ARMAND, E. (1872-1962). pseud. Ernest-Lucien Juin. Biographie par Xavier Bekaert

ARMAND, E (pseud. de Ernest-Lucien JUIN). (1872-1962)individualismegrèveviolenceBEKAERT, Xavier

Source : Xavier Bekaert Anarchisme, Violence, Non-violence
Petite anthologie de la révolution non-violente chez les principaux précurseurs et théoriciens de l’anarchisme Éditions du Monde Libertaire et les Éditions Alternative Libertaire

Anarchiste individualiste français, animateur des revues « l’En Dehors » et « l’Unique », Armand est issu d’un milieu anticlérical, son père avait participé à la Commune de Paris. Après avoir milité à l’Armée du Salut, il entre en contact vers 1896 avec le milieu anarchiste communiste. Il collabore alors avec divers journaux anarchistes, dont le « Libertaire » de Sébastien Faure. Dès 1900, il s’oriente de plus en plus vers l’individualisme, il fréquente entre autre les « causeries libertaires » de Libertad et Paraf-Javal. Il lança de nombreux journaux individualistes, il publia également de nombreux ouvrages, tant littéraires que théoriques. Il fut certainement l’un des principaux théoriciens de l’anarchisme individualiste.
Armand n’a jamais fait de la violence ou de la non-violence la pierre angulaire de son action. Néanmoins, à travers toute son œuvre écrite et sa longue vie militante, il a rejeté la violence comme impropre à l’évolution et l’émancipation de l’homme :
« Je le demande encore, quelle fatalité a donc décrété que la violence, la haine ou la vengeance fussent l’unique tactique à employer pour amener l’avènement d’une société libertaire où les hommes pensant par eux-mêmes, l’expérimentation sociale, morale, philosophique serait rendue possible ; une société, en un mot, où l’on ne connaîtrait ni exploitation de l’homme par l’homme, ni autorité de l’homme sur l’homme ? La violence organisée a fait jusqu’ici que les hommes subissent l’autorité d’autrui. Le nombre grandissant de mentalités libertaires, l’éducation des individus, la révolte consciente et non-violente (c’est-à-dire sans haine, brutalité ou effusion de sang inutiles) contre tout ce qui tend à perpétuer ce régime autoritaire et exploiteur, la propagande par l’exemple, les actes d’initiatives collectifs en matière économique finiront par détruire l’édifice social érigé par l’autorité et la violence. »
Néanmoins, Armand n’oublie pas dans quelles circonstances la violence survient et qui la provoque. Il ne s’agit nullement pour lui de renvoyer dos-à-dos oppresseurs et opprimés, il poursuit :
« Est-ce à dire que je condamne tous les actes de légitime défense individuelle, toutes les explosions d’indignation personnelles ou collectives ? Qui ne les comprendrait, qui ne les excuserait en face de certaines misères ou de certains actes d’arbitraire ? Je ne suis pas un sectaire de la « non-violence » et je me sens prêt à marcher d’accord avec tous ceux qui n’attachent pas à la violence la signification d’un article de foi. »
L’analyse d’Armand de la violence est que, pour se maintenir, une révolution violente a immanquablement besoin d’encore d’autres violences, et d’une domination toujours accrue de ceux qui pourraient la mettre en péril, donc elle ne peut être source d’anarchisme.
« La question de la violence n’est pas résolue du tout en ce qui concerne sa valeur comme facteur d’anarchisme. Il est indubitable que la violence a servi les desseins de l’anarchisme sous divers aspects. Mais on ignore absolument si elle servira les buts de l’anarchisme. Voilà le problème ; il faut le creuser à fond. Aucun anarchiste ne saurait nier que la violence engendre la violence, et que l’effort nécessaire pour se mettre à l’abri des réactions, des représailles des violences, perpétue un état d’être et de sentir qui n’est pas favorable à l’éclosion d’une mentalité antiautoritaire. Faire violence, c’est faire autorité. Il n’y a pas à sortir de là. »
En 1904, dans un rapport présenté au Congrès Antimilitariste International à Amsterdam, il présente de la manière suivante le choix de la méthode d’action révolutionnaire :
« Sur le plan de l’activité pratique, deux méthodes se présentent : la première consiste à retourner contre les oppresseurs et accapareurs l’arme dont ils se sont servis de tout temps pour placer sous le joug et exploiter les plus faibles : la force brutale ; la deuxième fait appel à la révolte individuelle et consciente, à la conviction profonde et personnelle. »
Il y développe plus amplement cette dernière, la méthode rénitente, qui est « de ne participer en rien à tout acte pouvant perpétuer l’existence d’une telle société », et donne divers exemples concrets :
« la grève pacifique des fonctions actuellement attribuées par la loi aux citoyens, le refus de la participation à tout service public, le non-paiement de l’impôt ; le refus du travail à l’atelier, à l’usine ou aux champs pour le compte des détenteurs ou accapareurs d’instruments de production ou d’échange appartenant logiquement à qui produit ; l’union libre simple ou plurale et sa rupture conclue selon l’acte contrat passé en-dehors de toute forme légale ; l’abstention des actes d’état civil ; le non-envoi des enfants aux écoles dépendantes de l’État ou de l’église, l’abstention de tout travail relatif à la fabrication d’engins de guerre ou d’objets de culte officiels, par exemple, ou la construction de banques, de casernes, d’églises, de prisons ; le mépris opiniâtre de tout « contrat social » imposé, de toute loi d’origine gouvernementale et de toute sommation du pouvoir. »
En songeant à leur valeur éducatrice et émancipatrice, il considérait que de tels actes « exerceront les individus non seulement à ne plus se soucier ni de l’État ni des lois, mais encore à s’organiser entre eux sans autorité d’aucune sorte ; tandis que, considérés isolément, ils constitueront une protestation véhémente et retentissante contre l’état des choses qui nous régit. »
Armand basait en bonne part son choix de la non-violence sur sa conception individualiste de l’anarchisme. Par exemple, lorsqu’il définit sa position vis-à-vis de la guerre, il déclare :
« Je suis et je demeure l’irréconciliable ennemi de la guerre, de toutes les guerres, et cela non seulement en me retranchant derrière des motifs d’ordre philosophique, sentimental, moral, économique ou autres (dont je suis loin de méconnaître la valeur), mais parce que je suis individualiste-anarchiste. »
Il voulait en effet se distinguer de certains courants anarchistes auxquels certains l’assimilaient de par son rejet de la violence. Dans ses Notes et réflexions pour servir à la rédaction d’une autobiographie, il écrit :
« Parce que je ne considère ni la brutalité, ni la violence, ni la haine, ni la vengeance comme des facteurs d’émancipation individuelle, je passe volontiers pour un « anarchiste chrétien » ou un « tolstoïsant ». »
Néanmoins, il ajoute :
« Pour dire vrai, les termes « tolstoïen », « anarchisme chrétien », « anarchisme non-violent », « anarchisme pacifique » ne rendent qu’imparfaitement ma pensée bien que, par différents côtés, ils répondent bien à mes sentiments actuels. » D’ailleurs, Mauricius, un de ses plus vieux compagnon de route nous dit que « même quand il se sépare de Tolstoï (…) il reste fidèle à la thèse tolstoïenne de résistance passive, de l’opposition morale à l’oppression, au refus de participer à des fonctions administratives, à la fabrication d’objets inutiles au développement de l’homme : armes, ornements d’églises, de casernes, de prisons, refus d’être soldat, juré, refus de l’impôt, etc. »