Jusqu’au 29 juillet : SACCO ET VANZETTI Une pièce de Alain Guyard, mise en scène et scénographie de François Bourcier Avec Dau et Catella Festival Avignon OFF Théâtre du Chêne Noir à 15H

VANZETTI, Bartolomeo (1888-1927)SACCO, Nicola (1891-1927)art : théâtre

Pour toute une génération Sacco et Vanzetti résonnent aux accents tragiques d’une ballade chantée par Joan Baez, au refrain « Nicola est mort » du génial Ennio Morricone. Les visages de Gian Maria Volonté et de Riccardo Cucciola nous avaient bouleversé, mais le film fut presque occulté dans nos mémoires par la chanson.
Mais qui était ce Nicola qui est mort sur la chaise électrique ? Quel crime odieux avait-il commis ? Pourquoi y-a-t-il eu des manifestations dans le monde entier pour demander sa grâce et la révision du procès inique qu’il a subi avec Bartoloméo Vanzetti, son ami, son frère d’arme dans la misère. Condamnés à mort en 1921, ils seront exécutés en 1927, malgré les témoignages attestant de leur innocence. La démocratie n’aime pas les anarchistes, de surcroit être italien dans l’Amérique des années vingt est presque une tare. Ils se font discrets, s’ils sont pris par la police, pour la majeure partie constituée d’irlandais, ils risquent de se faire rouer de coups, au mieux, ou d’être victime d’une bavure définitive. Un hold up et une fusillade vont être l’occasion de juguler les différentes sociétés d’immigrants italiens qui essaient de survivre dignement. Sacco et Vanzetti sont accusés d’avoir participé au hold up, alors que des témoins attestent de leur présence loin du lieu du crime.
Nicola Sacco est cordonnier et Bartoloméo Vanzetti, ouvrier, militant libertaire. L’anarchie est pour eux un moyen de se défendre et d’espérer un monde meilleur pour leurs enfants. Ah il est loin le rêve de l’Amérique, véritable El Dorado qui sera pour la plupart une nouvelle terre de misère et d’humiliation.
Alain Guyard a choisit de présenter Nicola Sacco dans sa cellule dans les dernières heures avant son exécution. Il croit voir Bartoloméo Vanzetti à ses cotés, hallucination, rêve éveillé avant le cauchemar final ? Nicola fait la grève de la faim depuis 26 jours. Avec l’ombre de Vanzetti, il va repasser en revue les circonstances tragiques de leur affaire. La scénographie de François Bourcier est exemplaire, une mise en scène réglée au cordeau qui ne louche jamais vers les effets faciles mais reste dans une droite ligne esthétique austère et d’une beauté glacée. Dans le fond du décor, un écran caché à demi comme une image que l’on regarde d’une porte entrouverte ou nous voyons le reflet à paillette d’un Hollywood qui ne parlait jamais de la crise, des images d’actualité qui nous mettent dans le bain de l’époque. Le décor est fait de quelques chaises , la crudité d’ampoules nues comme celles qui éclairent nuit et jour les cellules des condamnés à mort. Pour interpréter ce tandem de victimes de l’injustice, il fallait deux comédiens qui soient fraternels dans le jeu, Jacques Dau et Jean-Marc Catella sont des habitués du Festival d’Avignon. Leur duo navigue dans les eaux des absurdités de la langue française, dans le détournement de héros, dans le jeu de mot raffiné. On ne peut pas oublier leurs spectacles, de « L’Etroite moustiquaire » à « Mais qui est Donc Quichotte » jusqu’au philosophique « Dau et Catella et non pas le contraire ». A leur actif ensemble ou séparément, Molière, Musset, Feydeau, Brecht, Froissy. Dans un registre où la gravité de cette tragédie moderne qui pourrait s’appeler « Chronique de deux morts annoncées par commande de l’Etat », ils prouveront à tous les imbéciles qui pensent qu’ils ne sont pas des comédiens qu’ils sont tout simplement exceptionnels. Jacques Dau est Bartoloméo Vanzetti, mais également tous les figurants de l’affaire, bateleur fantastique, il est saisissant lorsque face au pouvoir il tient tête. Jean-Marc Catella est Nicola Sacco. Le pauvre cordonnier, emporté par une histoire qui le dépasse songe dans ses dernières heures à sa famille. De temps en temps, il quitte la chaise du condamné et interprète les personnages qui ont forgés son destin. Alors que nous connaissons l’issu implacable, que nous savons que le petit cordonnier sera électrocuté, la scène du descriptif de la parade de mort nous noue la gorge par des sanglots que nous voulons refouler, en vain. C’est les yeux rougis que nous applaudissons Jean-Marc Catella, sa composition a su si bien rendre le désarroi de cet homme simple, propulsé dans une histoire qui a broyé ses rêves et l’excellent Jacques Dau. Il s’agit bien d’une tragédie qui a des accents furieusement contemporains, ou la politique et le monde des affaires ne s’embarrassent pas de la vie des hommes surtout s’ils sont étrangers, hélas.
Ce spectacle est l’honneur du Festival Off !