Internationalisme
FONTENIS, Georges. "Ce que fut l’ICL (juin 1954-juillet 1958)"
internationalismeFCL (Fédération Communiste Libertaire)MLNA (Mouvement libertaire nord-africain) FONTENIS, Georges (Paris, 27/4/1920 à Paris - Reignac-sur-Indre, Indre-et-Loire, 9/8/2010Cet article est paru dans Alternative libertaire n°33, avril-mai 1995.
Notre congrès devant débattre [1] des perspectives pour notre activité de solidarité internationale, il est intéressant de se pencher sur ce que fut l’expérience de l’Internationale communiste libertaire (ICL) dans les années 50.
La création d’une Internationale communiste libertaire en juin 1954 est contemporaine des derniers soubresauts de la guerre d’Indochine et des prodromes de l’insurrection algérienne.
Très longtemps, le courant anti-autoritaire du mouvement socialiste avait rêvé de constitué une Internationale sur les ruines de la première AIT (Association internationale des travailleurs, dite « Première Internationale ») fondée à Londres en 1864. Les libertaires, ou plutôt les socialistes anti-étatistes de la période qui suit la chute de la Commune de Paris puis la dégénérescence de la Première Internationale, tentent de s’unir au congrès de Saint-Imier, le 15 septembre 1872. D’autres tentatives auront lieu, notamment au congrès d’Amsterdam de 1907. Il n’en sortira que des liaisons éphémères...
Un demi-siècle passe, non pas sans relations épisodiques des libertaires des divers pays mais sans effort de constitution d’une liaison réellement organisée.
Lorsque, dès 1950, la tendance communiste libertaire se développe, notamment en France et en Italie, au sein du mouvement « anarchiste », des relations suivies vont s’établir : la tendance communiste libertaire de la FA en France entre en contacts étroits avec les camarades d’Italie qui sont déjà en situation de rupture avec la FA italienne. Ils constituent les Groupes anarchistes d’action prolétarienne (GAAP) qui éditent un bulletin régulier, L’Impulso. Militants français et italiens se voient fréquemment. A peu près à la même époque (les années 50 53), les contacts s’étendent aux camarades bulgares pourchassés par leur gouvernement stalinien mais qui disposent encore d’une des plus solides organisations, au discours « plateformiste », la Fédération anarchiste communiste bulgare (FACB), dont bien des militants ce sont battus en Espagne pendant le guerre civile. Des camarades espagnols, appartenant aux diverses tendances de la CNT (divisée alors en deux organisations rivales, en exil) s’intéressent également aux contacts que nouent les camarades français et italiens. En Grande-Bretagne, l’organisation qui édite le périodique Direct Action entre aussi dans le jeu. Leur Anarchist Federation of Britain (AFB) est évidemment éloignée des conceptions, disons, fort individualistes et humanistes que représente la revue Freedom.
Le congrès international de Paris
Il est décidé, d’une entente commune, de tenir à Paris les 5, 6 et 7 juin 1954, un congrès de fondation d’une internationale communiste libertaire. Lieu du congrès : ce sera dans les nouveaux locaux de la Fédération communiste libertaire (FCL), au 79, rue Saint-Denis, à Paris. Un an plus tôt, rappelons-le, c’est la majorité de la FA qui avait crée cette FCL.
Participent donc au congrès, à titre de fondateur, la FCL française, les GAAP italiens, des isolés de Belgique et de Suisse (un camarade italien de Zurich), les Britanniques de Direct Action, et, à titre d’auditeurs invités, des camarades bulgares et espagnols, et également les militants algériens et marocains qui viennent de fonder le Mouvement libertaire nord africain (MLNA) dont les animateurs sont « d’origine FCL ».
Le MLNA adhérera en octobre à l’ICL, juste avant l’insurrection algérienne. Les camarades espagnols exilés, appuyés par des contacts pris à l’intérieur de l’Espagne, notamment dans le milieu étudiant, éditerons un bulletin, Ruta (titre de l’ancien organe des Jeunesses libertaires) qui connaîtra deux numéros imprimés en 1956 [2], bulletin de la « section espagnole » de l’ICL.
On trouvera dans Le Libertaire n°392, du 24 juin 1954, un compte-rendu du congrès international et le texte des principales résolutions, non seulement concernant des principes de base mais également la stratégie et les méthodes de lutte, notamment au plan syndical et dans le cadre du combat anticolonialiste [3].
Après le congrès
La FCL et le MLNA vont être plongés dans la lutte d’indépendance de l’Algérie où leurs militants défendront la politique de « soutien critique » aux indépendantistes.
Se succéderont les poursuites, les emprisonnements, les condamnations et, pour unir, la clandestinité. Pour autant, les liaisons internationales seront maintenues, notamment avec les camarades d’Italie. Avec eux, se tiendra une rencontre, clandestine naturellement, à Nice, fin décembre 1956.
Dans la lutte clandestine, la FCL édite un bulletin, La Volonté du peuple, en direction notamment des usines et des appelés réfractaires. La collaboration avec les opposants ex-PCF de La Voie communiste incitera les militants de la FCL à se transformer, à partir de fin 1957, en une tendance, Action communiste, regroupant les militants qui se sont intégrés par exemple dans la Voie communiste ou au PSU voire même dans l’opposition au sein du PCF. C’est dans ces conditions que nous rencontrons Denis Berger, Félix Guattari et que nous retrouvons les militants des réseaux de porteurs de valises qui sont parfois d’anciens camarades de la FCL comme Guy Bourgeois. Action communiste est un titre choisi sur le modèle des camarades italiens ayant été rejoint par d’anciens militants du PC italien, et qui ont transformé les GAAP en Azione comunista.
Les rencontres avec les camarades, notamment italiens et espagnols, se poursuivent. Si bien que se tiendra le 27 juillet 1958, près de Paris, une « rencontre internationale » [4].
En dépit de ces efforts de continuité, la fatigue fera son œuvre et ce sera le tunnel jusqu’aux abords de 1968, où les anciens se retrouveront selon de nouvelles formules, notamment dans le Mouvement communiste libertaire (MCL). Il faut reconnaître honnêtement qu’entre 1958 et 1968, il n’y eut que des rencontres occasionnelles, limitées et discontinues, surtout par l’intermédiaire de camarades de l’Organisation révolutionnaire anarchiste (ORA) [5] qui s’investirent quelque peu dans les travaux de la CRIFA [6] jusqu’au moment de la rupture avec la FA et dans le cadre flou de cette CRIFA qui fût plus une boîte à lettres que même l’embryon d’une internationale, si on excepte toutefois le congrès international de Carrare, après 1968, modèle d’ailleurs de confusion, et qui vit s’affronter Daniel Cohn-Bendit et ses amis, et les fidèles de Maurice Joyeux.
Plus tard, en 1969-70, à l’époque des relations assez étroites entre l’ORA (qui devient indépendante de la FA en mars 1970) et le MCL grâce surtout à Daniel Guérin, quelques relations se nouèrent et on put accueillir dans des réunions nationales du MCL, des camarades suisses, un camarade cubain. On put renouer également avec des militants d’Espagne et d’Italie. Mais tout cela restera conjoncturel et extrêmement limité.
Un bilan est-il possible ?
Il n’est pas facile de faire la part de l’usure, voire du découragement, au cours des années « grises » (années 1956 57 de clandestinité et ensuite les années 1960 de mise en sommeil du courant communiste libertaire).
Mais peut-être cela eût pu être évité si un ou deux militants avaient été désignés pour se consacrer aux liaisons internationales... Nous avons alors beaucoup souffert de demander à chacun de s’occuper de tout. C’est peut-être à méditer... car ce travail de relations internationales, encore plus nécessaire dans le monde d’aujourd’hui, dévore beaucoup de temps.
Georges Fontenis, 14 mars 1995
[1] Il s’agit du IIIe congrès d’Alternative libertaire, en juin 1995 à Hérouville-Saint-Clair, près de Caen.
[2] Ruta peut être consultée au CIRA de Marseille ou de Lausanne, ou encore à l’Institut international d’Histoire sociale d’Amsterdam.
[3] Également dans Georges Fontenis, L’Autre communisme, histoire subversive du mouvement libertaire, Éditions Acratie, annexe XVIII, page 337.
[4] Georges Fontenis, op. cit., annexe XXIV, pages 351 à 354.
[5] Georges Fontenis, op. cité, p. 253 et suivantes.
[6] Commission de relations internationales des fédérations anarchistes.