BOUHEY, Vivien. "Les anarchistes contre la République. Contribution à l’histoire des réseaux sous la Troisième République (1880-1914).

France.- 3e République (1871-1940)* bibliographieBOUHEY, Vivien

Préface de Philippe Levillain. Presses universitaires de Rennes, 2008. Tableaux, Bibliographie, Index des noms propres. 496 p. 15,5 x 24 cm. ISBN : 978-2-7535-0727-2.

L’actualité voit se multiplier les rapprochements hardis entre le terrorisme contemporain et la période anarchiste des attentats. Voici qu’un ouvrage sérieux invite à un regard beaucoup plus nuancé, l’examen minutieux des rapports de police quasi exhaustivement dépouillés et celui des compte-rendus de la presse libertaire. Il s’écarte ainsi des clichés, des déterminismes inéluctables, des théories explicatives, et s’aventure dans des parcours accidentés, les chemins incertains et mal éclairés des propagandistes et militants. Quel étrange contraste avec les pleins feux des médias et ceux d’une époque riche en événements, en contradictions et en convictions.
Il faut remercier Vivien Bouhey de cet immense travail qui révèle la diversité des opinions sur des sujets où l’on aurait cru que l’unanimité était de règle, par exemple le journal de Kropotkine. L’ouvrage s’efforce aussi de démontrer que les chiffres d’appartenance au mouvement ont été très surestimés. Les études statistiques montrent des associations bien minuscules. L’auteur en établit les bases arrières, les lieux d’implantation, l’action des conférenciers de province, la place qu’y tiennent un certain nombre de femmes. On retrouve la grande tradition d’un Jean Maitron, loin de ces vulgarisations journalistiques qui misent sur le sensationnel.
L’oeuvre est originale, fondée sur l’observation des sources, et fidèle à son titre, elle suit de près les divers réseaux et leurs parcours accidentés, leurs clivages et leurs résurgences. Elle met à jour la pluralité des pôles, la résistance aux centralisations, la place privilégiée de certaines régions, la France profonde. Tout cela se reflète dans l’apparition d’une presse libertaire, la naissance de la propagande par le fait, le développement de l’illégalisme, et aussi l’affaire Dreyfus et l’éclatement de la guerre de 14-18.
Le livre se divise en trois périodes : 1) Les années 1880 et la maturation du mouvement ; 2) Du début des années 1890 au tournant des années 1895 : le repli sur soi ; 3) De 1895 à 1914 : les mouvements anarchistes.
Un travail d’une telle ampleur, appelé à devenir un ouvrage de référence, sera sans doute très discuté, en raison de la richesse des informations et de l’importance des jugements qui l’accompagnent. Il faut souhaiter qu’il sera quelque jour complété par un tableau de la même envergure sur l’action des anarchistes au sein des courants syndicalistes, l’influence des militants italiens en France, mais aussi sur les complaisances de la grande à l’égard de la police. Ce livre sera indispensable à tout historien sérieux comme à tout lecteur qui veut saisir le panorama d’un mouvement dont l’influence a été sans proportion avec le nombre.
Ronald Creagh