Constitution européenne

GUILLON, Claude. "Au NON de quoi ?"

Anarchisme, abstention et constitution européenne

Philosophie. Anarchisme : témoignages, conceptions, questionnements, réflexions, philosophies, théoriesUnion EuropéenneGUILLON, Claude

Le prochain référendum sur la constitution européenne est l’occasion de
réexaminer un problème de stratégie politique qui est souvent envisagé
par les anarchistes de manière uniquement dogmatique.
[...]
Je rappelle que je propose ici une analyse matérialiste des situations et
des comportements, et me moque éperdument des tabous idéologiques et des
terreurs religieuses que certain(e)s éprouvent pour le salut de leur âme
s’ils/elles enfreignent telle ou telle habitude « identitaire ».
NON,
évidemment, à la constitution européenne !

L’inconvénient de la position d’abstention systématique [1] des
anarchistes est d’éviter ou de masquer les débats.
À l’époque du
référendum sur Maastricht, une partie des militants anarchistes étaient
embarrassés, croyant reconnaître dans la nouvelle Europe une amorce du
monde sans frontières auquel ils aspirent. Le rappel au dogme
abstentionniste permit de ne pas débattre de cette illusion d’optique.
Je
suppose que la situation des esprits est aujourd’hui plus claire à propos
de la constitution européenne. Encore n’est-ce qu’une supposition. Je
vois mal comment des libertaires pourraient trouver quelque avantage à
l’Europe libérale, qui modernise le capital et la répression policière à
très grande vitesse. Ceux/celles qui le souhaitent peuvent (re)lire sur
ce site les articles consacrés au mandat d’arrêt européen et aux
dispositions prises prétendument pour lutter contre le terrorisme après
le 11 septembre (lesquelles ont été adoptées dans une indifférence bien
inquiétante). C’est cela, auquel vient s’ajouter le démantèlement du
droit du travail par le jeu de flipper des délocalistaions, que vient
entériner la
constitution proposée par Giscard d’Estaing.
Un NON fermement et massivement prononcé dans le pays du promoteur du
texte aurait une valeur symbolique non négligeable. Il ne s’agit pas de
se leurrer : le NON, surtout s’il n’est pas repris dans d’autres pays, ne
suffira pas à faire capoter l’actuel projet européen de rationalisation
capitaliste. Mais c’est un grain de sable dans l’engrenage, et mettre du
sable dans les engrenages est une vieille pratique de sabotage.
Les
luttes sociales seules permettront de freiner les ardeurs libérales, et
soyons surs qu’elles auront à combattre aussi bien les sociaux-démocrates
approbateurs à la Hollande ou Jospin que les réticents comme Fabius.
Bref, au lieu de perdre de l’énergie à défendre l’abstention, les
anarchistes feraient mieux de mener campagne contre l’Europe. Je faisais
allusion au peu de réactions contre le mandat d’arrêt européen et les
mesures policières ; la campagne pour le référendum est une occasion de
revenir sur ces questions.
Quant à voter ou non, de toute manière, et
comme d’habitude, les sympathisant(e)s et même les militant(e)s
libertaires feront ce qu’ils voudront le jour venu. Ceux/celles qui
mettront un bulletin NON dans l’urne ne me paraissent pas encourir le
reproche de capituler devant le système ou d’incarner la démocratie
spectaculaire.
Je considère fondée l’analyse selon laquelle seule une révolution,
c’est-à-dire une rupture avec le système capitaliste reposant sur
l’exploitation du travail et la domination masculine, permet d’envisager
la création d’une société communiste et libertaire. C’est à mes yeux le
projet qui rend tous les autres possibles, et ouvre le maximum de
perspectives immédiates, dans les luttes, les relations humaines et les
réalisations pratiques. Je ne vois pas que le dogme d’une pureté
abstentionniste y contribue en quoi que ce soit.
P.S. : N’ayant jamais pris la peine de m’inscrire sur les listes
électorales, je suis, dans la pratique, un abstentionniste de toujours. « 
Alors là, j’comprends plus rien ! » s’exclame l’abstentionniste
vieux-croyant. C’est pourtant simple : je me passe de voter, je ne
m’abstiens pas de penser.
Claude Guillon, lundi 14 février 2005


Texte consultable in extenso sur le site de Claude Guillon.

[1ou quasi systématique : R. Creagh rappelle dans son commentaire des
positions de Chomsky qu’il est arrivé à la CNT espagnole de
s’abstenir...de prôner l’abstention, manière un peu hypocrite, mais
efficace, de favoriser la victoire républicaine en 1936