MacSIMOIN, Alan. "Le Mouvement anarchiste en Corée [1920-1945]"

mouvement anarchiste : histoireCoréeKOTOKU SHUSUI (1871-1911). Anarchiste japonaisCorée.- Histoire de l’anarchismeMandchourieFUMIKO, KanekoKIM Jwa-JinYEOL, Parkfédérations anarchistes

Texte relevé lors d’une conférence d’Alan MacSimoin à la Branche de Dublin du
Mouvement de Solidarité des Travailleurs, Septembre 1991.
Source : Traduit à partir du site "Illegal Voices : Anarchist People of Color", mais le texte anglais n’y est plus...
Le Syndicat Intercorporatif Anarchosyndicaliste de Caen a assuré la traduction de ce texte anglais. Il aborde l’anarchisme organisé en Corée de ses origines jusqu’aux années 30. Nous avons publié cette traduction dans notre journal « Solidarité » N°24 de Mai 2006 (Solidarité, 4 N° par an : SIA BP 257 14013 Caen cedex). Traduction parue sur Indymedia, Grenoble

Il y a eu au cours des 2000 ans d’histoire coréenne des mouvements qui ont surgit et lutté pour les droits des paysans et pour l’indépendance nationale. A l’intérieur de ces mouvements il y avait des tendances qui peuvent être vues comme des précurseurs de l’anarchisme moderne, de la même manière que nous pouvons voir les Diggers dans la révolution anglaise.
En 1894, le Japon envahit la Corée sous prétexte de la protéger de la Chine. La lutte pour l’indépendance nationale devint centrale pour toute activité politique radicale.
Le mouvement anarchiste moderne en Corée commença à prendre forme parmi les exilés qui fuirent en Chine après la lutte d’indépendance de 1919, et parmi des étudiants et des travailleurs qui allèrent au Japon. Cette lutte, le Mouvement du 1er mars, au sein duquel les anarchistes prédominaient, impliqua 2 millions de personnes ; il y eu 1500 manifestations, 7 500 personnes furent tuées, 16 000 blessées et plus de 700 maisons et 47 églises furent détruites.
Dans la période qui va jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale la Fédération Anarchiste Coréenne a identifié 3 étapes.
La première étape couvre la première moitié des années 20 et est décrite par la FAC comme la période de gestation.
Dans les premières années de ce siècle alors que les classes dirigeantes débutaient leur campagne impérialiste dans d’autres pays asiatiques, elles sévissaient également impitoyablement contre toute opposition intérieure. Les anarchistes japonais étaient au premier rang de la lutte anti-impérialiste. En 1910 Kotoku Shusui, un meneur anarchiste japonais, fut exécuté pour trahison. Le Journal des Roturiers ralliait l’opposition à la guerre Russo-Japonaise et à l’occupation de la Corée. Avec les révolutions russes de 1905 et 1917, l’émeute du riz de 1918 et le soulèvement de masse en Corée en 1919, la classe dirigeante japonaise était inquiète.
A la suite de la suppression sanglante du Mouvement du 1er mars et de la hausse du niveau de la lutte des classes au Japon lui-même, les patrons japonais accusèrent les anarchistes et les coréens d’être responsables du tremblement de terre de Tokyo en 1923. Plus de 6 000 travailleurs coréens au Japon furent traqués avec des matraques et des javelots de bambous. Tous les anarchistes japonais et coréens connus furent arrêtés. Park Yeol et sa femme Kaneko Fumiko, anarchistes coréens, vétérans de la lutte d’indépendance et organisateurs de la « Société des Travailleurs Noirs » de Tokyo, furent condamnés à mort.

De nombreux autres furent emprisonnés. L’accusation d’avoir causé un tremblement de terre peut avoir été un peu embarrassante pour des sections de la classe dirigeante alors les condamnations furent commuées en prison à vie. Kaneko mourut en prison et Park ne fut pas relâché avant la fin de la Deuxième Guerre Mondiale. Beaucoup de Coréens qui furent emprisonnés à la suite de ce qui fut connu comme « le procès de Haute Trahison » devinrent des militants actifs dans le mouvement anarchiste de leur propre pays.
La Fédération Anarchiste Coréenne en Chine (FACC) fut formée en avril 1924 et le « Manifeste de la Révolution Coréenne » fut publié. Il était d’un anti-impérialisme très militant : « Nous déclarons que la politique de cambrioleur du Japon est l’ennemie de l’existence de notre nation et qu’il est de notre droit de renverser le Japon impérialiste par des moyens révolutionnaires ». Cela accentua le besoin de faire plus que simplement changer de dirigeants, montrant la différence entre une révolution politique et une révolution sociale. Il n’y avait pas de doute sur le rôle des anarchistes, il mettait l’accent sur le rôle de meneur des anarchistes dans une situation révolutionnaire. La Fédération commença à produire des journaux comme Reprendre (Recapture) et le Bulletin Justice.
En 1928 le développement des positions libertaires permit aux anarchistes coréens d’organiser la Fédération Anarchiste Orientale avec des camarades de Chine, du Vietnam, de Taiwan et du Japon - qui publia un bulletin, Dong-Bang (L’Est). Le « Manifeste » fut adopté par la Fédération Orientale comme son programme formel.
La seconde étape qui couvre les années 1925-1930 fut dominée par l’organisation du mouvement. Armé de la théorie anarchiste de la révolution exposé dans le « Manifeste » et des expériences pratiques tirées du Mouvement du 1er mars, des organisations de travailleurs au Japon et du « procès de Haute Trahison », des groupes furent organisés à Séoul, Taegu, Pyongyang et dans d’autres zones. En novembre 1929 il y avait eu une énorme croissance et la Fédération Communiste-Anarchiste Coréenne fut crée comme organisation nationale. Comme composante de la résistance anti-japonaise, c’était une structure complètement clandestine. Cela ne doit conduire personne à penser qu’elle était petite ou qu’elle manquait d’un large soutien.
Pour donner une idée de la manière dont le mouvement avait grandi, je veux regarder comment les choses avaient progressé depuis le début des années 20. Dans la province de Kiho, le journal quotidien Dong-a Ilbo signalait en octobre 1925 que 10 membres de la Ligue du Drapeau Noir avaient été emprisonnés pour un an chacun. L’année suivante le même journal annonçait que 5 jeunes travailleurs étaient emprisonnés pour avoir publié un manifeste très similaire dans le style et le contenu au « Manifeste de la Révolution Coréenne ». En 1929 Dong-a Ilbo parle d’une société secrète d’anarchistes organisée par Lee Eun-Song qui comptait une centaine de membres dans la ville de Icheon dans la province de Kwangwon. Cette année là il transpira que les membres de la Société du Mouvement des Artistes de Chunju étaient tous anarchistes, de tels noms et fronts étaient utilisés pour déjouer la police japonaise. En réponse à cela la peine de mort fut rétablie pour l’organisation de Sociétés ayant comme but le « changement de la structure nationale »
A Taegu, une Ligue de la Vérité et de la Fraternité fut crée en 1925 par des exilés qui revenaient du Japon. La ligue des Révolutionnaires fut également crée et les deux étaient en contact régulier avec la Société de la Jeunesse Noire de Tokyo. Je suis également tombé sur des groupes anarchistes à Anui, Mesan, sur la Ligue des Amis Noirs de Changwon, sur le Groupe Aide Mutuelle de l’île de Jeju. Ce dernier utilisait son éloignement du pouvoir central pour organiser des coopératives de fermiers et d’artisans et même un orchestre de paysans. Inutile de le dire, les organisateurs découvrirent vite qu’ils n’étaient pas si éloignés et connurent de l’intérieur les cellules.
A Kwanseo et dans la province de Kwanbul j’ai trouvé mention d’au moins huit groupes supplémentaires. Presque tous les groupes du pays étaient impliqués dans une mélange de production de tracts et de journaux, d’organisation de syndicats et d’engagement dans la résistance à l’occupation.
A cette époque que la plupart des zones comptaient au moins un groupe actif. Il y avait aussi des organisations en Mandchourie et parmi les exilés en Chine et au Japon.
L’étape suivante est celle du combat qui va jusqu’en 1945.
Parmi les 2 millions de coréens de Mandchourie la Fédération Anarchiste Coréenne en Mandchourie (FACM) fut capable d’enfoncer de profondes racines immédiatement après sa formation en 1929. Le principal organisateur de la Fédération Kim Jong-Jin dressa un plan qu’il proposa aux guérillas anti-japonaises. Il englobait des collectivités volontaires de fermiers, l’éducation gratuite jusqu’à 18 ans et pour les adultes plus âgés et un entraînement au maniement des armes pour tous les adultes responsables. Des discussions s’en suivirent et finalement un plan anarchiste fut adopté qui fut décrit comme « en accord avec le principe de la libre fédération basé sur la libre volonté de l’homme ».
La difficulté qui ne fut pas vraiment envisagée était comment traiter avec les staliniens qui s’organisaient aussi dans la région et qui calomniaient les anarchistes et d’autres comme étant des « tyrans ». Les jeunes anarchistes autour de Yu-Rim voulaient combattre l’idéologie par l’idéologie et démontrer la supériorité de leurs idées. Les plus anciennes guérillas anti-japonaises autour de Kim Jwa-Jin (parfois appelé le Makhno coréen) pensaient qu’il étaient suffisant de déclarer leur soutien à l’anarchisme mais qu’elles pouvaient ignorer les staliniens jusqu’à ce que l’indépendance nationale soit conquise parce qu’alors seulement les politiques réelles viendraient au premier plan. Ça n’est pas très différent de la théorie des étapes mise en avant par des éléments du Sinn Fein !
En août 1929 les anarchistes avaient formé une administration à Shimmin (une des trois provinces mandchouriennes). Savoir s’il s’agissait d’un gouvernement reste encore un point de controverse parmi les anarchistes. Organisée en tant qu’Association du Peuple Coréen en Mandchourie (APCM), elle se présentait comme « un système indépendant auto-gouverné et coopératif des coréens qui rassemblent tout leur pouvoir pour sauver notre nation en luttant contre le Japon ». La structure était fédérale allant des assemblées de villages jusqu’à des conférences de districts et de zones.
L’association générale mit en place des départements exécutifs pour s’occuper de l’agriculture, de l’éducation, de la propagande, des finances, des affaires militaires, de la santé publique, de la jeunesse et des affaires générales. Les équipes de ces départements ne recevaient pas plus que le salaire moyen.
On pourrait s’attendre à ce que l’organisation débute au niveau du village et ensuite se fédère au delà. Cependant la FACM croyait que la situation de guerre rendait impossible l’application immédiate de ce principe. Dans l’entre-deux, elle nommait les équipes et le faisait de haut en bas. Les équipes d’organisation et de propagande étaient alors envoyées pour créer du soutien et mettre en place des assemblées de villages et des comités. Dans un village un moulin à riz capable de moudre plus d’un million de boisseaux fut construit pour permettre aux coopérateurs locaux de briser leur dépendance vis à vis des marchands. Apparemment signalèrent un bon accueil et furent bien reçues où qu’elles aillent.
L’administration locale des combattant anti-japonais de Shimmin se dissout volontairement et prêta son soutien à la FACM. Alors que les anarchistes croissaient en nombre et en soutien, les staliniens et les éléments pro-japonais en Mandchourie sentirent les bases de leur propre pouvoir menacées.
Le 20 janvier (1930) le général anarchiste Kim Jwa-Jin fut assassiné alors qu’il effectuait des réparations sur le moulin à riz que je viens de mentionner. Le tueur s’échappa mais son commanditaire fut pris et exécuté.
Lors d’un meeting de la FACC en juin à Pékin il fut décidé de dérouter toutes les ressources hors de la Corée elle-même vers la Mandchourie et la plupart des membres de la FACC allèrent dans la zone anarchiste dans le nord de la Mandchourie. Il faut noter que des camarades femmes étaient actives comme agitatrices et contrebandières d’armes.
A la fin de 1930 les japonais attaquaient désormais par vagues depuis le Sud et les staliniens, soutenus par l’URSS, depuis le Nord. Au début de 1931 les staliniens envoyèrent des équipes de tueurs et de kidnappeurs dans la zone anarchiste pour éliminer les militants actifs. Ils croyaient que, s’ils liquidaient la FACM, l’APCM s’affaiblirait et finirait par mourir. A l’été 1931 de nombreux meneurs anarchistes étaient morts et la guerre sur 2 fronts dévastait la région. Il fut décider de passer à la clandestinité. Shimmin l’anarchiste avait vécu.
Il y aurait bien plus à dire sur l’activité en Chine et aussi bien au Japon qu’en Corée durant les années qui vont jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, sur leur attitude face à la partition de leur pays et sur leur position aujourd’hui. Mais cela prendrait trop de temps de traiter de tout ça. Ce qui doit être très clair c’est que l’anarchisme en Asie a une histoire très réelle. Nous avons besoin de plus d’informations pour évaluer convenablement ses développements politiques, ses réussites et ses échecs. En attendant on peut déjà tirer des connaissances la conclusion solide que l’anarchisme fut, et peut être encore, une force majeure dans la région.

La principale source que j’ai utilisé est le livre de Ha Ki-Rak, « une histoire du mouvement anarchiste coréen » qui a été publié en 1986 par la Fédération Anarchiste Coréenne.
Outre le fait d’être pauvrement traduit et confus chronologiquement, il est écrit dans la perspective de la tendance la plus nationaliste et réformiste du mouvement coréen.