Chronologie

Décembre 95 : les quatre phases du mouvement

Publié dans Alternative libertaire de décembre 2005.

grèveDAVRANCHE, Guillaume

Prélude étudiant

6 octobre : La fac de sciences de Rouen part en grève pour des moyens supplémentaires.
25 octobre : L’occupation du rectorat de Rouen est violemment expulsée dans la nuit par les flics : 1 000 manifestants dans les rues.
2 novembre : Le ministère cède des crédits à la fac Rouen, où le travail reprend. Trop tard, le feu a pris : dans la semaine une dizaine de facs suivent l’exemple rouennais.
9 novembre : Le mouvement s’étend : 30 000 à 40 000 étudiant(e)s manifestent dans le pays.
10 novembre : Négociations syndicats-gouvernement sur la retraite des fonctionnaires. CFDT, CGC et CFTC acceptent l’allongement de la durée de cotisations à 40 ans.
14 novembre : La « journée d’action nationale pour la défense de la Sécu » à l’appel de tous les syndicats rencontre un succès mitigé.
15 novembre : Le Premier ministre Alain Juppé présente devant l’Assemblée nationale son « plan de réforme de la Sécurité sociale ». Le soir même Nicole Notat annonce le soutien de la CFDT au plan Juppé, tandis que Blondel fulmine contre Chirac qui, apparemment, lui avait fait des promesses, et qui l’aurait « trompé ». Dans les jours suivants, plusieurs fédérations de la CFDT s’opposent à Nicole Notat et appellent à la grève le 24 novembre.
21 novembre : Plus de 100 000 manifestants étudiant(e)s et lycéen(ne)s dans les rues.

Le coup de tonnerre

24 novembre : La journée d’action nationale contre le plan Juppé est un succès inattendu : 500 000 personnes dans toute la France, avec participation des étudiants mais aussi de quelques délégations du privé. On voit apparaître dans les manifestations les autocollants « CFDT en lutte » des opposants à Nicole Notat. La secrétaire générale de la CFDT, qui s’est déplacée à la manifestation, est accueillies par les huées des militant(e)s cédétistes, et doit fuir sous les insultes. Il apparaît à tous et toutes que cette journée, par son ampleur, dépasse le strict cadre de l’opposition au plan Juppé.
25 novembre : La manifestation nationale pour les droits des femmes rassemble 40 000 personnes à Paris. Un chiffre inhabituel, qui traduit le climat de mobilisation globale.
27 novembre : L’Unef-ID se dissocie du mouvement étudiant. Affrontements violents entre l’Unef-ID et la Coordination nationale étudiante.
28 novembre : Début du raz de marée. Le mouvement se poursuit à un haut niveau à la RATP et à la SNCF. La Poste est à son tour paralysée. À la manifestation parisienne, Louis Viannet, secrétaire général de la CGT, et Marc Blondel, de FO, se serrent ostensiblement la main.
30 novembre : Nouvelle journée d’action nationale. À EDF-GDF on se bat contre le plan Juppé et contre la déréglementation du marché de l’électricité. Le slogan « Tous ensemble ! » devient le leitmotiv du mouvement. Les fédérations de fonctionnaires CGC, CFTC, CFDT et Unsa, qui jusqu’ici avaient bon gré mal gré suivi le mouvement, s’en retirent – ce qui n’a quasiment aucune incidence.
2 décembre : Des « comités d’usagers » antigrève, mis sur pied par le RPR, rassemblent 3 000 personnes dans la capitale. Les médias font une promotion disproportionnée de cette initiative.
2 et 3 décembre : Négociations entre la Rue de Grenelle et les étudiant(e)s. Pour le gouvernement, il devient urgent d’apaiser le « front étudiant ».
3-8 décembre : Le 45e congrès de la CGT à Montreuil abandonne la référence à « l’abolition du salariat » et décide de quitter la Fédération syndicale mondiale (FSM), jadis liée à l’URSS. Débat sur la question de la grève générale.

L’apogée

5 décembre : Au moins 800 000 manifestant(e) battent le pavé. L’Éducation nationale et les hôpitaux sont à présent dans la grève. On débraye également chez les travailleur(se)s municipaux et dans les ministères. Prenant le contre-pied d’un certain nombre d’intellectuels médiatiques (BHL, Julliard, Morin…) qui soutiennent Juppé, plusieurs dizaines d’intellectuels, dont Pierre Bourdieu est la figure de proue, lancent une pétition de soutien aux grévistes.
6 décembre : Les traminots marseillais se mettent en grève contre l’inégalité des statuts et des salaires à la RTM. Ils l’emporteront début janvier. Pendant plusieurs jours sporadiquement, des permanences RPR sont saccagées ou murées.
7 décembre : On atteint les 1,3 millions de manifestant(e)s dans toute la France. Les grèves gagnent le transport aérien et les Houillères de Lorraine. À Freyming-Merlebach, 2 000 à 3 000 mineurs de charbon, emmenés par la CGT et la CFTC (!), s’affrontent à la police. De son côté le mouvement étudiant s’effiloche.
8 décembre : Nouveaux affrontements dans les houillères : 4 000 mineurs, équipés de casques, de masques et de manches de pioche, s’affrontent avec les CRS. Les mineurs de Gardanne séquestrent des cadres. Affrontements également à Orly entre flics et grévistes.
10 décembre : Nouvel échec des comités d’usagers/RPR : 1 500 personnes à la manifestation. Il n’y en aura pas d’autre. Le soir même, Alain Juppé s’exprime au JT de 20 heures et concède un « sommet social ». Il en profite pour essayer de diviser les cheminots en indiquant que le gouvernement n’a jamais voulu « remettre en cause l’âge de départ à la retraite des conducteurs ». Les bureaucraties CGT, FO et CFDT s’empressent de parler d’« avancée ». Mais Juppé commet également une imprudence en lâchant que, si deux millions de personnes descendaient dans la rue, il démissionnerait.
12 décembre : Nouvelle journée interprofessionnelle à l’appel de la CGT, FO, FSU et SUD-PTT : on dépasse les deux millions de manifestants (mais le fourbe Juppé reste à Matignon). Le sociologue Pierre Bourdieu vient débattre avec les grévistes gare de Lyon.
14 décembre : Une dernière coordination étudiante se réunit à Tours. Il ne reste plus que quelques facultés encore en grève.
15 décembre : Le PDG de la SNCF, Jean Bergougnoux, donne sa démission et le contrat de plan est « gelé ».
16 décembre : À l’occasion d’une nouvelle journée d’action, on dépasse encore le chiffre de deux millions de manifestant(e)s.

Le reflux

Après le pic de mobilisation du 16 mai, le travail va reprendre progressivement, mais quelques régions de la SNCF resteront en grève presque jusqu’à Noël.
19 décembre : La journée d’action à l’appel de la FSU et de la CGT marque un recul de la mobilisation.
21 décembre : Le « sommet social » ne fait que confirmer les reculs effectués par le gouvernement durant les grèves, et n’enregistre pas d’autre gain. C’est presque le point final du mouvement.
26 janvier 1996 : Lors d’un congrès extraordinaire, sept cents cheminots de Paris-Sud-Est décident de quitter la CFDT et de créer un syndicat SUD. C’est la première rupture post-95 dans la gauche CFDT, et elle sera suivie par bien d’autres.


Cette chronologie s’intègre dans un dossier spécial d’Alternative libertaire de décembre 2005 :