SERGE, Victor.- Les anarchistes et l’expérience de la révolution russe

juillet-août 1920

Révolution soviétique de 1917SERGE, Victor (Bruxelles, 1890 - Mexico, 1947)

Préface

L’étude - par trop sommaire et schématique - qu’on va lire a été rapidement jetée sur le papier en 1920, après de longues et vives discussions avec les militants venus en Russie à l’occasion du deuxième Congrès de l’Internationale communiste, et notamment avec les camarades Lepetit, Vergeat, Pestana, Armando Borghi. Il me semble bien que tous ces camarades s’accordèrent à peu près avec moi sur l’ensemble des idées exprimées dans ces pages. Depuis, d’autres libertaires français et espagnols, moins connus, venus en Russie rouge, ont eu l’occasion de me donner leur approbation. Si bien que cela me paraît aujourd’hui un fait général : les anarchistes étrangers qui viennent en Russie, et surtout ceux qui participent au mouvement ouvrier de leur pays d’origine, souscrivent tout de suite au principe de la dictature révolutionnaire et acceptent ses conséquences.
Pour ce qui est des anarchistes russes, plusieurs militants connus y ont à ma connaissance nettement souscrit : ce sont notamment les camarades Grossman-Rotschin du « Goloss Trouda » [La Voix du Travail], syndicaliste anarchiste ; Gordin, anarchiste universaliste ; Perkus, anarchiste russe rapatrié d’Amérique. Point n’est évidemment besoin de mentionner ici ceux qui ont adhéré au Parti communiste russe.
Depuis que ces pages ont été écrites, l’immense expérience de la première révolution sociale des temps modernes a continué de se développer avec une logique inflexible. Nous voyons aujourd’hui, chose tragique, une révolution sociale, contenue - par suite de l’inertie des peuples de l’Europe en présence d’une réaction intelligente et bien armée - dans des frontières nationales où elle étouffe et réduite à temporiser avec l’ennemi extérieur et intérieur. Nous avons vu se commettre bien des fautes, se révéler des erreurs, s’attester des vérités précieuses au point de vue libertaire. Il me semble que de cette nouvelle expérience d’un an la pensée libertaire sort à nouveau fortifiée - à la condition que la révision des idées traditionnelles faite, l’on veuille bien se placer au point de vue du réalisme1 historique - tenir compte des besoins des masses et des grands facteurs de la vie économique et psychologique internationale, dont le cours dépend des événements bien plus que de nos aspirations et de nos rêves.