DE CLEYRE, Voltairine. D’espoir et de raison : écrits d’une insoumise / Voltairine de Cleyre

DE CLEYRE, Voltairine (1866-1912)* bibliographieBAILLARGEON, Normand

Textes réunis et présentés par Normand Baillargeon et Chantal Santerre/ Montréal, QC : Lux, 2008. coll. « instinct de liberté », 328 p.
ISBN : 978-2-89596-066-9 / Diffusion-Distribution Harmonia Mundi
« Je suis une anarchiste, je le suis depuis 14 ans et la chose est de notoriété publique puisque j’ai beaucoup écrit et prononcé de conférences sur le sujet. Je suis persuadée que le monde serait un bien meilleur endroit s’il n’y avait ni rois, ni empereurs, ni présidents, ni princes, ni juges, ni sénateurs, ni représentants, ni gouverneurs, ni maires, ni policiers. Je pense que ce serait tout à l’avantage de la société si, plutôt que de faire des lois, [M. le sénateur,] vous faisiez des chapeaux – ou des manteaux, ou des souliers ou quoi que ce soit d’autre qui puisse être utile à quelqu’un. J’ai l’espérance d’une organisation sociale dans laquelle personne ne contrôle autrui et où chacun se contrôle soi-même. »
« Il m’a souvent été demandé, par des femmes avec des maîtres décents qui n’avaient aucune idée des atrocités subies par leurs sœurs moins fortunées : « Pourquoi les épouses ne partent-elles pas ? » Pourquoi ne courrez-vous pas lorsque vos pieds sont enchaînés ? Pourquoi ne criez-vous pas quand vous êtes bâillonnées ? pourquoi ne levez-vous pas les mains au-dessus de la tête quand elles sont clouées de chaque côté de votre corps ? Pourquoi ne dépensez-vous pas des milliers de dollars quand vous n’avez pas un sou en poche ? Pourquoi n’allez-vous pas au bord de la mer ou à la montagne, pauvres folles brûlant dans la chaleur des villes ? S’il y a quelque chose qui m’irrite plus que n’importe quelle autre dans ce satané tissu de fausse société, c’est cette incroyable stupidité avec laquelle le frai flegme de la bêtise insondable demande : « Pourquoi les femmes ne partent-elles pas ? »

La pensée de Voltairine de Cleyre se caractérise par un profond antisectarisme. On retrouve, dans ce recueil, les deux thèmes centraux de son œuvre : l’abolition du capitalisme et la « question de la femme ». Loin d’être subsidiaire pour un projet de transformation radicale de la société, la question féministe est pour Voltairine de Cleyre au centre de la politique. Modifier en profondeur les relations hiérarchiques et autoritaires qui articulent notre société implique une réorganisation du rapport entre sphère publique et sphère privée, rapport au centre duquel se trouvent sexisme et patriarcat. Les positions de Voltairine de Cleyre, bien en avance sur leurs temps, anticipent le slogan des féministes du siècle suivant : « Le personnel est politique ». Le même rejet de l’essentialisme est à l’oeuvre lorsqu’elle aborde la question de la violence, engendrée bien plus par l’ordre social injuste (cautionné par l’Église et le gouvernement) que par les rébellions. Ses remarques sur le rôle joué par l‘institution pénale dans l’élargissement de la fracture sociale, l’engendrement et la pérennisation de la violence sont d’une retentissante actualité. De même pour celles concernant la légitimation, au sein même de la Constitution américaine, d’une certaine démarche de désobéissance civile, lorsque l’État se fait totalitaire.
Emma Goldman tenait Voltairine de Cleyre (1866–1912) pour « la femme anarchiste la plus douée et la plus brillante que l’Amérique ait jamais produit », et ce jugement avancé il y a près d’un siècle n’a toujours pas été infirmé.
Activiste, pionnière du féminisme américain, poétesse, musicienne, celle qui se définissait comme une « anarchiste sans qualificatif » propose une réflexion originale qui touche à un très large éventail de sujets – notamment l’économie, la libre pensée, la philosophie, la religion, la criminologie, la littérature et l’action directe non violente. L’oeuvre d’envergure de cette militante passionnée, expose les raisons de sa révolte, témoigne de son espérance d’un monde meilleur et demeure, aujourd’hui encore, d’une brûlante actualité.
Cet ouvrage, réalisé sous la direction de Normand Baillargeon et de Chantal Santerre, est le premier titre en français de Voltairine de Cleyre. Il réunit 16 essais majeurs qui couvrent l’ensemble de son parcours ainsi que 14 poèmes. Ces textes sont précédés d’une introduction substantielle et sont suivis d’une chronologie et d’une riche bibliographie.