9 avril 19h30 Paris CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE.- Anarchie et Cinéma.- Carte blanche à Jean-Pierre BASTID

Brebis, Bartleby, enfants d’Attila

Le 7ème art et l’anarchie font décidément mauvais ménage, mais tant qu’il y a de la révolte, il y a de la vie. Dans le meilleur des cas, espérons que le cinématographe, comme toute écriture, devienne de plus en plus subversif.
Jean-Pierre Bastid

CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE

51 rue de Bercy – Paris 12ème – M° Bercy

CINÉMA D’AVANT-GARDE / CONTRE-CULTURE GÉNÉRALE

Vendredi 09 avril 19h30 Carte blanche à Jean-Pierre Bastid : Carte blanche à Jean-Pierre Bastid.

Les Brebis enragées
de Jean-Pierre Bastid/France/1967/10’/16mm (sous réserve)
« La relation n’a plus de raison d’être ». Une relation fusionnelle entre deux pensionnaires d’une clinique psychiatrique. Les deux jeunes femmes s’évadent de la maison de santé et font du stop. L’automobiliste qui s’arrête pour son propre malheur est pris dans la folie meurtrière de ses passagères qui se réfugient ensuite dans une maison isolée jusqu’à ce que l’une des protagonistes décide que se termine leur belle histoire inventée — allez savoir par qui ? (JPBd)
Bartleby
de Jean-Pierre Bastid/France/1972/20’/35mm
Avec Jean-Pierre Lajournade
Bartleby, libre adaptation de la nouvelle de Herman Melville, est un film noir & blanc en 35 mm tourné avec des amis et deux fois le métrage de pellicule. Ce format et les moyens ont été choisis en des circonstance particulière. La guerre d’Algérie n’était pas loin derrière nous et je travaillais sur le scénario de l’Attentat où je voulais autopsier l’affaire Ben Barka —façon de traiter de la guerre d’Algérie et de ses séquelles. Je cherchais des producteurs et c’est pour donner des gages à l’un d’eux qui s’intéressait à ma façon de tourner que j’ai réalisé un film en trois jours avec deux fois le métrage nécessaire. Mais cela n’était que la partie consciente de mon projet. J’avais un engouement immodéré pour l’œuvre d’Herman Melville et particulièrement pour Bartleby. Pourtant son éloge de la résistance passive, si admirable qu’il fût, m’incommodait par sa noblesse de ton, j’ai tâché d’y remédier. (JPBd)
Les petits enfants d’Attila
de Jean-Pierre Bastid/France/1967/80’/35mm
Avec Fedor Atkine, Diane Kurys
On aperçoit fugitivement Jean-Patrick Manchette dans ce film où je l’avais invité à figurer dans la panoplie des employés serviles. Il avait déjà de hautes visées mais n’avait pas entamé son ascension. On en était à l’écriture d’un scénario dont je souhaitais qu’il s’inscrive moins comme un film de série B à l’américaine que comme un objet dans la ligne de Ice, le film américain ultra gauche que Robert Kramer a tourné dans le New-Jersey. Mes discussions avec le producteur de Bartelby n’ont pas abouti et, sans m’en avertir, Manchette en a profité pour éditer l’Affaire N’Gustro sous son seul nom.
Il avait une approche à la fois naturaliste et hollywoodienne du cinéma. Mais Bartleby l’a bluffé. Nous ne cessions de parler des Straub et de leur film Non Réconciliés, nous interrogeant sur la possibilité de refaire de l’art, notamment du cinéma critique. J.-P. Manchette s’en était approché quand il a donné un coup de main à un ami Robert Lapoujade qui bricolait son Socrate au jour le jour dans sa retraite de Seine-et-Marne. Le sujet était la crise du « maître à penser ». Ils ne se sont pas entendus. À son retour Jean-Patrick ne cessait de cracher sur le film et son auteur, au motif suffisant que Lapoujade était ami de Sartre. Le bougre n’a jamais été avare de mépris ! En fait, je l’ai compris après, il s’était pris les pieds dans le tapis. Robert avait été assez vigilant pour contrer les tentatives de putsch de son aide qui ne lui avait pas pardonné.
Mais mon ardent collègue est revenu de guerre avec Mésaventures et décomposition de la Compagnie de la Danse de mort et nous avons projeté d’en faire un film. J’ai fait en vain le tour des producteurs qui pouvaient s’intéresser à cette entreprise. Jusqu’à ce que le scénario obtienne l’avance sur recette et que Véra Belmont offre « charitablement » sa maison de production pour nous héberger. Mon jeune ami prit son élan pour engrener sa carrière et se désintéressa complètement du projet. Après avoir croqué sa part du gâteau, il voyait les difficultés à venir et estimait avoir d’autres lièvres à courir. Après leur avoir procuré un appart dans son immeuble, notre productrice était devenue l’amie des Manchette. Elle s’occupa de Jean-Patrick et lui mit le pied à l’étrier. Il avait choisi son camp, laissant à notre taulière les coudées franches pour bousiller la sortie du film.
Tourné en mars-avril 71, les Petits enfants d’Attila, réalisé sur pellicule kodak 16 mm, gonflé en 35 mm, propose une vision grotesque de la France de ces années-là. C’était une sorte de pantalonnade politique qui avait pour but de déconstruire, avec le cinéma, l’illusion du cinéma. En précisant que si on faisait du cinéma critique, il s’agissait de le faire doctement mais joyeusement. Si mon film n’a pas été à la hauteur de ses ambitions, c’est peut-être aussi bien : la décomposition du scénario, de sa mise en forme et du produit filmique lui-même était inscrite dans le projet.
Vous jugerez sur pièce.
La guerre d’Algérie et les affrontement de 68 n’étaient pas si loin, mais les années militantes s’éloignaient. Après un séjour à Cuba, notre Michèle Firk avait rejoint les maquis sud-américains. Assiégée dans une maison de Guatemala City par la police politique, elle se brûla la cervelle pour ne pas risquer de parler sour la torture. Dans ces années-là, les meilleurs d’entre nous avaient laissé leur peau. Quant aux autres, nous nous consumions dans tant d’aventures inachevées, de projets avortés ! Nous avions cru naître pour transformer éternellement le monde et la vie se chargeait de montrer à quel point c’était nous qui étions transformés et détruits.
Cédant à la dictature de la marchandise, certains ne résistèrent au plaisir d’être appointés par elle. Sans être résignés, nous nous sentions impuissants. Pourtant il y en avait d’autres aussi qui en Amérique latine, en Italie, en Allemagne, en France, n’avaient pas déposé les armes… Les Petits enfant d’Attila témoignent de l’impossibilité de se comporter d’une façon révolutionnaire en campant dans la sphère culturelle.
La guerre est ailleurs, féroce comme toutes les guerres. (JPBd)

Vendredi 09 avril 21h30 Carte blanche à Jean-Pierre Bastid. Jean-Pierre Lajournade

Cinéma, Cinéma
de Jean-Pierre Lajournade/France/1969/14’/16mm
avec Jean-Pierre Lajournade, Fiammetta Ortega, Tobias Engel
Y a-t-il un cinéaste dans la salle ?CINÉMA, CINÉMA qui donne à voir et à entendre les déboires d’un metteur en scène aux prises avec le conformisme du public et les exigences des révolutionnaires propose une une question radicale : y aurait-il encore des innocents pour estimer que le cinéma est une arme capable de changer le monde ? Ce moyen d’agit-prop à la traîne des luttes sociales devient naturellement, quand la révolution s’installe, un art de propagande au service du nouveau pouvoir. (JPBd)
Le Joueur de quilles
de Jean-Pierre Lajournade/France/1968/90’/35mm
Avec Hugues Autexier, Fiammetta Ortega, Jean-Pierre Lajournade
« Aucune chance de voir jaillir, sur les rares écrans occupés par Jean-Pierre Lajournade, du sang ou du sperme, ni d’assister à un spectacle (en opposition à la revendication que scande un groupe réuni sur le plateau de Cinéma Cinéma, qu’il a réalisé en 68). Et pas question non plus de donner à la révolte une dimension spectaculaire. C’est à rendre intenable la position de spectateur, comme celle de cinéaste, que le cinéma de Lajournade vise fondamentalement. Il s’agit de faire du cinéma de telle façon que le cinéma puisse s’arrêter à nouveau, dans le suspens d’une révolution possible. Rendre le cinéma impossible c’est contribuer à rendre possible la réalisation de l’impossible dans la vie. C’est là peut-être, l’actualité la plus vive de Mai 68 au cinéma, aujourd’hui et demain. » (Gérard Leblanc)
Jean-Pierre Bouyxou définit bien film ce radical, à la fois une cinglante remise en question du cinéma, féroce brûlot contre la sclérose idéologique, modèle de science-fiction totale. Avec ce chef d’œuvre inclassable et rebelle, Lajournade s’est affirmé un des cinéastes les plus remarquables de sa génération. (JPBd)