12 mars 2010 19h30 Paris CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE.- Anarchie et Cinéma.- Carte blanche à Jean-Pierre BASTID

Le 7ème art et l’anarchie font décidément mauvais ménage, mais tant qu’il y a de la révolte, il y a de la vie. Dans le meilleur des cas, espérons que le cinématographe, comme toute écriture, devienne de plus en plus subversif.
Jean-Pierre Bastid

CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE

CINÉMA D’AVANT-GARDE / CONTRE-CULTURE GÉNÉRALE

Vendredi 12 mars 19h30 : Carte blanche à Jean-Pierre Bastid.

Ado Kyrou. Jacques Baratier

La Déroute
de Ado Kyrou/France/1957/16’/16mm
Morgue plaine.Patronné par Georges Franju, cette satire de Waterloo, sur le texte de Victor Hugo revisité par la voix de Jean Servais, autopsie « la morne plaine », en dénonçant l’exploitation mercantile de la débandade de l’armée napoléonienne. » (JPBd)
La Poupée
de Jacques Baratier/France/1962/95’/35mm
Un autre monde, un Mexique. Navigateur du surréel, Baratier a vogué au milieu de tous les courants, pêchant à la rencontre de quoi faire son miel. L’argument du film tient en peu de mots :
— un état imaginaire d’Amérique du Sud, un dictateur odieux, forcément ;
— un magister créant une poupée vivante à l’image de la femme d’un des meneurs de la révolution ;
— la poupée criant à la cantonade : « N’attendez pas la liberté ! Prenez-la ! » ;
— l’écrasement de l’insurrection ;
— la disparition de la poupée qui a entraîné le peuple à sa perte.
Les scènes de révolution, organisées avec la complicité d’un autre poète, Kateb Yacine, furent filmées avec des Algériens de Nanterre. On y entend pour la première fois l’hymne de ce peuple en révolte. En prise avec l’époque, le film est sans cesse en décalage : elle est cocasse, insolite et insolente, cette histoire de pasionaria qui vole le trône d’un dictateur dont elle est le sosie, et il a fallu un sacré toupet pour confier son rôle à un transsexuel qui enflamme un charivari de balivernes et coque-cigrues, univers rythmé par les quatrains d’un Dufilho travesti en nourrice péruvienne.
Les Cahiers du Cinéma boudèrent ce maelström et maquillèrent leur conservatisme de sourires de mépris tandis que King Vidor, un des cinéastes qu’ils révéraient, écrivit à Jacques Baratier une lettre admirative : « On a mis du temps à reconnaître Picasso et Stravinsky. Ce pourrait être le cas, Monsieur, pour votre film. » L’élégante revue sur papier glacé était du côté de l’ordre ; en guerre contre sa rivale, Positif, elle était restée sourde au massacre du 17 octobre 1961. D’ailleurs, ses rédacteurs, déjà vieux jeunes gens, auraient-ils daigné savoir que deux centaines d’Algériens avaient été jetés dans la Seine par les forces de l’ordre du préfet Papon ?
« Chaque poète se taille un langage dans le langage comme s’il découpait un étendard dans le parquet de l’univers, un tapis volant, un autre monde, un Mexique, un lexique. Mais c’est l’ensemble du langage ainsi, qu’il pervertit, déroute, exalte et restitue », a écrit Audiberti avec qui Baratier conçue LA POUPÉE. (JPBd)

Vendredi 12 mars 21h30 Carte blanche à Jean-Pierre Bastid

Philippe Durand, Alain Cavalier

Secteur postal 89098
de Philippe Durand/France/1959/26’/16mm
Balade entre l’amour et la mort. La guerre d’Algérie a longtemps été une guerre sans nom. Rappelé en Algérie, Philippe a été blessé gravement. Rapatrié en France et hospitalisé pendant plus d’un an, il a tourné ce film en 4 week-ends avec une bande d’amis, au plus fort du « maintien de l’ordre ». Sourds à la violence des affrontements du plus âpre des conflits de décolonisation, Les Cahiers, refusant de se positionner en termes éthiques et politiques pour rester dans le strict domaine de l’esthétique et de la « politique des auteurs » ne pouvaient qu’ignorer un tel film.
Dans « Le cinéma marginal et la guerre d’Algérie », Positif, n° 46, juin 1962, pp. 15-18, Raymond Borde a tracé les limites du cinéma par rapport à l’écrit dans le combat. Interdit par la censure, SECTEUR POSTAL 89098 a été projeté sous le manteau dans des ciné-clubs politisés. (JPBd)
Le Combat dans l’île
de Alain Cavalier/France/1962/104’/35mm
Produit par Louis Malle
Avec Jean-Louis Trintignant, Romy Schneider, Maurice Garrel, Henri Serre
Nada. « On ne fait pas une guerre coloniale sans en mourir, sans en être complètement pourri » a dit Alain Cavalier. Avant L’INSOUMIS qui met en question de la guerre d’Algérie et plus tard LIBERA ME (1993) film sans dialogues qui aura pour thème l’oppression et la torture, LE COMBAT DANS L’ÎLE se veut le portrait d’un fasciste.
Sauver l’Occident de la décadence est l’objectif que s’est fixé un groupe extrémiste dirigé par Serge, militant pur et dur. Jean-Louis Trintignant campe un fasciste encore plus menaçant que dans LE CONFORMISTE de Bertolucci. Sous la férule de Serge, Clément, garçon agressif et secret commet un attentat au bazooka contre un député de gauche. LE COMBAT DANS L’ÎLE montre une actualité absente dans le cinéma de l’époque. Avec sa facture austère, le premier film de Cavalier est pour moi l’œuvre la plus fascinante de la Nouvelle Vague.
Les dvd sont introuvables : atypique et rigoureux, d’une beauté tragique, le film subit un échec commercial. Il en fut de même en 1964 pour L’INSOUMIS. (JPBd)