CAMUS, Albert. "Le Refus de la haine"

Témoins n°8 (printemps 1955)

NIETZSCHE, Friedrich Wilhelm (1844-1900)TOLSTOÏ, Léon (1828-1910)Guerre mondiale (1939-1945). RésistanceCAMUS, Albert (Mondovi, Algérie (7 /11/1913 - Villeblin (Yonne, France) 4/1/1960MELVILLE, Herman (1819-1891)

« Mais je voudrais pourtant rester fidèle à ce qui fut l’effort principal de cette résistance, déjà oubliée et toujours vivante chez certains silencieux. Dans une nation dont les périodiques pour une moitié insultent régulièrement la nation américaine et pour l’autre moitié le peuple russe, je voudrais bien ne pas ajouter un seul mot de haine à ce torrent d’imprécations. Les rêves allemands m’ennuyaient et j’étais, et suis d’avis, qu’il faut les contenir. Mais je dois à Nietzsche une partie de ce que je suis, comme à Tolstoï et à Melville. Haïr leurs peuples serait me nier et me réfuter moi-même. Les combattre s’ils oppriment le mien, est une tout autre affaire. Je sais qu’un certain nombre de Français pensent ainsi et que leur attitude devant une nouvelle Occupation, pour être démunie de hargne, n’en sera pas moins déterminée. Selon moi, c’est en cela qu’eux du moins restent fidèles à l’esprit de la Résistance.
Mais l’Occident a mieux à faire qu’à se déchirer en guerres ou en polémiques. Une création l’attend qu’il est seul, contrairement, à tout ce qui s’écrit aujourd’hui, à pouvoir édifier, car il est seul à fournir les ferments et les hommes d’inquiétude dont aucune création, historique ou artistique, ne peut se passer. […] »