DOMMANGET, Maurice. 8. Lent cheminement de « L’Internationale » sur le plan mondial

NETTLAU, Max (1865-1944). Linguiste autrichien et premier historien de l’anarchismeLille (France) et Région Nord-Pas de CalaisBelgiqueGand (Belgique)DOMMANGET, Maurice (1888-1976)DEGEYTER, Pierre (Gand, Belgique 8/10/1848 – Saint-Denis, France 26/9/1932) GUEUX, JacquesPOB (Parti Ouvrier Belge)DOMMANGET, Maurice (1888-1976)Congrès. Congrès de Londres (1896)

Lent cheminement de "L’Internationale" sur le plan mondial

Avant-guerre, nous avons vu le chant de Pottier se répandant tout d’abord à Lille et dans les principaux centres ouvriers du nord de la France. La frontière belge n’est pas loin et Pierre Degeyter est originaire de Gand. Il est donc tout naturel qu’en se développant sur le terrain régional l’Internationale n’ait pas été infidèle à son titre, et c’est assez dire que les travailleurs de Belgique furent les premiers, hors de France, à connaître le chant qui traduit le mieux la plainte et la suprême espérance du prolétariat de tous les pays. l’Internationale fut même chantée en chœur assez tôt à Gand, où Pierre Degeyter fut reçu chaleureusement par ses compatriotes et camarades, notamment par Anseele, au Vooruit. On constate néanmoins, qu’au cours des grandes grèves du printemps de 1895, qui remuèrent si profondément la Belgique, les manifestations se déroulent encore aux accents de la Carmagnole et de la Marseillaise. A la Chambre belge, les socialistes chantent la Marseillaise [1]. En 1897, on chante l’Hymne de Paix de Jacques Gueux et le Chant du 15 août, lors des manifestations ouvrières bruxelloises [2].
Les premiers congrès socialistes internationaux, qui marquèrent le début de la IIe Internationale, ignorent encore l’Internationale. C’est ainsi que le Congrès de Bruxelles se termina le 23 août 1891, aux accents de la Marseillaise, sur la proposition du leader du Parti Ouvrier belge, Jean Volders, lequel qualifia même le chant de Rouget de Lisle, d’ « hymne révolutionnaire international ». Les congressistes visitèrent ensuite le Vooruit de Gand, où on les reçut au chant de la Marseillaise et rentrèrent à la Maison du Peuple de Bruxelles, où ils furent reçus encore au son de la Marseillaise, exécutée par une fanfare ouvrière. En ce qui concerne Gand, le fait mérite d’être plus spécialement retenu, car on aurait pu, tout au moins, s’y attendre à une exécution de l’Internationale.
Au fameux Congrès international de Londres (1896), qui marqua la rupture des socialistes parlementaires avec les anarchistes, il ne semble pas qu’on ait chanté l’Internationale. A la fin de la séance plénière du 1er août, délégués et assistants entonnèrent la Marseillaise des Travailleurs, sauf la majorité française, qui chante la Carmagnole [3]. A noter que G. Delory et Henri Ghesquière étaient tous deux présents, mais il leur parut sans doute prématuré d’entonner, dans cette assemblée, le chant qu’ils venaient de faire connaître aux militants du P. O. F., réunis à Lille.
Au Congrès international de Paris, en 1900, la délégation française révéla l’Internationale au monde des travailleurs socialistes, mais c’est seulement le 7 février 1904 que l’hymne de Pottier reçut, à Bruxelles, une sorte d’investiture officielle du Bureau Socialiste International, et ce jour fut un jour de gloire pour le modeste Pierre Degeyter.
A partir de cette date l’Internationale peut prendre vraiment son essor sur le plan mondial, et elle apparaît, en effet, ici ou là, dans les deux hémisphères. On constate son succès. Toutefois, il faut bien le dire, ce succès n’est pont sans mélange, et les socialistes français, pour qui l’Internationale est devenue familière, sont parfois étonnés de constater qu’elle n’est pas encore suffisamment connue, et que la Marseillaise la supplante encore.
C’est ainsi que Lacotte, rendant compte du départ du cortège du 1er mai 1904, à Londres, écrit :

« De cette foule, tout à l’heure recueillie, s’élèvent aussitôt des chants corporatifs et socialistes. Tout de même, chose assez inattendue pour moi, la Social Democratic Federation ignore l’Internationale et c’est la Marseillaise qui domine. La Marseillaise, cette pauvre Marseillaise, tant déconsidérée en France par les éphèbes des cercles catholiques, qui osent la chanter : elle paraît être envisagée à Londres comme le chant subversif par excellence ! C’est même aux accents de l’hymne républicain français, joué par toutes les fanfares du cortège, que se terminera tout à l’heure le meeting de Hyde Park » [4].


Quand le Congrès international de Copenhague prend fin, le 3 septembre 1910,

« les Français, dit le compte-rendu, entonnent l’Internationale, les Autrichiens, La chanson du Travail [5], les Suédois, Danois, Norvégiens et Anglais, leur chant de lutte ; puis, finalement, tout le Congrès chante, dans un vibrant enthousiasme l’Internationale. »

Par cet extrait, on mesure évidemment le chemin parcouru depuis le Congrès de Bruxelles, dix-neuf années avant, mais on voit bien aussi que l’Internationale, sauf pour les Français, ne fait encore que se superposer aux chants socialistes les plus populaires de chaque pays. Du reste, Jean Longuet, écrivait récemment, sous le coup de l’émotion ressentie après un défilé magnifique à Bruxelles au rythme des chants socialistes, surtout de l’Internationale  :

« En Belgique, il y a quelque quinze ou vingt ans encore, on la jouait [l’Internationale] moins fréquemment que la Marseillaise des Travailleurs. Dans le restant de l’Europe, elle était alors à peu près inconnue » [6].

Chapitre suivant :
L’essor mondial de "L’Internationale" après guerre

[1L’Intransigeant, du temps et Louis Bertrand. Souvenirs, t.II.

[2Les Temps Nouveaux, 3° année, n° 17.

[3A. Hamon : Le Socialisme et le congrès de Londres, p. 109.

[4La Raison, 8 mai 1904.

[5Le Lied der Arbeit dont il est ici question est le chant des social-démocrates autrichiens de langue allemande, puis les premiers temps de leur mouvement avant 1870. Quand ce mouvement devint révolutionnaire, de 1880 à 1884, c’est le chant de Most, les Prolétaires qui fut en vogue, puis sous l’influence des social-démocrates de V. Adler, le vieux Chant du Travail reprit sa vogue. Après la guerre, ce furent principalement les communistes qui mirent en avant l’Internationale en Autriche. Dès lors les social-démocrates chantèrent moins l’hymne de Pottier sauf dan les grandes circonstances.- Communication de Max Nettlau.

[6Le Populaire, 22 août 1935. (Après la manifestation de Bruxelles).