DOMMANGET, Maurice. 7. L’Essor en France de « L’Internationale »

France.- 3e République (1871-1940)Droit. Procès.- Affaire DreyfusDELESALLE, PaulMONTEHUS (pseudo de Gaston BRUNSWICK, 18...-1952)DOMMANGET, Maurice (1888-1976)

L’essor en France de "L’Internationale"

L’Essor en France de « L’Internationale » avant guerre

En faisant dater du Congrès de Japy l’essor définitif de l’Internationale, Bracke va certainement trop loin, mais il reste que l’hymnne de Pottier a conquis au cours de ces circonstances inoubliables les militants de toutes les fractions du prolétariat français et son succès, son triomphe est assuré désormais.
C’est vers la même époque qu’Aristide Jobert, le futur député, puis directeur du Travailliste, apprenait l’Internationale aux Parisiens qui fréquentaient la Maison du Peuple de l’impasse Pers (rue Ramey), en faisant chanter l’hymne de Pottier, avec l’addition d’une partie pour voix de basse au refrain, par le choral socialiste qu’il dirigeait [1].
Un peu plus tard, Montéhus chantait pour la première fois l’Internationale sur une scène de théâtre, aux Ambassadeurs, avenue des Champs-Elysées, provoquant tout un scandale dans les journaux réactionnaires. Et comme il arriva, au temps des ministères Waldeck-Rousseau et Combes (1899 à 1905), qu’à plusieurs reprises des ministres, notamment Camille Pelletan, alors ministre de la Marine, furent accueillis aux accents du chant de Pottier, la presse de droite se saisit de tous ces incidents pour faire comme un épouvantail de l’Internationale. Ce faisant, et bien involontairement, on peut donc dire que cette presse facilita la conquête des masses par l’Internationale.
Dès lors, on ne put passer sous silence le chant qui faisait tant de bruit dans les études et publications relatives aux chansons socialistes et, quand Albert Livet rédigea, en 1902 son article sur « La chanson rouge au XIXe siècle » il écrivit :

« Eugène Pottier, le poète de l’Internationale, tient une grande place, sinon la première, parmi les poètes révolutionnaires » [2].

Depuis les assistes de Japy, on peut dire qu’en France la plupart des congrès ouvriers et socialistes furent marqués par le chant de l’Internationale.
A la suite du Congrès corporatif de Lyon, la foule s’écoula lentement, le 29 septembre 1901, en chantant l’Internationale.
Elle fut chantée au Congrès de Montpellier (1902) et au célèbre Congrès d’Amiens (1904), ainsi qu’à la soirée familiale organisée à Reims, avec le concours de Jehan Rictus, à l’occasion du Congrès de la Fédération du Verre.
Je tiens de Paul Delesalle, qui a fait le compte rendu « officiel » de quatre ou cinq congrès de la C. G. T., que ces congrès se terminèrent bien aux accents de l’Internationale, mais à l’époque, on n’avait pas l’idée de faire figurer les chants sur les compte-rendus.
C’est cette particularité qui explique, sans doute, l’omission de l’Internationale dans les comptes rendus « officiels » des congrès du Parti socialiste unifié. Seul, le compte rendu sténographique du XIe Congrès national, tenu à Amiens, en janvier 1914 [3], spécifie que le chant de Pottier a clôturé les débats.
En France, après l’affaire Dreyfus, la désaffection prolétarienne pour la Marseillaise, coïncidant avec la diffusion de l’Internationale, avec la violence des principes antimilitaristes et antipatriotiques, et coïncidant dans le monde, avec le développement de l’organisation internationale des travailleurs, les dernières années du XIXe siècle et le début du XXe, marquèrent l’abandon complet de la Marseillaise, comme chant de révolution et de combat dans son pays d’origine.
Avant la guerre, il ne serait venu à l’idée d’aucun prolétaire, d’aucun socialiste de la chanter dans une réunion, et les militants restaient couverts ostensiblement quand on l’exécutait dans les cérémonies officielles. Parfois même, ils tentaient d’en couvrir les accents, en clamant l’Internationale. Plus d’un incident se produisit en raison de cette attitude d’hostilité ouverte.
Les autres prolétariats en étaient encore alors, à cette période intermédiaire, où l’un des hymnes de la Révolution du passé se mêlait à l’hymne de la Révolution de l’avenir.
Mieux, dans le pays de la Marseillaise, l’Internationale avait si bien conquis droit de cité, que des radicaux eux-mêmes, la chantaient au cours des campagnes électorales, des manifestations anticléricales et au soir des scrutins victorieux. Le chant du prolétariat socialiste ralliait donc à lui cette avant-garde de la petite bourgeoisie républicaine représentant à la fois les classes moyennes et la partie inéduquée et inorganisée de la classe ouvrière.
Résurgence de la « Marseillaise » à la guerre

La grande guerre, tout au moins à ses dévuts, en même temps que l’effondrement des organisations ouvrières, marqua une éclipse de l’Internationale. La Marseillaise « si criée et si décriée » jusque-là, puisqu’on la jouait officiellement « à tout bout de champ et à tout bout de rue » jusque dans les concours de ompes et de natation fut, pour ainsi dire, découverte à nouveau. Suivant le mot de Maurice Donnay, celles de ses paroles qui « semblaient excessives » prirent « leur véritable valeur » en se retrempant dans l’actualité tragique, au feu des obus, à la flamme des incendies, au déchaînement des plus sauvages instincts [4]. C’est alors que le Souvenir français, conduit par son président, Camille Le Senne, un ancien ami de Déroulède, fleurit la tombe de Rouget de Lisle, à Choisy-le-Roi. Et de même que la Bordas et la citoyenne Agard, avaient électrisé le sspectateurs parisiens de 1870, en la chantant de leur forte voix, on vit les tragédiennes Madeleine Roch et Mme Segond-Wéber déclamer la Marseillaise, en des attitudes rappelant la grandiose et dynamique figure de Rude.
Quant aux « Poilus », ils ne semblent pas avoir été enflammés par son rythme brûlant. Elle n’a guère mordu sur eux et la prosaïque et pitoyable Madelon connut un autre succès.

Chapitres suivants :
Lent cheminement de "L’Internationale" sur le plan mondial
L’essor mondial de "L’Internationale" après guerre

[1Lettre de Jobert, 22 juillet 1936 et Le Travailliste du 10 juillet 1936 (avec une erreur évidente de date (« Voici un demi-siècle ») rétablie par la lettre précédente.

[2La Revue Socialiste, t. 36, p. 551.

[3P. 436.

[4Et les deux informations suivantes Les Annales politiques et littéraires, 11 juillet 1915.