2012.03.23 "Ma Semaine aux Etats-Unis" par Richard GREEMAN

New-York (USA)États-Unis. 21e siècle

Cher/es Ami/es,
Je vous salue de NY, où je suis depuis une semaine – une semaine bien
mouvementée. J’ai d’abord assisté au Left Forum, grand rassemblement
de militants et intellectuels avec des centaines de ’panels,’ puis me
suis plongé dans la vie militante de NY, car loin de dormir, le
mouvement Occupy s’enracine.

D’abord le Left Forum.

Cela fait 30 ans que ‘nous’ nous réunissons une fois par an à New York vers Pâques (pour emmerder les religieux). Ce
Forum de la gauche réunit dans un véritable foire aux idées les
universitaires marxistes et radicaux (souvent des spécialistes connus
comme Chomsky), les syndicalistes militants de gauche, les maisons
d’édition et les revues de gauche, les militant/es féministes,
anti-racistes, anti-nucléaires, enfin tous les groupuscules et
sectes de la gauche, d’A à Z, des anarchistes aux Zapatistes. Le
niveau d’érudition dans les discussions est impressionnant, et l’idée
de la pratique n’est jamais loin dans ce public de militants et
chercheurs. On vient d’un peu partout dans le continent et il y a des
participant/es européans, africains, asiatiques qui échangent
informations et idées sur les mouvements et le mouvement du capital.
La richesse des livres et revues en vente dans le hall est un reflet
de la fécondité de ses échanges entre érudits et militant/es
généralement en dehors du sectarisme et des compétitions partisanes
qui banalise parfois la vie intellectuelle de la gauche française. Au
contraire de l’Europe, où les Partis communistes et trotskyistes
étaient légalisés, la gauche intellectuelle et militante américaine a
été – depuis le McCarthisme de ma jeunesse jusqu’à la surveillance
‘anti-terroriste’ dégré 100° du poste-9/11 – une infime minorité
généralement marginalisée sinon persécutée partout dans les syndicats,
les universités. Il fallait forger des armes intellectuelles pour
combattre cette marginalisation, et voilà 30 ans que ce milieu
d’intellectuels et activistes a relevé le gant, avec des études
critiques sur tous les sujets de Rosa Luxemburg et les Horizontaux
d’Argentine au Punks et le HipHop.
L’atmosphère de ces Forums annuels est un reflet du mouvement social
et intellectuel du moment. Le thème de ce Left Forum 2012 était :
‘Occuper le système ! Face à face avec le capitalisme global.’
L’atmosphère y était à ‘la lutte des classes et à l’utopisme’ selon un
bon observateur. Mon point de vue d’utopiste marxiste disciple de
Castoriadis, considéré visionnaire l’an dernier, passe au ‘main
stream’ car affirmé par ‘Main Street’ contre ‘Wall St.’ Je jubile.
Peut-être avons-nous plus “d’une chance sur cent” de sortir du
capitalisme avant qu’il ne rende la terre inhabitable. Pour ceux et
celle qui veulent plus de détails sur ces discussions, je donne un
compte rendu plus loin. Le ton était donné par le dernier orateur de la
séance de fermature le dimanche, le vieux philosophe marxiste écossais
John Holloway associé aux Zapatistes et célèbre pour le
‘horizontalisme’ de son livre ‘Changer le monde sans prendre le
pouvoir.’ Au lieu de demander aux capitalistes de bien vouloir nous
exploiter en nous offrant des emplois (verts ou autre) – nous les 99%
qui travaillons et créons la valeur – il faut reprendre le monde en
main.
Le sujet d’un panel me plaît : ‘Luddites sans s’excuser’ et on
sympathise tout de suite. D’ailleurs en est entre historiens de la
révolution, tous plus ou moins disciples de Edward P. Thompson,
pionnier de l’histoire sociale (‘La Formation de la Classe ouvrière
anglaise’), romantique (bio de Wm Morris l’utopiste) et grand militant
du mouvement anti-guerre. Il y avait aussi l’historien Peter Linbaugh,
la marxiste féministe Sylvia Federici et d’autres. J’ai pu ajouter
l’histoire du Luddisme en France, qui a mieux réussi qu’en Angleterre
grâce à la prudence des Préfets, qui ne voulaient pas de conflit
social). Bref, une fête intellectuelle et amicale entre gens qui se
lisent depuis des années. Résultat, je me suis trouvé invité à San
Francisco à un de ces fameux banquets Retort ou je vais présenter mes
projets utopiques de l’internationale invisible. Comme j’avais déjà
envie d’aller à SF pour voir mon neveu et mes vieux amis et respirer
un peu l’atmophère depuis Occupy, j’ai accepté. Je remets donc mon
retour en France d’un mois au moins.
Mais finalement, tout ce Forum l’était ! Une grande réunion très
fraternelle d’intellectuels et militants de gauche de tous bords
poltiques (de la social-démocratie au maoismes et anarchisme) joyeux
de voir le capitalisme triomphant mis en question par un mouvement de
masse spontané et auto-organisé. L’évidence de l’actualité a résolu
beaucoup de problèmes ( le rôle du Parti, le réformisme) qui nous
divisaient depuis 30 ans. On se félicitait d’avoir vécu assez
longtemps pour avoir vu cela. On vendait des badges de Marx qui dit
dans un ballon “Je vous disais cela se passera comme ça.”
Pour revenir au Left Forum 2012, Vendredi soir nous nous sommes
retrouvé/es parmi nos camarades de toujours, et il y en avait 4000
cette fois, il fallait faire la queue et écouter dans des salles
supplémentaires par télé. L’orateur/trice qui ma le plus impressionné
était Roseann Demoro, Présidente du syndical très
militant des infirmières, National Nurses United, très fort en Californie et qui
venait de gagner un bras de fer monumental avec le Gouverneur
Schwartznegger, en effet le flanquant par terre. A l’entendre
critiquer la bureaucratie syndicale et parler d’un syndicalisme de
lutte de classe aggressif, on croirait entendre les syndicalistes de
1905 qui se sont réunis pour former les IWW en 1905. Les Infirmières
rejettent la soumission du mouvement ouvrier au parti démocrate, et se
soldarisent avec les Occupants. Bons signes de renouveau.
Avec 4000 inscrits et des douzaines de ‘panels’ (séminaires) à chaque
séance (généralement de deux heures) le choix était difficile pour
tout le monde. Il y avait de tout, de la théorie, de l’histoire, du
Hip-hop et le mouvement syndical. Nos deux ‘panels’ étaient prévus
pour les premières séances (1Oh) le samedi et 10h le dimanche. Jenny a
présidé gracieusement et pédagogiquement les discussions dans les deux
‘panels’ que nous (New Politics Magazine, Serge Foundation, Greens,)
avons proposé sur les désastres écologiques et la nécessité urgente
d’établir une véritable écotopie par une grande révolution planétaire
dans l’esprit des mouvements de 2011. On a vidéoscopé nos discussions,
et elles seront bientôt disponibles. Voir plus bas pour le résumé de nos
discussions.
Il faut savoir que le samedi 17 mars, premier jour du Left Forum,
marquait l’anniversaire de 6 mois depuis la première occupation, et
qu’un rassemblement à Zucatti Park (Liberty Park) était prévu pour le
soir. Michal Moore le cinéaste était l’orateur pour la séance du soir
au Forum, et il a invité tous les congressistes à le suivre jusqu’à
Liberté Park, à quelques centaines de mètres du Forum. Les rues sur le
passage des congressistes étaient bordées de haies de policiers
surarmés et le park entouré de barricades par lesquels il fallait
s’infiltrer. En revanche, à l’intérieur on dansait, on riait, on
chantait comme normalement on avait le droit de faire. Mais vers 23h45
un policier a annoncé au mégaphone qu’il fallait vider le parc, qui
devait être entretenu par le personel pour un problème technique
bidon. Absurde et contraire aux accords préalable. Aucun dialogue
possible. Ceux et celles qui ne se dispersent pas s’assoient par
terre en s’entrelaçant et chantent, comme avec Martin Luther King. La
police de NY se comporte comme les Sherifs de Mississippi de ma
jeunesse. On brutalise beaucoup, jettant les gens par terre, piétinant
leur visage, cassant les têtes contre les vitres, et on arrête 73
personnes (dont des blessé/es) que les avocats n’arrivent pas a
localiser le lendemain.
On apprend la nouvelle le lendemain matin au début de notre ‘panel’
sur l’Utopie quand arrive un grand type aux cheveux gris visiblement
angoissé qui nous décrit cette attaque policière singulièrement
brutale de la nuit précédant sur nos camarades d’Occupy et du Forum à
laquelle il avait échappé à peine.
Pour moi, cette brutalité spectaculaire n’est pas une bévue mais la
politique du régime d’Obama (qui finance aussi la répression dans le
monde arabe, par exemple en Egypte). Le capitalisme en perte
d’hégemonie culturelle est réduit à la seule force. Mais la force
provoque davantage de ressentiment. Les occupants répondent : ‘quand on nous
baise, nous nous multiplions.’
L’incident nous aide à poser très clairement la question de l’État
dans notre discussion sur la nécessité d’une vision positive d’un
meilleur monde POSSIBLE. Remarquable sythèse de vues entre ‘marxistes’
et ‘libertaires’ dans la discussion. Plus remarquable encore, on avait
une salle pleine à 10h dimanche matin pour un sujet philophique. Il y
a vraiment une soif de théorie, de vision positive.
Je me régale à respirer l’atmosphère de New York comme je m’en
souvenais des années soixante, mais il me semble en beaucoup mieux.
Beaucoup plus d’unité. Moins de fanatisme et plus d’espoir. Il y a des
activités tous les jours. Des assemblées, des groupes de travail, des
manifs, des spectacles. Hier je suis allé à Union Square me joindre à des
milliers de personnes, tous portant des ‘hoodies’ pour protester contre
l’impunité en Floride de l’assassin d’un ado noir qu’il trouvait
‘suspect’. La police l’a laissé partir quand il a explqué qu’il était
en état de ‘légitime défense’ contre un gamin de 17 ans sans arme qui
pesait 40 Kg de moins et que les voisines ont entendu crier et pleurer.
La procureur a soutenu la police. Aucune accusation contre l’assassin.
Au moins, les terroristes de Toulouse sont obligés de se cacher et les
gouvernants de se montrer choqués. Ici, l’assassin reste encore
impuni avec la complicité des polices et la justice à tous les
niveaux.
Cela me rappelle l’époque des lynchings. Mais Kennedy en avait honte
devant les Russes, et il a fini par offrir la protection des lois aux
Noirs. Obama n’a aucune honte. Et personne ne le respecte. Les parents
du gamin, qui se battent depuis un mois pour que le meurtrier soit
arrêté, ont parlé à notre marche. On était environ 1500, Noirs et
Blancs ensemble, à dénoncer cette injustice et marcher dans la rue, en
bloquant la circulation. ‘Les rues sont à nous’ scandait-on. Contrairement
à ce qu’on croit, le mouvement Occupy n’est pas mort. Il hiverne et
prépare son retour en s’enracinant dans les luttes sociales des
communautés opprimés.
Je vous tiendrai au courant de mon voyage au fur et à mesure quand
j’aurais le temps d’écrire. Tout cela me donne un coup de jeunesse.
Salutations amicales à toutes et à tous, Richard

Résumé de nos deux panels :

Le samedi, il y avait des présentations de Brian Tokar, héritier de
l’Institut de l’écologie sociale de Murray Bookchin (sur
l’accélération de la crise climatologique et le refus des
gouvernements de faire la moindre réforme) ; le grand scientifique
David Schwartzman (sur la possibilité de passer très rapidement à
l’energie solaire) ; Richard Greeman (sur la possibilité théorique de
passer rapidement par un soulèvement planétaire et une grève générale
à une nouvelle société qui arrêterait la course vers le désastre). La
réponse des participants étaient émouvante et instructive. Un occupant
de Wall St. m’a un peu déraillé au milieu de ma causerie en donnant en
dix mots la conclusion où je comptais arriver pas par pas.
Nos orateurs : l’écoféministe Terisa Turner, qui travaille au Nigéria
avec les femmes qui résistent Shell oil et pose des exemples de
résistance qui tournent à la création de nouveaux liens de production ;(Elle et son groupe d’écoféministes m’ont kidnappé apres la séance.
Voir photo ci-jointe.) Il y avait aussi Peter Hudis, ancien secrétaire
de Raya Dunayevskaya, a exposé trois ‘mythes’ sur Marx et la société
future que les staliniens et social democrates ont prôné pendant des
années. (Il a fait un livre à ce sujet qui va bientôt paraitre).
Moi-même avec mes idéas sur auto-organisation et émergence
(nouvellement traduites en français par mon grand ami Daniel
Blanchard, pas encore publiées).

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