GRAVE, Jean.- La Commune de Paris

Commune de Paris (1871)GRAVE, Jean (1854/10/16 - 1939/12/08). Auteur, éditeur et conférencier anarchiste. Pseud. : Jehan LE VAGRE

Ce commentaire est parue dans La Revue Blanche t. 12 pp. 298-300 avec la présentation suivante :
"M. Jean Grave directeur des Temps nouveaux, qui n’a pris aucune part à la Commune ; mais dont il nous a paru curieux de recueillir l’opinion, – celle d’un révolutionnaire d’aujourd’hui sur les révolutionnaires d’alors."

Ce que je pense de l’organisation parlementaire, financière, militaire et administrative de la Commune se résume en très peu de mots.
Elle a été trop parlementaire, financière, militaire, administrative et pas assez révolutionnaire.
Pour débuter, alors que, tous les jours, les bataillons de fédérés se réunissaient à leurs lieux de rendez-vous, attendant les ordres pour marcher sur Versailles, mouvement dont l’urgence éclatait aux yeux de tous, le Comité Central, sous prétexte qu’il n’avait pas de pouvoirs réguliers, ne pensa qu’à organiser les élections alors que l’armée de l’ordre se reformait à Versailles.
La Commune, élue, s’occupa de faire des lois, des décrets, qui, pour la plupart, restèrent inexécutés, parce que ceux qu’ils visaient s’aperçurent que la Commune légiférait beaucoup, mais agissait peu.
Révolutionnaires !... ils royaient pourtant l’être, mais en mots et en parade, seulement ; ils l’étaient si peu, en réalité, que, même investis des suffrages des Parisiens, ils se considérèrent toujours comme des intrus au pouvoir.
Ils manquaient d’argent, alors que des centaines de millions dormaient à la Banque, et il leur aurait suffi de lancer contre elle deux ou trois bataillons de gardes nationaux pour faire rentrer en l’ombre le marquis de Plœuc qui les berna si facilement.
Ils votèrent la loi sur les otages et n’osèrent jamais l’exécuter, alors que Versailles continuait à massacrer les fédérés qui lui tombaient entre les mains.
Je ne dis pas qu’elle aurait dû fusiller les quelques gendarmes ou prêtres obscurs qu’elle avait entre les mains. Versailles s’en souciait fort peu, les otages sérieu étaient hors d’atteinte ; mais elle avait le cadastre, le bureau des hypothèques, les officines des notaires, tout ce qui régularise la propriété bourgeoise ; si, au lieu de menacer, la Commune avait fait flamber toute la paperasse, s’était emparée de la Banque, les mêmes bourgeois qui insultaient les fédérés prisonniers auraient forcé Thiers à leur venir faire des excuses.
C’est que, en révolution, la légalité est non seulement une blague mais une entrave, elle ne peut servir que les partisans de l’ordre de choses que l’on veut détruire. Ce ne sont pas des discours, des paperasses ni des lois qu’il faut en période révolutionnaire, mais des actes.
Au lieu de voter la déchéance des patrons en fuite, il fallait, de suite, mettre leurs ateliers en possession des travailleurs qui les auraient fait marcher. Et ainsi de toute chose : au lieu d’une loi, d’un décret, qui restait à l’état de lettre morte : un fait ! On l’aurait alors pris au sérieux.
Ils voulurent jouer au soldat, parader, en univormes d’officiers jacobins, comme si les révolutionnaires devaient faire la guerre disciplinée.
Attaqués par le gouvernement de Versailles, il fallait se contenter de se défendre, mais ne lâcher le terrain que pied à pied, miner terrain et maison de façon à ce que chaque pas en avant des soldats de l’ordre fût l’équivalent d’une défaite pour eux.
Non, même acculés dans Paris on voulut encore faire de la stratégie : on dressa d’énormes barricades qui, braquées pour faire face à un point désigné, furent tournées par l’ennemi. – Imprenables de face elles laissaient leurs défenseurs à découvert par derrière ! C’était si facile de créneler les maisons, de faire de chacune d’elles une forteresse, et de ne la lâcher qu’après l’avoir incendiée ou fait sauter. La Commune respecta la propriété ! Versailles, son défenseur, moins scrupuleux, n’hésita pas à éventrer les maisons lorsqu’il fallait tourner une barricade.
Maintenant, il faut le dire, les hommes de la Commune ne sont pas responsables de ce qui n’a pas été fait. Ils étaient de leur époque, et, à leur époque, s’il y avait un vague sentiment de socialisme, chefs, commes soldats, personne n’avait d’idées nettement définies, de sorte qu’il était fatal que tout le monde pataugeât dans l’incertitude.
Triomphante, la Commune serait devenue un gouvernement comme tous les autres ; il aurait fallu une révolution nouvelle pour la mettre par terre. Vaincue, elle a synthétisé toutes les aspirations prolétariennes, et donné l’impulsion au mouvement d’idées dont à l’heure actuelle nous sommes tous le produit.