KROPOTKINE, Pierre. L’effet des persécutions

répressionKROPOTKINE, Petr Alekseevitch (1842-1921)

Les Temps Nouveaux n°1 du 4 au 10 mai 1895

Pendant quinze mois on a tout mis en mouvement pour étouffer l’anarchie. On a réduit la presse au silence, supprimé les hommes, fusillé à bout portant en Guyane, transporté dans les îles en Espagne, incarcéré par milliers en Italie, sans même se donner le luxe de lois draconiennes ou de comédies judiciaires. On a cherché partout jusqu’à affamer la femme et l’enfant en envoyant la police faire pression sur les patrons qui osaient encore donner du travail à des anarchistes.
On ne s’est arrêté devant aucun moyen afin d’écraser les hommes et étouffer l’idée.
Et, malgré tout, jamais l’idée n’a fait autant de progrès qu’elle en a fait pendant ces quinze mois.
Jamais elle n’a gagné si rapidement des adhérents.
Jamais elle n’a si bien pénétré dans des milieux, autrefois réfractaires à tout socialisme.
Et jamais on n’a si bien démontré que cette conception de la société sans exploitation, ni autorité, était un résultat nécessaire de tout le monceau d’idées qui s’opère depuis le siècle passé ; qu’elle à ses racines profondes dans tout ce qui a été dit depuis trente ans dans le domaine de la jeune science du développement des sociétés, dans la science des sentiments moraux, dans la philosophie de l’histoire et dans la philosophie en général.
Et l’on entend dire déjà : ― « L’anarchie ? Mais, c’est le résumé de la pensée du siècle à venir ! Méfiez-vous-en, si vous cherchez à retourner vers le passé. Saluez-la si vous voulez un avenir de progrès et de liberté ! »