LOUREAU, René. " Voies libertaires de la connaissance "

Notes prises au cours de l’exposé présenté au Colloque de l’Université de Toulouse 1999, "L’anarchisme : quel avenir ?"

PROUDHON, Pierre-Joseph (1809-1865)DELEUZE, GillesBAKUNIN, Mihail Aleksandrovič (1814-1876)COMTE, Auguste (1798 - 1857). PhilosopheHEGEL, G. W. M. (1770-1831). PhilosopheGUATTARI, FélixSIMONDON, Gilbert (1924-1989)LOUREAU, RenéCOUSIN, Victor (1792-1867)

Deux points importants du savoir dit libertaire, c’est-à-dire chez les chercheurs anarchistes, quelques aspects des pensées de Proudhon et Bakounine, bien connus.
Chez Proudhon, un trait de connaissance rarement mis en valeur est représenté par ses aspects de logicien ; il est obsédé par la logique, par la question d’une nécessaire révolution dans la logique.
Proudhon a commencé par écrire des oeuvres très pamphlétaires, qui lui ont valu la prison parfois, mais il a pensé qu’il devait devenir positif et pas seulement critique. Introduit dans le vocabulaire scientifique, en même temps que sociologie, altruisme etc. par Auguste Comte, Proudhon qui l’admirait beaucoup s’est situé par rapport au positivisme en donnant une logique au projet positiviste, sans y adhérer complètement.
Autre référence ontologique pour l’anarchisme chez Proudhon, c’est ce qu’on connaît de l’hégélianisme en France, c’est-à-dire la vision de Victor Cousin, qui a vitriolé cette pensée en la réduisant à la thèse, antithèse et synthèse. Faux hégélianisme dans l’université, mais important pour Proudhon qui doit affronter la philosophie à la mode, car cette synthèse hégélienne est transformée par Cousin en juste milieu. L’éclectisme de Cousin n’a rien à voir avec Hegel.
La troisième référence à laquelle Proudhon se confronte est la théorie fouriériste, « sociétaire », moins officielle certainement que le positivisme de Comte. Proudhon est certainement, comme correcteur, un des meilleurs lecteurs de Fourier. Il est très influencé par lui. Il rejette le côté érotique de Fourier, notamment les perversions. Néanmoins, il retient l’idée des séries, — comme une liste de commissions, dans lesquels il combine des éléments pris dans des analogies plus ou moins fantaisistes, — et cette fantaisie sérielle des passions est reprise par Proudhon dans un esprit plus logique, dont il reproche d’ailleurs l’absence à Fourier.
Pour Proudhon, la loi ou la logique sérielle consiste à découvrir dans la nature, dans l’univers, en nous aussi, une série de relations, et uniquement des relations. Il combat radicalement l’idée de substance et de cause — il a emprunté ce point à Comte — et leur substitue l’implication de relation généralisée. Il étend cette idée à l’économie politique, à l’histoire, à la société, pour montrer que toutes les idée de l’ancien monde, comme la théologie de Comte, tout ce qui domine encore nos têtes en 1999, sont à base d’essentialisme, de substantialisme. Il n’existe plus avec Proudhon de substance qu’on pourrait séparer et mettre en interaction.
Proudhon anticipe ainsi sur les concepts logiques de notre époque et sur des dialecticiens très ouverts comme Lefebvre, Deleuze et Guattari, Gilbert Simondon, qui suggère ainsi une logique sérielle complètement débarrassée de substances telles que la notion de " table " ou celle de " liberté ".
En ce qui concerne Bakounine, ce qui frappe, c’est l’attention qu’il a eue — l’imagination sociologique — du fonctionnement organisationnel partout où il a été. Les rapports de pouvoir dans un collectif, notamment la Première Internationale qui fut son terrain, lui ont permis de se forger sa conception de l’État, conception très radicale puisqu’il l’associe à la religion— comme le fera plus tard Pierre Legendre,— à partir des magouilles de la Première Internationale.
Pendant cette période et celle qui suit sa dissolution, il a cette sensation très forte que quelque mouvement social que ce soit, notamment le parti politique, qui n’existe que par l’effondrement de l’internationalisme, est un enfant de cet échec, notamment le socialisme autoritaire en paroles mais surtout en actes, qui reconstruit des hiérarchies, une autorité, etc., que tel projet se change peu à peu en son contraire. Il y a utilisation du charisme et inversion du projet initial alors que l’organisation est toujours la même, c’est-à-dire qu’elle fait le contraire de ce qu’elle dit.
Max Weber a élaboré une théorie de l’institutionnalisation qui a été développée depuis mais Bakounine a déjà eu l’intuition de celle-ci.
Question : L’institutionnalisation est un fait qu’il faut expliquer. Faut-il la relier à la lutte pour le pouvoir, comme l’écrit par exemple Laborie.
Réponse : Laborie a un point de vue très organique, c’est descriptif. Il semble qu’une théorie de l’institutionnalisation s’explique par l’échec de la prophétie de l’échec. Au lieu de penser qu’il y a un début héroïque puis une décrépitude fatale, dans le projet lui-même il y a cette espèce de « folie », d’élément irrationnel qui apparaît peu à peu, qui est vecteur d’énergie, mais qui peu à peu nécessite la bureaucratisation, la rationalisation.