente de faire renaître une presse néo-malthusienne. Il fonde Le Néo-malthusien, immédiatement interdit, puis, La Grande Question, enfin, le Néo-malthusianisme qui subissent le même sort. En mars 1919, il reprend Le Néo-malthusien qu’il éditera jusqu’au numéro de juin-juillet 1920.
Avant la Première Guerre mondiale, le succès du néo-malthusianisme incitera certains journaux révolutionnaires à publier des articles, et même des brochures, sur la limitation des naissances, parfois, à vendre des préservatifs. Sans être véritablement un journal néo-malthusien, La Femme Affranchie de Gabrielle Petit accorde une très large place à ce thème tandis que sa directrice prononce des conférences sur le sujet et reçoit en consultation ses lectrices.
Les archives de Jeanne Humbert ne sont pas les archives du néo-malthusianisme. Elle n’a pas conservé les journaux concurrents qu’elle devait certainement lire. Seuls, quelques numéros du Néo-malthusien s’y trouvent. On peut, toutefois, consulter à l’IIHS plusieurs numéros de Rénovation des années 1911, 1912, et 1913, l’essentiel des numéros du Malthusien des années 1908-1909 à 1914, et une collection complète des journaux publiés par Giroud (sous le pseudonyme de G. Hardy).

b) Les conférences
Les orateurs des organisations néo-malthusiennes ont prononcé, dans des lieux allant des arrières salles de cafés aux plus grandes salles parisiennes, un nombre incalculable de conférences. Jusqu’à la loi de 1920, l’ordre du jour de la plupart des petites conférences correspondait aux objectifs de la propagande. A une première partie, consacrée aux questions démographiques, succédait une initiation au processus de la reproduction et aux techniques contraceptives. La soirée se terminait fréquemment par une quête en faveur de grévistes ou de camarades condamnés, souvent par des chansons et parfois par un bal. Pour les grands meetings, qui regroupaient 1.000 à 2.000 auditeurs, généralement organisés pour protester contre la répression, on faisait appel à des orateurs susceptibles d’emplir une salle. Si la deuxième partie pouvait être "artistique" : prestation de chanteurs, récitation de poésies, etc., on n’y faisait jamais d’exposé pratique sur la contraception.
Dans les années 1930, Jeanne Humbert prononce un très grand nombre de conférences pour présenter ses livres relatant ses séjours en prison, sur le nudisme, sur la libération sexuelle, sur les questions démographiques et, surtout, dans le cadre de la campagne menée par la Ligue internationale des Combattants de la Paix.
Les informations concernant ces conférences sont très abondantes. Elles étaient surveillées et les archives de la police en témoignent amplement. Les plus importantes d’entre elles font l’objet d’un compte-rendu dans les journaux néo-malthusiens. Les archives de Jeanne Humbert contiennent des affiches et des tracts appelant à y assister (dans le dossier 471, une vingtaine de tracts appelant à des conférences de la Ligue de la Régénération humaine. Dans le dossier 249, une vingtaine de tracts pour des conférences de Génération consciente. Dans le dossier 239, une cinquantaine de tracts et d’invitations pour des conférences de Jeanne Humbert. Un très grand nombre de coupures de presse sur les conférences prononcées par Jeanne Humbert au cours des années 1930 dans le dossier 244). On y trouve également les textes d’un certain nombre de discours, des collections d’articles qui leur ont été consacrés.
Les expériences de l’oratrice Jeanne Humbert sont souvent relatées dans sa correspondance.

c) Feuillets, brochures, livres, etc.
L’IIHS possédait un très grand nombre d’imprimés produits par les néo-malthusiens que la collection de Jeanne Humbert a grandement enrichi. Ainsi se trouve réuni une documentation presque complète, sans équivalent en France, où, suite à la loi de 1920, beaucoup d’ouvrages, et en particulier ceux contenant la description des procédés contraceptifs et abortifs, ont disparu des bibliothèques. Il faut savoir que certains livres écrits par les néo-malthusiens ont connu une très importante diffusion. Les Moyens d’éviter la grossesse de Gabriel Giroud se sont vendus à plus de 100.000 exemplaires, L’éducation sexuelle de Jean Marestan à plus de 200.000 exemplaires...
Les recherches sur le néo-malthusianisme ne doivent pas négliger d’autres sources et, en particulier, la production des artistes anarchistes ou anarchisants. Les poètes et chansonniers (J.B. Clément, Gaston Couté, J. Rictus, Montéhus, Charles d’Avray, etc.), les dessinateurs (surtout l’équipe de l’Assiette au beurre -collection complète à l’IIHS-). Dans le dossier 102, lettres de Charles d’Avray (1907), de Léon et Ana de Bercy ( 1908, 1913...), Paul-Napoléon Roinard (1917), Montéhus (1930), Han Ryner (1937)...

d) Relations internationales
La fin du XIXème siècle a vu la multiplication des congrès, des expositions, des organismes internationaux. Les organisations ouvrières et socialistes ont participé à cette évolution et les néo-malthusiens l’ont fait à leur tour.
Le premier Congrès international néo-malthusien a lieu à Paris, à l’occasion de l’Exposition universelle de 1900. Paul Robin, les docteurs Drysdale et Rutgers, Emma Goldmann... y participent. La création d’une Fédération universelle de la Régénération humaine y est décidée. Le deuxième Congrès international néo-malthusien fut organisé à Liège en 1905. Lors du troisième Congrès (La Haye, 1910), est mis en place un bureau international néo-malthusien. Un autre Congrès eut lieu à Dresde en 1911.
Après la guerre de 1914-1918, il est plus juste de parler de congrès des mouvements en faveur du birth control, beaucoup moins politisés, que de congrès néo-malthusiens. C’est déjà le cas à Amsterdam en 1921. Le Congrès de Zurich, en 1930, prend le nom de "Congrès international du birth control".
Le principal avantage de cette coopération internationale a rapidement été d’organiser l’aide matérielle en faveur des mouvements et des militants touchés par la répression. En particulier, en faveur des Français.
Concernant les relations établies par les néo-malthusiens de différents pays telles que nous les présentent ces dossiers, je m’en tiendrai à l’exemple de l’année 1911.
Le dossier 109a regroupe des lettres reçues à Génération consciente.
Dans une lettre du 3 mars 1911, Max Hausmeister, Die Soziale Harmonie (Stuttgart) craint le vote d’une loi interdisant la vente des préservatifs en Allemagne : âgé de 71 ans, malade, il pense devoir arrêter la publication de son journal. Le 15 mars 1911, une lettre du journal Hornické Listy affirme qu’ "un grand nombre de causeries et conférences ont déjà eu lieu dans toute la Bohème", des brochures néo-malthusiennes ont été traduites en tchèque, et demande de clichés d’illustrations. On peut lire, également, une lettre d’Hélène Stöcker, Die neue Generation (Berlin) du 30 novembre 1911. Plusieurs lettres de Charles Drysdale, de la ligue néo-malthusienne anglaise, sur la préparation du Congrès international de Dresde. Il souhaite que l’on évite de parler de la répression pour conserver au Congrès son caractère scientifique.
Les nombreuses lettres et cartes postales adressées par le docteur Rutgers de La Haye (dossier 201) touchent de nombreux aspects de la coopération internationale néo-malthusienne. Voir également les lettres de Fernand Mascaux, fondateur du mouvement néo-malthusien belge (dossier 44).
Les lettres de Gabriel Giroud (dossier 86) sont également très éloquentes. Souscription en faveur du camelot néo-malthusien britannique James White, qui devait mourir en prison. Aide du Bureau international néo-malthusien à Humbert pour l’aider à supporter les frais de sa récente condamnation. Préparation du Congrès de Dresde...
Pour ce qui est de la période de l’Entre-deux-guerres, l’un des thèmes d’étude les plus intéressants peut être celui du regard des néo-malthusiens français sur l’évolution des Anglo-saxons vers le birth-control. Je pense, en particulier, à des lettres de Gabriel Giroud (dossier 86) adressées à Humbert pendant l’été 1921 : "Les Anglais marchent admirablement comme les Américains. (...) Ils sont en général favorables au birth-control. Et nos amis exploitent comme il faut les dispositions favorables du gouvernement, de la presse, de l’opinion publique." "Le Dr. Drysdale (...) m’annonce que les cliniques de préservation sexuelle se multiplient en Angleterre et que les prêtres, même les prêtres catholiques, commencent à s’intéresser sérieusement à la question pratique." "Margaret Sanger me convoque pour novembre...à New York, Congrès de contrôle des naissances..." "Les Anglo-Saxons prennent la tête de tout, non seulement en néo-malthusianisme, mais en puissance économique, financière etc.. Ce sont des dolichocéphales blonds aux yeux bleus qui deviendront les maîtres du monde, selon la prédiction de M. Vacher de Lapouge. (...) L’action menée en Amérique est peut-être plus énergique encore que celle des Anglais. Margaret Sanger est une femme fort énergique et qui a bravé les persécutions. Il semble qu’elle soit soutenue par une pléiade de médecins éminents dont W. Robinson, le président de la plus grande association médicale américaine et Havelock Hellis, l’auteur d’ouvrages sur la pathologie sexuelle.
Mais je n’irai pas en Amérique pour beaucoup de raisons."
Si les anglo-saxons sont accusés d’avoir abandonné le néo-malthusianisme pour le birth-control, leur aide sera précieuse, particulièrement aux Humbert, pour payer leurs amendes (voir les lettres de Margaret Sanger et du Dr. Robinson).
III Réactions favorables et hostilités
1 Relations avec les mouvements politiques et philosophiques
Le néo-malthusianisme le plus orthodoxe est une doctrine bâtie autour d’une idée, la nécessité de la limitation des naissances, qui s’oppose à toutes les théories politiques antérieures. C’est une véritable panacée qui, aux yeux de ses partisans, rend caduques toutes les autres thèses visant à améliorer le sort de l’humanité. La croissance économique souhaitée par les libéraux n’aura aucun effet bénéfique si elle s’accompagne d’une croissance démographique non contrôlée et plus rapide. Le progrès social souhaité par les socialistes réformistes sera interdit par le déséquilibre croissant entre des populations prolifiques et une production obligatoirement limitée. Aux rêves des révolutionnaires s’opposent deux réalités incontournables. La première est que l’armée des opprimés ne disposera jamais de forces suffisantes tant qu’elle ne pourra recruter que parmi des individus handicapés par l’asservissement social et par des charges familiales écrasantes. Si la révolution était néanmoins victorieuse, la deuxième objection soulevée par les néo-malthusiens prendrait le relais : la société idéale devrait maintenir l’équilibre entre la population et les ressources disponibles.
Ce qui précède explique l’hostilité au néo-malthusianisme de toutes les écoles politiques constituées autour d’une théorie rigide. C’est le cas, chez les anarchistes, des communistes, bakounistes et kropotkiniens. Marx ayant condamné les théories de Malthus et Lénine le néo-malthusianisme, l’opposition des communistes marxistes sera constante. Le rejet des thèses malthusiennes et néo-malthusiennes par les leaders socialistes, tant réformistes que révolutionnaires, est aussi générale. Pour la droite, les idées de Malthus pouvaient être acceptables -elles l’ont été au XIXème siècle- mais, ne serait-ce que pour ne pas s’aliéner l’opinion catholique, celles des néo-malthusiens ne le sont pas.
D’autre part, la frontière tracée entre nationalisme et patriotisme a toujours été effacée par l’exigence commune de disposer d’importants effectifs de conscrits.
Il reste, enfin, qu’il ne sied pas à un homme politique susceptible d’accéder aux fonctions les plus hautes de montrer de l’intérêt pour des questions relatives à la sexualité, surtout s’il s’agit de défendre des pratiques traditionnellement condamnées.
Pour toutes ces raisons, le néo-malthusianisme n’a pu toucher que des esprits peu attachés aux dogmes partisans : beaucoup d’anarchistes individualistes, les hervéistes et des personnalités indépendantes chez les socialistes, quelques républicains radicaux...
Les héritiers de la philosophie des "lumières", francs-maçons, libres penseurs... donnèrent souvent l’image de la même rigidité, ou, du moins, des mêmes réticences.
L’hostilité des hommes politiques à l’égard des théories démographiques malthusiennes ne suffit pas à expliquer l’oubli des principes démocratiques dont beaucoup d’entre eux firent preuve lorsqu’ils ont eu à juger des persécutions judiciaires subies par les néo-malthusiens ou de l’interdiction de la contraception et de l’avortement.
Sur ces deux points, l’attitude de la gauche apparaît très déconcertante, et même, à première vue, contradictoire. En 1924, les députés communistes demandent l’amnistie en faveur des condamnés victimes des lois de 1920 et 1923. Cette proposition est repoussée par la Chambre du "Bloc des gauches". En 1933, incité par la Ligue des Droits de l’Homme, le député radical Henri Gernut propose l’amnistie des condamnés pour "propagande anticonceptionnelle", tandis que le député communiste Clamamus demande que soient amnistiés tous les condamnés au titre de la loi de 1920. L’amendement Gernut est adopté, l’amendement Clamamus repoussé, mais Vincent Auriol, Léon Blum, Jean Longuet, Jules Moch... l’ont voté. En 1933, Sixte-Quenin, député socialiste, demande la légalisation de la propagande antinataliste, et un groupe de députés communistes la liberté de la contraception et de l’avortement, propositions non discutées. En 1936, le Front Populaire au pouvoir refuse d’inscrire les néo-malthusiens parmi les bénéficiaires de sa loi d’amnistie. Lors de ses épisodiques passages au gouvernement, la gauche est inactive sur ces sujets, en revanche, c’est elle qui par ses suffrages unanimes, permet l’adoption des projets défendus par les députés de droite Lucien Neuwirth en 1967 et Simone Veil en 1975.
Comme illustration de l’hostilité des communistes anarchistes, voir la lettre de Paul Reclus (dossier 199).
Le "journal" de Jeanne Humbert (dossier 4 à 8) exprime souvent de fortes rancoeurs à l’égard des hommes politiques de gauche, bien que ceux-ci aient fréquemment répondu favorablement aux sollicitations qui leur ont été adressées dans les heures les plus difficiles. Deux exemples : le 14 janvier 1911, une lettre de Pierre Brizon, député socialiste : "Je suis tout disposé à me joindre à nos amis pour réclamer le régime politique qui vous est dû. Mais n’avez-vous pas d’autres réclamants que des socialistes ? Nous sommes bien mal vus - et pour cause !"
Après son inculpation de 1933 et sa condamnation de 1934, Jeanne Humbert reçoit de nombreuses lettres de soutien (Paul Langevin, Henri Barbusse, Berty Albrecht, Victor Margueritte, Victor Basch - président de la Ligue des Droits de l’Homme-, Comité de vigilance des intellectuels antifascistes...) et des promesses d’intervention. Néanmoins, en juillet 1933, dans une lettre à Emile Bauchet, elle écrit : "La maçonnerie s’occupe, la L.D.H. aussi, mais je sais fort bien que ni d’un côté, ni de l’autre, on ne se compromettra pour moi".
2 Relations avec les organisations syndicales
Les syndicalistes révolutionnaires, majoritaires au sein de la C.G.T. (alors seule confédération syndicale française) jusqu’en 1912, et, encore très puissants après cette date, ont apporté un appui massif et précieux aux néo-malthusiens. Les syndicats prêtent des salles pour les conférences, abritent des groupes néo-malthusiens, votent des motions d’appui à leurs thèses et incitent leurs membres à adhérer à leurs organisations ou à lire leurs journaux ...
Après la guerre, le nouveau visage des milieux socialistes et syndicaux est on ne peut plus défavorable aux néo-malthusiens. Les grandes centrales leur sont désormais hostiles. Les seuls témoignages de sympathie qu’ils recevront ne viendront désormais que des petites organisations syndicalistes révolutionnaires, de groupes d’instituteurs ou, à la C.G.T., du syndicat des correcteurs de presse demeuré favorable aux idées libertaires. Aussi, comme beaucoup de vieux militants sans fortune ni retraite, Jeanne Humbert deviendra correctrice. Débutante à 68 ans, elle ne quittera ce nouveau métier qu’à plus de 80 ans, lorsqu’on l’obligera à le faire.
Dans le dossier 102, carte postale de Paul Delesalle (1907), lettre de Georges Yvetot (1909). Dans le dossier 117, de Louis Louvet qui, secrétaire du Syndicat des correcteurs, permettra à Jeanne Humbert de devenir correctrice.

3 Néo-malthusianisme et féminisme
Si l’histoire du néo-malthusianisme fait incontestablement parti de l’histoire du féminisme, peut-on pour autant dire que le néo-malthusianisme est une doctrine féministe ? Paul Robin a constamment fait preuve d’un réel engagement féministe. A Cempuis, en pratiquant une mixité totale. Dès ses premiers feuillets de propagande : Aux gens mariés !, Femmes, Soeurs bien-aimées ! comme dans l’ensemble de ses écrits. En se faisant exclure du Grand Orient pour avoir adhéré à la maçonnerie mixte. En plaçant en tête des six exigences définissant, pour lui, le contraceptif parfait : "1- Dépendre uniquement de la femme"...
Ses disciples n’ont pas toujours, comme il le faisait, privilégié les femmes dans leurs réflexions. Ils étaient cependant conscients que le succès de leurs efforts dépendait principalement de leur aptitude à les convaincre et que leur action ouvrait de réelles perspectives d’émancipation féminine. Il y eut, également, de grandes figures du mouvement féministe qui participèrent au combat néo-malthusien : Nelly Roussel, Madeleine Pelletier, pour ne citer qu’elles.
A l’encontre de ce qui précède, on peut observer que les femmes ont toujours été peu représentées parmi les militants néo-malthusiens, mais, surtout, que les organisations féminines ou féministes constituées se sont généralement montrées très hostiles au néo-malthusianisme. Ainsi, en 1911, le Conseil national des femmes françaises, qui regroupait 80 associations, a créé une "Ligue contre le crime d’avortement" qui réclama des poursuites contre la propagande néo-malthusienne. La majorité des femmes organisées était d’opinion modérée, et, jusqu’en 1944, se regroupait autour de la revendication du droit de vote, ce qui, bien sûr, paraissait dérisoire aux néo-malthusiens.
Si le lien entre le néo-malthusianisme et le féminisme ne fut pas toujours admis ou même envisagé par la majorité des féministes, le fonds Jeanne et Eugène Humbert conserve toutefois la trace de nombreuses militantes parmi lesquelles se détachent les figures fort différentes de Nelly Roussel et d’Henriette Alquier.
Ralliée très tôt aux thèses néo-malthusiennes développées par Paul Robin, auquel elle rendra en 1912 dans Génération consciente un triste et pieux hommage (voir la lettre adressée à Eugène Humbert le 19 septembre 1912), Nelly Roussel eut une correspondance relativement importante avec E. Humbert, témoignage de sa collaboration suivie à la presse et, plus généralement, à la propagande néo-malthusienne.
Cette correspondance (1904-1914), réunie dans le dossier 177, est accompagnée de quelques tracts de conférences animées par la grande oratrice.
L’étude de ces lettres à caractère professionnel (publication d’articles, correction d’épreuves, préparation de conférences...) permet de compléter, ou du moins de confirmer, les traits psychologiques souvent accordés à Nelly Roussel : ceux d’une femme intelligente et déterminée. Son style est particulièrement précis, efficace, parfois virulent, toujours vivant.
Sa fille, Mireille Godet, le souligne dans une lettre adressée à Jeanne Humbert le 5 décembre 1971 : "Dans ces lignes on retrouve toute sa fougue, tout son enthousiasme." (Dossier 155)
Pour compléter ce portrait de Nelly Roussel, il faudra se reporter au dossier 156 qui contient les lettres de son mari, le sculpteur Henri Godet. Celles-ci révèlent la relation particulièrement étroite des deux compagnons tant dans le domaine public que privé. C’était en effet Henri Godet qui très souvent se chargeait du courrier de Nelly Roussel et l’assistait dans l’organisation technique de ses prestations publiques. Il entreprendra, plus tard, de publier les textes de ces conférences dont beaucoup resteront néanmoins inédits : Nelly Roussel improvisait fréquemment ses interventions.
Autre période, autre figure du féminisme : celle d’Henriette Alquier.
Contrairement à Nelly Roussel, cette institutrice communiste exerçant dans l’Hérault n’était pas liée au mouvement néo-malthusien. Pourtant, en 1927, elle prend la responsabilité de publier, dans le Bulletin des Groupes féministes de l’enseignement laïque (supplément de l’Ecole émancipée), un article, "Maternité fonction sociale", dans lequel elle reproduit l’argumentation néo-malthusienne en décrivant la détresse des familles ouvrières. Elle ajoute à cette analyse, en opposition avec la loi de 1920, un programme d’éducation sexuelle et prénuptiale, destiné aux adolescents et adolescentes, qui eut fort satisfait l’éducateur Paul Robin.
Henriette Alquier, institutrice, menaçait ainsi aux yeux des natalistes (parmi lesquels Georges Perrot et Edouard Herriot qui furent ses accusateurs) non seulement l’avenir démographique de la France, mais aussi la santé morale de la jeunesse française.
Le dossier 139 est consacré à l’affaire Henriette Alquier (jugée le 10 décembre 1927 à Saumur). La correspondance entretenue de mai 1927 à juillet 1929 avec Eugène Humbert rend compte du soutien des groupes néo-malthusiens et de l’ensemble des progressistes du moment, soutien qui aboutira à l’acquittement d’Henriette Alquier.
La longue hostilité des organisations féministes au néo-malthusianisme n’a pourtant pas empêché de nombreuses jeunes militantes, dans les années 1970 et dans le contexte des luttes pour la liberté de l’avortement, de retrouver l’adresse de Jeanne Humbert, qui n’hésitait pas à se montrer fort critique à l’égard des femmes mais dont le combat leur semblait précurseur de celui qu’elles livraient.
Pour un abord plus général de ce thème, on pourra se reporter au dossier 33 qui contient des coupures de divers journaux traitant du féminisme.

4 Moralistes et natalistes
Si la natalité a baissé en France depuis la fin du XVIIIe siècle, un siècle plus tôt que dans les autres pays européens, l’influence du malthusianisme et l’insuffisance des méthodes statistiques ont fait que les premiers signes d’inquiétude face à cette évolution ne se manifestent qu’à la veille de la guerre de 1870. Du reste, en 1851, avec près de 36 millions d’habitants, la France occupait le deuxième rang parmi les grandes puissances. En 1871, elle a rétrogradé à la quatrième place, derrière l’Allemagne qui a annexé l’Alsace et la Lorraine. En 1875, c’est le nombre annuel des naissances qui commence à baisser. L’Allemagne, alors que l’on attend l’heure de la "revanche", voit sa population s’accroître, par excédent naturel, trois ou quatre fois plus vite que la France. Dès lors, la France va connaître pour longtemps une fièvre nataliste, officielle et militante, unique par sa constante virulence.
Les natalistes trouvent des alliés naturels chez les défenseurs de la moralité publique, chrétiens ou républicains. Ainsi, les néo-malthusiens ont la satisfaction de voir la natalité reculer régulièrement -bien que pas assez vite à leur goût-, mais, parallèlement, se trouvent exposés à la haine croissante de ceux qui les accusent d’attenter aux bonnes moeurs et de ceux qui les désignent comme les fossoyeurs de la France. Ces dénonciateurs trouveront toujours une oreille attentive du côté des autorités qui vont s’employer à réprimer ces "agissements licencieux et criminels".
Le sénateur René Bérenger, président de la Fédération des sociétés contre la pornographie, qui faisait la joie des chansonniers montmartrois et des caricaturistes, est fréquemment et violemment attaqué dans ces archives. En plus de la campagne de pétitions pour la "Lettre ouverte..." (voir, ci-dessus, Génération consciente) on peut donner en exemple la lettre (sans date) du député Paul Vigné d’Octon classée dans le dossier 110 :
"L’érotomanie du sieur Bérenger, huguenot et sénateur, est aujourd’hui de notoriété universelle. (...) Enfin, pour toutes ces raisons, Bérenger restera une des figures les plus curieuses de notre époque. Si Balzac l’avait connu il est permis d’affirmer que la Comédie humaine compterait un type de plus dont la laideur physique et morale eut empli et vivifié un nouveau chef d’oeuvre."
Vigné d’Octon cite alors un poème, oeuvre d’un de ses confrères, qui amuserait beaucoup tous ses collègues de la Chambre :

"Dans nos jardins en fleurs, à la saison bénie,
Satyres et héros, éphèbes, demi-dieux
Au soleil printanier se pâmaient radieux,
Et c’était comme un coin de la douce Hellénie.
L’hirondelle frôlait leurs saintes nudités,
Les ramiers roucoulaient sous leurs socles de marbre,
Ils souriaient, heureux, dans la sérénité
De l’ombre qui tombait paisible des vieux arbres.
Mais Bérenger veillait ; et voici qu’en avril
Quand palpitent les nids dans les frondaisons vertes
On leur mit une feuille en zinc sous le nombril :
Et rirent les moineaux dans les allées couvertes.
Cela fut fait pour plaire au ci-dessus nommé
Par quelque Dujardin plus ou moins embaumé
Or quelques jours après, notre quart de ministre
Se trouvant nez à nez avec le fameux cuistre :
-" Eh bien ! cher Sénateur, vous voilà satisfait ?"
-" Heu ! comment le serai-je ? Il n’y a rien de fait."
-" Comment rien ?" -" Oui, rien, rien, excusez que je risque
Ce mot. Car vous avez oublié l’obélisque."

Les obsessions de Bérenger et de ses semblables coûtaient cependant très cher aux artistes et aux propagandistes qui attiraient son attention vigilante. Gustave Cauvin, le très dynamique et imaginatif animateur de la Fédération des Groupes Ouvriers Néo-malthusiens, en témoigne dans une lettre du 22 octobre 1913 conservée dans le même dossier.
Après le moraliste René Bérenger, la principale bête noire des néo-malthusiens fut le nataliste effréné Fernand Boverat, également mentionné souvent dans ces archives.

5 Procès et prisons
La législation française ne permettant pas, jusqu’en 1920, de réprimer la propagande néo-malthusienne, ceux qui s’y livrent vont, jusqu’à cette date, être jugés, et souvent condamnés, pour atteinte aux bonnes moeurs ou pornographie. Les procès qu’ils subissent, généralement sur plainte des ligues de défense de la moralité publique, sont très nombreux. Les peines prononcées vont de l’amende à la prison ferme. Avant la Première Guerre mondiale, on ressent toutefois certains scrupules des républicains au pouvoir à se prêter à de telles manoeuvres. Il est significatif de voir qu’Eugène Humbert, "le pornographe", est régulièrement admis, lors de ses séjours à la prison de la Santé, dans le quartier, au régime très privilégié, des prisonniers politiques. La situation est différente après le vote de la loi de 1920 qui interdit la propagande anti-nataliste et la divulgation des procédés contraceptifs et abortifs. Les condamnations sont beaucoup plus nombreuses, les peines beaucoup plus lourdes et leurs conséquences beaucoup plus graves. En 1921, Eugène Humbert est condamné à cinq ans de prison pour insoumission et propagande anti-nataliste. Jeanne Humbert est condamnée à deux ans de prison lors du même procès, et, en 1923, à une nouvelle peine de deux ans pour complicité d’avortement. En 1943, Eugène Humbert est condamné à dix-huit mois de prison pour provocation à l’avortement et propagande anticonceptionnelle. Il mourra dans le bombardement de la prison d’Amiens. Madeleine Pelletier, poursuivie, en 1939, pour complicité d’avortement, est placée dans un asile psychiatrique où elle mourra. En juillet 1943, une avorteuse est guillotinée.
L’attitude des tribunaux avant le vote de la loi de 1920 est fort bien résumée par une lettre du 26 mars 1911 où l’avocat d’Eugène Humbert lui annonce le rejet de son pourvoi en cassation : "La cour -tout en constatant que la propagation de la doctrine néo-malthusienne ne constitue pas par elle même, en l’état de la législation, un délit (...)- a estimé que certains articles contenaient des passages descriptifs contraires aux bonnes moeurs, par leurs expressions et leurs descriptions, abstraction faite de leur but".
Après que la loi ait permis de réprimer la propagande néo-malthusienne pour elle-même, les juges préféreront souvent, pour éviter de soulever des protestations ou afin de prononcer de plus lourdes peines, fonder leurs actions sur des accusations de complicité d’avortement. Des procédures assez discutables permirent alors de poursuivre le couple Humbert sous de tels chefs d’inculpation. Ainsi, en 1923, à Orléans, Jeanne est-elle condamnée à deux ans de prison pour avoir été complice d’un avortement dont les auteurs sont acquittés. En 1943, dans une affaire où il n’y avait finalement pas eu d’avortement, Eugène Humbert est inculpé de "complicité de tentative" d’avortement.
Sur les conseils du romancier anglais H. G. Wells, alors vice-président de la ligue néo-malthusienne britannique, Jeanne Humbert a écrit deux livres : Le Pourrissoir (1932) et Sous la cagoule (1933) pour relater ses séjours en prison. Ces deux livres se trouvent à l’IIHS. Les pièces réunies dans ce fonds comprennent également de très nombreuses lettres adressées par Jeanne à Eugène, souvent pendant ses détentions (dossiers 94,19,80), d’aussi nombreuses lettres envoyées, dans les mêmes conditions, par Eugène à Jeanne (dossiers 75,77,78), ou à sa fille (dossier 129).
A la veille de la Seconde Guerre mondiale, des néo-malthusiens vont espérer prendre une nouvelle fois la loi en défaut. Après Robin, qui, dans un poème, avait chanté les perspectives offertes par les rayons X pour des opérations de stérilisation, ils s’étaient régulièrement penchés sur les avantages de la vasectomie. Selon leur habitude, aux études théoriques devaient succéder des actes.
En 1932, la police autrichienne découvre qu’un groupe de médecins et de militants libertaires, organisé par Pierre Ramus, a stérilisé une centaine, au moins, d’hommes volontaires. Des arrestations s’ensuivent et un procès qui conclut à un acquittement général (voir la carte de Pierre Ramus à Eugène Humbert (19 mai 1933) dans le dossier 174). En 1935, éclate l’affaire des "stérilisés de Bordeaux". Un Autrichien, Norbert Bartozec, et des libertaires français, ont opéré plusieurs dizaines de volontaires. Ils sont poursuivis au titre des articles 309 (sur les violences) et 316 (punissant la castration) du Code pénal. Des condamnations de six mois à trois ans de prison (pour Bartozec) sont prononcées. Le rôle actif joué par les Humbert dans la défense des inculpés explique la présence d’importants dossiers consacrés à ce procès. Dans le dossier 504, se trouvent de nombreux articles relatifs à cette affaire. Dans le dossier 505, des lettres de Bartozec (signées "No", traduites et écrites par Marie-Louise Lavagne), de son avocat, Yves Charpentier, une copie du jugement...
Sur la vasectomie, voir également le dossier 443, les lettres d’Alain Kersauze à Jeanne Humbert (dossier 160) et sa thèse de médecine.
6 Combats pour le droit à la contraception et à l’avortement après la Seconde Guerre mondiale
Après la Seconde Guerre mondiale, les mouvements auxquels avaient adhéré les Humbert sont isolés et n’ont plus guère d’influence. Jeanne Humbert reçoit encore des commandes de livres et même, dans une lettre du 15 juin 1945, on lui demande "Avez-vous toujours la possibilité de fournir des préservatifs "bonne qualité - grande taille" ?" Son principal souci est de faire revivre La Grande Réforme. Un projet déjà annoncé dans une lettre du 2 décembre 1944 et qui se réalisera en 1946. Elle prononce à nouveau des conférences. Faute d’argent et d’abonnés, il lui faut pourtant rapidement renoncer à faire paraître son journal.
Dans les pays anglo-saxons, l’International Commitee on planned Parenthood (fondé en 1948) se développe et s’inquiète de recevoir nombre de sollicitations d’aide de femmes françaises. Il s’enquiert, auprès de Jeanne Humbert, d’un organisme français vers lequel on pourrait les diriger. Dans sa réponse, Jeanne Humbert, lui dresse le sombre tableau de la situation française (lettre du 5 décembre 1952, réponse du 20 avril 1953, dans le dossier 117).
En fait, sous l’influence anglo-saxonne, la question du contrôle des naissances va désormais être posée d’une toute autre façon. C’est un grave problème, qui exige des remèdes de type malthusien, dans le Tiers-Monde prolifique. Dans les pays riches, dont la natalité, passé le "baby-boom", a continué de baisser, ce n’est plus qu’une exigence du respect des libertés individuelles.
C’est sur ces bases que se développe, à partir de 1956, et après une campagne de presse de Jacques Derogy dans Libération (articles regroupés dans le dossier 302), "La Maternité heureuse", qui deviendra le Mouvement français pour le Planning familial, et que le parlement français autorisera la contraception en 1967 et l’avortement en 1974. Si le dernier carré des néo-malthusiens applaudit à de telles mesures, il est manifeste qu’il ne peut y voir de triomphe de ses idées. Ce, d’autant plus que la loi Neuwirth, autorisant la contraception, est une nouvelle loi anti-malthusienne. Son article 5, adopté sans provoquer de protestation d’un seul député ou sénateur, précise en effet : "toute propagande antinataliste est interdite". Une disposition certainement unique au monde. Le fantôme du néo-malthusianisme faisait encore peur.
Bien que le mouvement soit à l’agonie, on peut encore trouver dans ces dossiers, outre le récit des efforts désespérés de Jeanne Humbert, quelques renseignements sur l’activité des derniers militants étrangers. Henri Gächter, propagandiste néo-malthusien suisse, parle de la répression anti-malthusienne dans son pays et des peines de prison qu’il a subies (21 août 1946). C. Daglio (de Torpona), délégué de l’Universale Espéranto Asocia et de la S.A.T." Association mondiale des apatrides" demande des conseils pour développer la propagande en Italie et en Allemagne.
Concernant l’Allemagne, un correspondant non identifié, écrivant sur papier à en-tête des Nouvelles de France (Constance), s’inquiète de la disparition du néo-malthusianisme en Allemagne. Il accuse les anarchistes allemands d’être "très kropotkiniens et lapinistes excepté Willy F." (23-12-49). Günter Müller, de Heidelberg, se signale pourtant comme auteur d’un ouvrage malthusien : Der Weg ins Freie (lettre du 4-10-1950).
Une lettre en espagnol, du 13 juin 1950, décrit la difficile situation des anarchistes dans l’Espagne franquiste (dossier 117).
Sur les différences entre néo-malthusianisme et planning familial, voir la lettre de Pierre Bellino (6 février 1962), et de Paule Lafont (16 janvier 1962) (dossier 117).
Dans une lettre de janvier 1973, Jeanne Humbert se félicite des billets chaleureux et des livres que lui a adressés Marie-Andrée Weill-Hallé, pour ajouter aussitôt : "mais ces gens là sont "contraceptionnistes", mais pas "néo-malthusiens" dans notre sens révolutionnaire.(...) Et ils préfèrent nous ignorer" (dossier 118).
Dans son journal (dossiers 7 et 8), Jeanne Humbert expose fréquemment, et parfois violemment, ce qui la sépare du M.F.P.F, et, bien qu’elle soit, en 1974, devenue adhérente du mouvement Choisir, des nouvelles organisations luttant pour la liberté de l’avortement.
IV Combats annexes
1 Education intégrale
Suivant une ancienne tradition progressiste, il s’est rapidement développé chez les anarchistes une tendance à lier la perspective révolutionnaire et l’avenir de la société future à la formation d’individus conscients, et donc, à privilégier l’action éducative. Après avoir été formé comme un enseignant traditionnel, Paul Robin est devenu un important théoricien - et, pendant qu’il dirigea l’orphelinat de Cempuis, un praticien - d’une pédagogie novatrice, par ses buts comme par ses méthodes, qu’il voulait "Education intégrale". Une des premières réunion de la Ligue de la Régénération humaine se tint chez l’anarchiste Francisco Ferrer, le fondateur de L’Escuela Moderna. Pendant plusieurs années, Sébastien Faure utilisa le revenu de ses conférences pour faire vivre un orphelinat libertaire : "La Ruche". Gabriel Giroud était instituteur et auteur d’ Observations sur le développement de l’enfant et de Cempuis, Education intégrale (1900, à l’IIHS). Manuel Devaldès a écrit L’Education et la liberté (1900, à l’IIHS)...
Dans sa brochure, L’Education intégrale (s.d., à l’IIHS), Robin définit ses principes comme la "culture harmonique de toutes les facultés : physiques, intellectuelles et affectives", et précise ensuite : "il ne faut donner naissance qu’à des enfants qui aient le plus de chances possibles d’être heureux et utiles". Il peut se faire le vulgarisateur de la méthode de l’enseignement musical dit de la "musique modale", de la sténographie Aimée Paris, lorsqu’il publie sa brochure Dans l’eau - Nager sur le ventre, sur le dos - Le sport - Plonger - Sauvetage (il avait fait creuser une piscine aux pensionnaires de Cempuis et fondé à Mers-les-Bains une des premières colonies de vacances) il en dédie l’édition de 1908 "aux enfants bien nés de toute notre planète" (à l’IIHS).
Les néo-malthusiens considéraient que leur action relevait de l’éducation et non de la propagande. Ils donnaient très souvent leurs conférences - qui ressemblaient à de véritables cours - dans les institutions d’éducation populaire : maisons du peuple, universités populaires... En sens inverse, les enseignants étaient particulièrement représentés parmi les abonnés de leurs journaux.
2 Eugénisme
L’eugénisme était inclus dans la "bonne naissance" de Paul Robin et les néo-malthusiens n’ont cessé d’y faire référence en tant qu’un des objectifs de leur action. Il leur est même arrivé de le présenter comme leur principale préoccupation. A partir de 1912, après le Congrès international d’eugénisme de Londres, Le Malthusien se définit comme "Revue eugéniste". Le banquet organisé en 1939 pour célébrer le centième numéro de La Grande Réforme est annoncé "dîner eugéniste" (dossier 195).
La préoccupation eugénique est certainement la seule que les néo-malthusiens aient partagé avec un bon nombre de leurs adversaires natalistes. Il ne s’agit toutefois pas du même eugénisme. Si les natalistes sont surtout préoccupés par la nécessité de maintenir la pureté de la "race française" contre les dangers d’invasion guerrière ou pacifique, les néo-malthusiens, en souhaitant prévenir les naissances indésirables incluent sous cette formule celles qui pouvaient être porteuse de "tares héréditaires". L’eugénisme qui devait inspirer les pires doctrines criminelles, a exercé une très forte influence à la fin du XIXème siècle et pendant la première moitié du XXème. Cette influence se manifeste dans ces archives par quelques formules choquantes (par exemple le mot "taré", alors d’usage courant) et par l’approbation de mesures inquiétantes telles que les stérilisations imposées aux Etats-Unis, en Allemagne, au Mexique... On n’y trouve toutefois aucune trace des déviations qui ont inspiré les plus monstrueux excès : racisme, xénophobie... si présentes, à la même époque, dans de nombreux courants de l’opinion. Dans le livre qu’elle a consacré à son époux, Eugène Humbert, Jeanne Humbert écrit (p.219) :
"L’eugénisme, pour eux, n’était que le petit côté de la question et s’ils semblaient lui donner tout d’abord une place prépondérante, c’était pour atteindre à la question primordiale, à la question majeure de la limitation méthodique des naissances, sans trop attirer l’attention cafarde des cacogénistes tapageurs et patentés."
Liés à l’eugénisme, on peut également consulter dans ces dossiers des lettres adressées à Jeanne Humbert par Louise Hervieu (romancière, handicapée héréditaire, qui combattit avec succès pour la mise en place du carnet de santé) (157), des revendications de la liberté du suicide et de l’euthanasie, dont un poignant dossier établi par deux infirmes (dossier 118).
3 Pacifisme
Malthus incluait les guerres dans les "obstacles répressifs" qui rétablissent brutalement et cruellement l’équilibre entre les effectifs humains et les subsistances disponibles. Les socialistes révolutionnaires, les anarcho-syndicalistes et les anarchistes combattaient activement le militarisme et le nationalisme. L’engagement pacifiste des néo-malthusiens a naturellement été constant. Ce fonds d’archives est donc aussi important pour l’étude du pacifisme que pour l’étude du néo-malthusianisme.
Sur le pacifisme de Robin, le peu de manuscrits conservés impose de recourir aux sources imprimées.
Humbert a été lié aux plus grandes figures du pacifisme révolutionnaire d’avant la Première Guerre mondiale : Almereyda, Hervé, Lecoin, Yvetot... qui furent ses compagnons de détention (voir le fonds des documents photographiques). Contrairement à de nombreux anarchistes et anciens pacifistes, les néo-malthusiens ne se sont pas ralliés, en 1914, à la défense nationale. Humbert s’est insoumis, s’est réfugié en Espagne où il a été rejoint par Jeanne Rigaudin.
On trouve, dans ce fonds, des témoignages sur le petit cénacle artistico-révolutionnaire que, pendant la Première Guerre mondiale des réfugiés pacifistes avaient constitué sur la Costa Brava. Les Humbert y côtoient Victor Serge (lettre de Kibaltchiche (s.d.)), Arthur Cravan (1917), Picabia... (dossier 102)
Pendant l’entre-deux guerres, les Humbert ont adhéré à plusieurs organisations pacifistes, françaises ou internationales, et été en relation avec de nombreuses autres. Jeanne Humbert, pour éviter de s’exposer trop ouvertement à la répression prévue par la loi de 1920, a souvent, dans ses conférences, abordé le néo-malthusianisme sous le couvert du pacifisme. Elle était membre du bureau de la Ligue internationale des Combattants de la Paix et une de ses conférencières les plus actives. En 1974, encore, à 84 ans, elle accepte d’aider May Picqueray à poursuivre l’oeuvre de Lecoin en lançant Le Réfractaire (lettres dans dossier 173). Elle y écrira jusqu’en 1983, jusqu’à mort de May Picqueray (à 85 ans) et la disparition de son journal spécialisé dans la défense des insoumis et des déserteurs.
De ce qui précède, on conclura qu’il est impossible d’orienter un chercheur travaillant sur le pacifisme vers quelques dossiers particuliers de ce fonds. L’inventaire établi par Tiny de Boer ouvre de très nombreuses pistes. Un cheminement aventureux peut, comme toujours, en faire découvrir d’autres. J’aimerais néanmoins insister sur l’intérêt qu’il peut y avoir à étudier la question, si controversée, du pacifisme intégral pendant la Seconde Guerre mondiale à partir de documents réunis par des militants qui y ont adhéré. La documentation présentée ici est, sur ce point précis, d’une très grande richesse. Je citerai les lettres de Victor Margueritte, de Louis Lecoin, le dossier sur Félicien Challaye (dossier 14), le journal de Jeanne Humbert où les événements politiques et militaires ne sont présentés qu’avec indifférence ou dégoût, les lettres écrites de prison par Eugène Humbert qui expriment largement les mêmes sentiments. Enfin, les nombreux et très intéressants témoignages sur le désarroi et les errances des milieux libertaires français après la défaite de 1940 : "Je Lavalise et Doriotise à temps perdu" (Pierre Bellino, 1941), "je ne vois personne dans le Faubourg, car toute l’équipe que nous connaissions se tient toujours autour de l’assiette au beurre vichyssoise et ils n’ont pas l’air de vouloir la lâcher" (le gérant de la librairie Le Rouge et le Noir, 1943) (dossier 206). Dans ce même dossier on retrouve la trace, parmi les quelques lettres reçues par Jeanne après la condamnation et l’incarcération d’Eugène Humbert (mars 1943), des relations qu’entretenaient certains libertaires avec des collaborateurs notoires. Ainsi, un correspondant non identifié, dans une lettre du 11 juin 1943, dit que l’on aurait pu compter sur le secrétaire particulier de Darlan mais que celui-ci a été arrêté par les Allemands. Il suggère que l’on s’adresse à Zoretti qui pourrait toucher Déat. Louis Louvet, sur un papier à en-tête du syndicat C.G.T. des correcteurs, écrit : "J’ai la possibilité, par un ami commun, de toucher directement Pierre Laval ".
(Voir également les lettres de Simone Larcher et de Louis Lecoin)
Collection complète du Réfractaire à l’IIHS (sauf le numéro 77)
4 Nudisme
En 1924, à leur sortie de prison, Eugène Humbert et Jeanne Rigaudin se sont mariés (uniquement pour obtenir plus facilement des permis de visite dans le cas d’une nouvelle incarcération de l’un ou de l’autre). Ils ont réglé leurs amendes, en grande partie grâce à la solidarité des néo-malthusiens américains et anglais. Ensuite, il leur a fallu vivre. Eugène Humbert se fit confier par son ami Eugène Merle (un ancien de la Guerre sociale) la gestion d’une librairie, la Librairie du Progrès, spécialisée dans les ouvrages légers et anticléricaux. C’est alors qu’Eugène Humbert fit la connaissance de Marcel Kienné de Mongeot qui venait de créer la première revue naturiste française : Vivre, une librairie et une salle de culture physique où se pratiquait le nudisme intégral. Eugène Humbert prit, pendant un an, la direction de la librairie de Vivre. A la même époque, Jeanne Humbert entreprit la rédaction d’un roman à thèse : En pleine vie, copieusement illustré de "nus artistiques" pour des raisons commerciales, où elle fit l’apologie du nudisme, bien sûr, mais beaucoup plus des idéaux et des combats néo-malthusiens.
Le dossier (49) du fonds regroupe quelques documents sur la Librairie du Progrès. Des lettres adressées par Eugène Merle à Eugène Humbert se trouvent sous différentes rubriques. En juin 1942 (dossier 206), Kienné de Mongeot écrit à Humbert : "Le manoir Jan est devenu un hôtel sportif (le Sparta-Club). J’y ai interdit la nudité intégrale. Que d’autres reprennent le flambeau ! J’ai compris !... (Il y a longtemps d’ailleurs)". - Autres documents sur la naissance du mouvement nudiste en France : lettres de Kienné de Mongeot (1929, 1941), de Renée Dunan (1929)... En Espagne (Ignacio de Emilio y de Dominguez, 1929), en Russie (Serge Mileef, 1930)... (dossier 102). Le roman de Jeanne Humbert, En pleine vie, se trouve à la bibliothèque de l’IIHS.
5 Emancipation sexuelle
Au même titre que le pacifisme, la lutte pour l’émancipation sexuelle l’est une des bases théoriques du néo-malthusianisme. Au même titre que pour le pacifisme, on peut trouver des preuves de cet engagement dans chacun des dossiers que regroupe ce fonds. L’éducation sexuelle est l’un des chapitres de l’éducation intégrale. La vulgarisation de la contraception exige la disparition des tabous qui s’opposent au progrès de l’éducation sexuelle. Cette révolte émancipatrice se heurte souvent aux limites qu’impose chaque époque aux esprits les plus avancés et à la crainte de la répression. Les lecteurs en jugeront, je me contenterai, sur ce thème comme sur celui du pacifisme, d’attirer leur attention sur un des principaux dossiers susceptibles d’être étudiés : la riche collection de documents, manuscrits ou imprimés, réunie autour de la constitution de la Ligue mondiale pour la Réforme sexuelle sur une base scientifique.
En 1927, Eugène Humbert fut avisé par le docteur Leunbach, de Copenhague, de la constitution d’une Ligue mondiale pour la réforme sexuelle sur une base scientifique qu’il présidait aux côtés d’Auguste Forel et d’Havelock Ellis. Humbert accepta d’en créer la section française sous le nom de Pro Amore-Ligue de la Régénération humaine. Sous cet hommage à Paul Robin, et sous la présidence d’honneur de Victor Margueritte, se regroupa la fine fleur du néo-malthusianisme français, de Marie Huot à Giroud et Madeleine Pelletier. Beaucoup de leurs amis se retrouvaient dans les bureaux des sections étrangères : Norman Haire en Angleterre, Fernand Mascaux en Belgique, le Dr Robinson et Margaret Sanger aux Etats-Unis, Henri Gächter en Suisse... Dora Russel (dont les importantes archives sont conservées à l’IIHS) était à la section anglaise et Alexandra Kollontay à la section russe. Le troisième point des principes directeurs de la ligue mondiale revendiquait le "contrôle de la conception de telle sorte que la procréation soit consentie délibérément et avec un sens exact des responsabilités". Toutefois, le très important développement de ce mouvement le fit rapidement échapper aux néo-malthusiens. En 1931, Pro Amore est supplanté par l’Association d’Etudes de sexologie (AES) où se retrouvent des personnalités de différentes tendances : les Humbert, mais aussi des natalistes.
Se reporter aux dossiers Pro Amore (224, 489, 280, 494), aux lettres de Berty Albrecht (138), au journal qu’elle créa à cette occasion : Le Problème sexuel, etc.. Voir également l’article "sexologie", écrit par Eugène Humbert pour l’Encyclopédie anarchiste de Sébastien Faure, dans lequel Humbert prétend avoir inventé ce néologisme avec Eugène Lericolais en 1912. Consulter, sur cette question, les travaux de l’anarchiste italien Camille Berneri. L’essai dactylographié inédit de 161 pages qu’il a rédigé avec Jeanne Humbert : Tartufe contre Eros, ou La Pudimanie brimant les arts, la science et les lettres (dossier 340). Son article sur "Magnus Hirschfeld et la lutte contre l’article 175" (article de la loi allemande punissant l’homosexualité masculine) dont le manuscrit, ainsi que celui d’un autre article destiné à La Grande Réforme, "L’Abyssinie et le surpeuplement italien", se trouve dans le dossier 308 (articles écrits dans la clandestinité et signés C. B. C.).

V Le néo-malthusianisme et l’histoire

De même que tous les militants de mouvements, de pensée et d’action, qui se heurtent à une très forte hostilité, les néo-malthusiens ont régulièrement cherché des forces dans la conviction que l’histoire leur rendrait justice en consacrant le triomphe de leurs idéaux. Tous les dossiers réunis ici témoignent de la force de cet espoir. L’histoire n’a pourtant pas répondu à leur attente, car, si la procréation consciente est devenue possible, et même la règle, dans de nombreux groupes humains, ce progrès n’a pas été de pair avec l’avènement des autres objectifs qu’ils y avaient associés. L’éducation n’a pas progressé en privilégiant la formation d’individus libres et responsables. Quant au régime qu’ils combattaient, le capitalisme, il n’a fait que se renforcer.
Si l’on considère l’histoire non plus dans son sens dynamique mais en tant que mémoire, ce fonds d’archives permet de distinguer trois phases dans la façon dont les néo-malthusiens ont envisagé leur inscription dans l’histoire.
Très tôt, lorsque le mouvement commence à se développer, et encore, lorsqu’il est en pleine force, beaucoup de leurs publications incluent un récit de son émergence qu’ils situent volontiers dans l’héritage des oeuvres maîtresses de la philosophie sociale plutôt que dans le cadre plus limité de l’évolution de la pensée socialiste ou libertaire.
Vient ensuite la période des hommages et des monuments.
En 1937, le premier grand exemple du genre est le Paul Robin de Gabriel Giroud (consultable à l’IIHS mais très difficile à trouver en France où il a disparu de la plupart des bibliothèques, dont la Bibliothèque nationale). Jeanne Humbert, qui, tout en étant beaucoup plus jeune qu’eux, a côtoyé les grands fondateurs, a suivi cet exemple en publiant ses études sur Eugène Humbert (1947), Gabriel Giroud (1948), Sébastien Faure (1949) et en rédigeant un grand nombre de rubriques nécrologiques.
Du fait d’une très longue amitié, de la fondation, par Eugène Humbert, de la Société des amis de Sébastien Faure et de la préparation, par Jeanne Humbert, de son livre sur le grand orateur anarchiste, ces archives sont particulièrement riches en documents concernant Sébastien Faure.
Dans La Douleur universelle et dans de nombreuses conférences, Sébastien Faure avait violemment critiqué le malthusianisme. En 1903, Eugène Humbert réussit à le faire changer d’opinion et, le 16 novembre 1903, à organiser un meeting avec des orateurs prestigieux, Nelly Roussel, Laurent Tailhade et Sébastien Faure, sur le thème : "Le problème de la population". Dès lors et jusqu’à sa mort, en 1942, Sébastien Faure fut de tous les combats des néo-malthusiens et des pacifistes intégraux.
Le dossier 198 regroupe un grand nombre de lettres adressées par Sébastien Faure aux Humbert. Dans le dossier 288 se trouvent des épreuves, corrigées de sa main, de certains de ses articles, de ses appels : "Appel aux jeunes gens", "Vers la paix"..., le récit de son entrevue avec Malvy (26 janvier 1915) qui lui fit renoncer à sa campagne pour la paix, le feuillet de son Chant de révolte... Des manuscrits d’articles, des notes préparatoires à des conférences, une feuille de compte, même, (pour trois conférences prononcées en février-mars 1939. Recette, nette de frais : 6495,95 francs) sont réunis dans les dossiers 285, 286, 287. Les dossiers 266 et 267 concernent la préparation de la biographie écrite par Jeanne Humbert. On y trouve des lettres d’Alexandre Zévaès, le préfacier, les manuscrits d’Alexandre Zévaès et de Jeanne Humbert. Dans le dossier 117, se trouve, de plus, une lettre très documentée où Maurice Dommanget lui donne des conseils et lui fournit des témoignages précieux (22 juillet 1946).
Enfin, alors qu’il ne pouvait plus espérer faire l’histoire, le néo-malthusianisme est devenu objet d’histoire.
Harry W. Hicks de la Holland-Rantos Company "gynecological specialities" 551 Fifth avenue - New York a entrepris la constitution d’une "bibliothèque complète sur le birth control, l’eugénique, le planning familial, etc.". Il commande d’anciens numéros de La Grande Réforme (1945). Il serait intéressant de savoir ce qu’est devenue cette bibliothèque.
Les travaux de Jeanne Humbert sur Gaston Couté, le poète libertaire et néo-malthusien à qui on venait de dédier une statue et un musée, suscitent également des échanges de courrier, dont une lettre de R. Gauthier "Instituteur", membre des "Amis de G. Couté (Musée de Meung)", ancien de la Fédération unitaire de l’enseignement (C.G.T.U.) et des Groupes féministes, et qui a "bataillé pour Henriette Alquier". Ces documents se trouvent dans le carton 117. Ceux réunis dans le carton 118 confirment cette évolution. On y trouve en effet un grand nombre d’appels à l’aide lancés par des érudits et des étudiants, et, souvent, ce qui est le plus intéressant, des copies des réponses détaillées fournies par Jeanne Humbert.
On peut citer :
 La correspondance avec Jean Maitron (par exemple pour la rédaction des articles Eugène et Jeanne Humbert de son dictionnaire (1971)).
 René Bianco (Centre International de Recherches sur l’Anarchie) l’interroge sur Jean Marestan (14 novembre 1971).
 En 1973, elle répond (négativement) à une demande d’ouvrages de Rolande Trempé.
 Robert Brécy, préparant son Florilège de la chanson révolutionnaire, lui écrit, en 1976, plusieurs lettres, dont, une, très documentée, sur La Marseillaise de la paix.
 En 1981, Jeanne Humbert répond à Claudie Lesselier à propos de ses séjours en prison et à André Arru sur sa correspondance avec Devaldès.
 En 1982, elle correspond avec Charles Sowerwine, auteur d’une thèse sur les femmes socialistes et biographe de Madeleine Pelletier, et avec Raymond Nison à propos de Séverine.
 En 1983, Gilles Picq l’interroge sur la brouille entre Laurent Tailhade et Fernand Kolney.
 Etc..
Depuis les années 1970, les études sur le néo-malthusianisme et ses principaux militants ont été nombreuses (dossier 503). Des colloques et des expositions lui ont été consacrés (dossier 12). En 1980, Bernard Baissat a réalisé son film Ecoutez Jeanne Humbert. L’accueil fait par l’IIHS à ces archives et la réalisation de ce catalogue sont les derniers exemples en date de cette entrée dans l’histoire dont Jeanne Humbert n’avait jamais douté.
A Amsterdam, juin 1994. Francis Ronsin