UTCL. "Autogestion des luttes : Les propositions des communistes libertaires"

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Article publié dans l’hebdomadaire de l’UTCL, Lutter ! n°18 (janvier 1987). Il s’agissait d’un numéro spécial sur la grande grève des cheminots, marquée par l’apparition en force des coordinations de travailleurs.


Etudiants, cheminots : une volonté s’est affirmée, celle de la démocratie, de la maîtrise du mouvement par la base. A sa source la défiance vis à vis des appareils mais aussi, en positif, une volonté d’égalité, d’autonomie et d’unité. Depuis très longtemps, ces exigences n’avaient pris une telle place, même s’il y a derrière nous l’impact des aspirations de Mai 68, qui ne se sont pas concrétisées durablement mais qui ont impressionnées de larges couches de travailleurs et de militants. Le ton est donné, et dans toutes les entreprises, toutes les luttes, on peut désormais poser la question de la démocratie, de « l’autogestion de la lutte » avec des chances de réussites.
Assemblées souveraines et comités de grèves
L’auto-organisation ne peut se résumer à quelques slogans magiques. Pour nous, l’auto-organisation doit répondre à une aspiration très largement et consciemment partagée par les concernés. L’essentiel repose donc dans la dynamique, dans la pratique réelle, et non dans telle ou telle structure, tel ou tel schéma. La seule structure indispensable d’emblée, c’est celle de la réunion de tous dans le cadre le plus approprié pour permettre une présence effective : ce sont les assemblées générales. C’est là et seulement là que peut commencer à se réaliser la démocratie : l’expression libre de toutes les opinions dans un climat de réelle écoute (et donc aussi avec une organisation des débats). Puis c’est la décision collective, prise démocratiquement, selon les cas au consensus ou au vote (qui exprime plus fiablement, bien souvent, la volonté réelle des gens, que le « consensus » restant celui des grandes gueules). Décision que chacun s’engage à suivre, ou du moins à ne pas entraver, quitte à ce qu’une assemblée suivante, l’expérience faite, la situation changeant, le débat progressant, transforme l’orientation précédente. Décision que les délégués, représentants, etc., doivent considérer comme le mandat impératif fixé par la base et à respecter scrupuleusement. La démocratie directe est là : on ne désigne pas qui va nous diriger, on collectivise le pouvoir de décider. Dernière condition et non des moindres : pour mériter sa souveraineté, l’assemblée doit être représentative, et donc ouverte à tous, rassemblant réellement les travailleurs ou les grévistes concernés. Pour préparer ces assemblées, et pour que chacun puisse avoir accès à la parole, des commissions ouvertes, des réunions par services, ateliers... sont souvent d’une grande utilité.
La volonté, aujourd’hui, ce n’est pas de subir de nouveaux dirigeants, c’est d’autodiriger. Les manipulations, les mini-putchs, les rêves autoritaires inspirés du bolchevisme modèle 1917, révisé ou non, sont loin des aspirations du jour.
Le plus important pour les communistes libertaires, c’est donc le vécu réel des travailleurs, la démarche consciente, les débats, le mandat. Nous nous défions des schémas tout faits, plaqués prématurément.
Coordinations nationales
La démocratie à la base ne signifie pas éclatement : la coordination est à l’ordre du jour et c’est un signe de grande maturation. Cette volonté : respecter la position de la base fixée dans ses assemblées générales, et en même temps, permettre à cette expression de se coordonner nationalement sans être trahie, représente une sorte de révolution culturelle aux conséquences insoupçonnables. En effet c’est le rôle dirigeant (pas l’existence, nous y reviendrons) des fédérations et confédérations qui est remis en cause. Mais aussi, c’est une forme nouvelle de démocratie qui est expérimentée à grande échelle, différente, opposée à celle de la délégation de pouvoir qui structure la « démocratie » libérale. Ce sont bien des valeurs autogestionnaires, anti-autoritaires, qui s’expriment ici spontanément.
La mise en œuvre de ces coordinations n’est pas sans difficultés. Les bureaucraties syndicales ont leur pouvoir sur la sellette. Les tentatives de manipulations, ici aussi, peuvent s’exprimer. De même, des résistances corporatistes ne facilitent pas l’unification des travailleurs même d’une seule entreprise. Mais l’idée est bien là, qui avance.
Les communistes libertaires ne sont pas à court d’arguments. Ils sont porteurs d un projet, d un « modèle » si on veut, de démocratie autogestionnaire lui même inspiré des expériences les plus avancées des luttes ouvrières passées. Le « fédéralisme autogestionnaire » que nous proposons, repose à la fois sur le maximum d’autonomie et d’initiative à la base, et sur la solidarité, la coordination, sur la direction collective de la base sur toutes les grandes questions. Il s’en suivrait dans les conflits sociaux, pour l’organisation de coordinations nationales (ou régionales) de conflits, un va-et-vient entre réunions de coordination, composées de délégués dûment mandatés, et assemblées souveraines de la base. Dans un premier temps, la réunion de coordination permet aux délégués d’exprimer les diverses opinions, propositions, etc., discutées dans les assemblées, elles sont synthétisées, pour que la coordination puisse proposer aux assemblées sur chaque question importante, un éventail des choix possibles, représentant fidèlement les diverses opinions des AG. Dans un second temps, aux assemblées de trancher souverainement. Techniquement impossible ? Bien sûr que non : nous sommes tout de même à l’heure du téléphone, du Minitel, du micro-ordinateur, pas de la diligence postale ! Pourtant cette conception de la démocratie a longtemps été jugée « utopique ». N’est-elle pourtant pas, justement, « en phase » avec les aspirations et les pratiques d’aujourd’hui ?
Pour un syndicalisme respectant la démocratie de base
Face à la force du mouvement cheminot, les responsables syndicaux sont obligés, dans un premier temps, de faire le dos rond. Certains se retrouvent pleinement dans cette exigence de démocratie. D’autres, nombreux, sont viscéralement et politiquement opposés et près à la piétiner dès que possible. Le mouvement pose en effet au syndicalisme des questions de fond qui renvoient à la pratique, à la stratégie, à la conception de la société, et même à l’éthique ! Il y a bien deux conceptions du syndicalisme en présence, l’une, la nôtre et celle de nombreux syndicalistes combatifs, qui voit dans le syndicat un outil au service des luttes – ce qui ne nie en rien son rôle actif d’animateur et de force de proposition – et l’autre qui reproduit les schémas de hiérarchie et de délégation de pouvoir.
Le conflit à la SNCF démontre dans les faits qu’un autre syndicalisme est possible. Les travailleurs en sont les premiers demandeurs : respect des positions de la base, et unité. Parti des roulants de la gare du Nord, le mouvement a été dès le début soutenu par la fédération CFDT (celle de la CGT et de la FGAAC ayant refusé, alors) déposant un préavis de grève et appelant immédiatement à l’extension. Un syndicalisme différent peut vraiment contribuer à faire avancer les choses. Souhaitons que cette attitude « à l’écoute » se poursuive jusqu’au bout...
Le climat nouveau n’est pas propre aux seuls cheminots. Dans de nombreux secteurs, on peut commencer à remobiliser, et sur des bases nouvelles. Pour conclure provisoirement, quelques pistes proposées à l’esprit – imaginatif ! – des lectrices et des lecteurs :
 Dans la Fonction publique et dans de nombreux secteurs du privé les négociations syndicales s’engagent en janvier et février. Traditionnellement les accords sont signés ou refusés sans l’avis de la base, c’est à dire des premiers concernés. N’est-ce pas le moment de faire progresser l’idée de référendum de tous les travailleurs, précédés d’assemblées générales de débat, toute signature étant suspendue à la décision démocratique de la base ?
 Il y a certes « exemplarité » des mouvements actuels. Feront-ils boule de neige ? L’attentisme serait bien mal inspiré : il faut ouvrir à la combativité la possibilité de s’exprimer, d’éclater ou de mûrir selon les lieux. Donc, tout de suite : donner la parole, provoquer les débats. C’est déjà ce qu’ont commencé à faire de nombreux militants combatifs, en préparant des réunions de personnel, des AG, la rédaction de cahiers revendicatifs avec les travailleurs etc. Pour que, comme dit l’autre, « le flot monte », mais vraiment, abaissons les barrières du silence : la parole aux travailleurs !
Patrice Spadoni


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