BOUHEY, Vivien.- Les leaders anarchistes parisiens du milieu des années 1880 à 1894

Communication faite à Glasgow en avril 2012 dans le cadre de l’ESSHC

France.- 3e République (1871-1940)Paris, banlieue et région (France)BOUHEY, Vivien

Dans notre thèse (Vivien Bouhey, Les Anarchistes contre la République, PUR, 2009), nous avons montré que le mouvement anarchiste français de 1880 à 1894 est en partie hiérarchisé dans les faits : certains compagnons militant en effet dans de grands foyers anarchistes comme Paris ou Lyon apparaissent alors au sein de ce mouvement comme porteurs d’une autorité liée à leur place dans ses structures, à leurs qualités intellectuelles, à leur talent d’orateur, à leur charisme et/ou à leur activisme. Nous avons également mis en évidence que les autres compagnons, partout en France mais aussi parfois à l’étranger, tournent leurs regards vers ces leaders dont ils attendent à la fois des idées, mais surtout, une aide dans le cadre de la propagande orale et écrite, ce qui contribue à une polarisation du mouvement.
L’existence de cette hiérarchie dans les faits nous a alors conduit à nous interroger sur l’existence de ce que nous avons appelé des « exécutifs anarchistes » dans ces grands foyers du mouvement : nous entendions par « exécutif » la présence en un même endroit de militants, qui, au sommet de cette hiérarchie informelle, donneraient parfois, chacun de leur côté et en ordre dispersé, et parfois, d’un commun accord mais toujours ponctuellement, là encore de manière informelle, de grandes impulsions à la propagande orale et écrite pour le mouvement, ce qui n’empêcherait pas, bien sûr, que des groupes ou des individus agissent de manière autonome à l’étranger et sur le territoire national.
Cette thèse (travestie dans certains comptes rendus) a donné lieu à débats, et c’est la raison de cette étude sur les « leaders anarchistes à Paris du milieu des années 1880 à 1894 ». Nous souhaitons en effet montrer qui sont ces leaders anarchistes, quels rapports ils entretiennent avec les autres compagnons, et, du point de vue de la propagande orale, écrite et par le fait, quel est leur rôle au sein du mouvement à l’échelle locale, régionale, nationale, voire internationale.

Les anarchistes sont naturellement très méfiants vis-à-vis de ceux d’entre eux qu’ils soupçonnent, au sein d’un mouvement qui se veut égalitaire et antiautoritaire, de vouloir y exercer une forme de pouvoir. Ainsi, Jean Grave [1], qui, dans la seconde moitié des années 1880, refuse d’insérer dans La Révolte certains articles de compagnons parisiens parce qu’ils ne cadrent pas avec la ligne éditoriale qu’il veut imprimer au journal, est considéré par ces derniers comme un de ces « grands pontifes » dont il faut se débarrasser au nom même de ce qu’est l’anarchisme [2]. Pourtant, même si les anarchistes se méfient de ceux qui pourraient devenir des « chefs » en tentant d’imposer leur autorité, le mouvement a eu besoin de leaders sans lesquels, comme l’écrit un indicateur en 1886, il ne se serait fait « rien de sérieux » dans les groupes [3], des hommes comme Alain Gouzien [4], que Charles Malato [5] décrit au milieu des années 1880 comme un « meneur influent » qui « a fait parler de lui », « créé des groupes, des feuilles éphémères » et savait foudroyer les « contradicteurs dans des réunions publiques [...] » [6], ou encore comme Amédée Denèchère [7], qui, en 1884 par exemple, crée des groupes et les anime, est présent aux réunions générales des anarchistes de Paris et de la banlieue, convoque lui-même des réunions anarchistes, organise des meetings, participe au bureau lors des réunions publiques, et, « doué d’une fougue oratoire entraînante », intervient comme orateur, mais se charge aussi de l’impression de manifestes pour les groupes, distribue des brochures, collabore à des journaux comme Terre et Liberté tout en jouant un rôle important au sein de la « Commission de secours aux détenus », bref, est lui aussi un véritable « meneur » du « parti » anarchiste pour reprendre le vocabulaire des indicateurs : en 1884, son nom est un de ceux qui apparaît le plus souvent dans les sources policières avec ceux de Guillaume Bordes [8], de Gustave Faliès [9] et de Druelle [10].
Qui sont ces hommes qui, à Paris (anarchistes de banlieue et anarchistes étrangers compris) du milieu des années 1880 à 1894, alors que le mouvement prend réellement conscience de lui-même et qu’il évolue considérablement jusqu’à l’assassinat de Sadi Carnot, au sein de diverses structures (réseaux, groupes, comités, ligues…) dans la capitale, écoutés de leurs camarades de lutte, ont tenté de donner ses grandes orientations au mouvement, ses impulsions à l’action (à la propagande écrite, orale ou par le fait) en fédérant et en coordonnant les initiatives. Comment ont-ils procédé et su se faire accepter par leurs camarades ? Comment ont-ils ainsi contribué à une meilleure structuration du mouvement ?

I. Les sources et la méthode

1. Différents types de leaders

Au sein du mouvement anarchiste, les leaders sont par définition ceux d’entre les compagnons qui ont une double visibilité. D’abord une visibilité à l’intérieur du mouvement à travers le regard de leurs camarades de lutte dont ils se distinguent plus ou moins fortement en les guidant et en les entraînant. Ensuite une visibilité à l’extérieur du mouvement à travers le regard policier, le regard journalistique et plus généralement celui des habitants de Paris – voire de la province.

2. Des sources abondantes et des outils de travail nombreux et assez complets

Pour les appréhender, l’historien peut recourir à des sources a priori nombreuses et variées
Il peut tout d’abord s’appuyer sur les sources anarchistes elles-mêmes, qu’il s’agisse de la presse anarchiste ou des souvenirs de certains compagnons consignés dans des mémoires. La presse anarchiste peut ainsi nous livrer ponctuellement des indications sur la vie de certains militants (leurs possibles condamnations à des peines de prison ; leur départ pour des tournées de conférences ; leur participation à la propagande écrite à travers les articles qu’ils auront pu signer, etc…) ; et il en va de même des mémoires écrits par les anarchistes comme ceux de Jean Grave [11], de Louise Michel [12], de Charles Malato [13], de Victor Serge [14] ou d’Alexandre Zévaès [15]…, qui auront pu consacrer quelques pages à certains d’entre eux leur paraissant avoir joué un rôle important au sein du mouvement.
Nous pouvons également nous appuyer sur les ouvrages d’habitants de la capitale contemporains des années 1885-1894, qui racontent le Paris anarchiste de ces années et dont les auteurs peuvent nous renseigner sur ceux qui leur paraissent être les leaders du mouvement. Mais il y a bien sûr les regards professionnels. Deux surtout : celui des journalistes de l’époque, qui multiplient dans la capitale ce qu’ils appellent souvent les « reportages anarchistes » à partir des années 1890 surtout, et celui des policiers à travers d’une part les mémoires écrits par certains fonctionnaires comme L. Andrieux [16] et E. Raynaud [17], et d’autre part à travers les rapports des agents et des mouchards.
Pour ce qui est des outils de travail qui permettent d’affiner ce regard sur le milieu des leaders parisiens, il faut bien sûr citer la thèse de René Bianco [18], qui recense méthodiquement, à Paris entre autres, à partir des sources anarchistes et des sources policières, les journaux anarchistes publiés, mais surtout leurs gérants ainsi que les noms de quelques-uns des auteurs des articles qui y ont paru. Il faut également citer les divers catalogues (Nettlau [19], Maitron [20], Bouhey [21]) des ouvrages imprimés par les anarchistes dans les années 1880-1894, qui permettent entre autres, à l’époque considérée, de repérer les principaux auteurs des brochures ou de livres dans la capitale. Enfin, notre regard sur les militants anarchistes serait bien imprécis sans les notices du Dictionnaire de Jean Maitron [22], toujours réactualisé, ainsi que celles du Dictionnaire international des militants anarchistes [23] en cours de rédaction, qui permettent dans une certaine mesure de pallier la disparition des dossiers individuels des anarchistes dans les sources de la Préfecture de Police de Paris. Quant à la maîtrise d’Olivier Delous sur les anarchistes parisiens [24], son intérêt est limité pour les chercheurs puisque ces derniers sont dans l’impossibilité de consulter la base de données sur laquelle Olivier Delous s’est appuyé pour fonder son étude sociologique.

3. Des sources abondantes mais difficiles à exploiter

Malheureusement, ces sources abondantes ne nous permettent d’approcher que difficilement les leaders anarchistes parisiens, cela pour plusieurs raisons.
D’abord, parce que les mémoires des habitants de Paris à l’époque se limitent le plus souvent à un égrenage des attentats anarchistes.
Ensuite, parce que les sources anarchistes (journaux du mouvement, mémoires de compagnons...) nous livrent finalement peu d’informations sur les leaders anarchistes parisiens. Pour ce qui est de la presse du mouvement en effet, pour des raisons bien compréhensibles et après que La Révolution sociale a été utilisée par le préfet de police L. Andrieux en 1880 pour obtenir des renseignements importants sur les compagnons [25], elle ne nous fournit que peu d’informations sur les militants, tandis que la plupart des articles ne sont pas signés. Pour ce qui est des rares mémoires dont nous disposons, ils ne sont pas quant à eux sans poser divers problèmes. D’abord parce qu’une partie d’entre eux ne couvre que peu – ou pas du tout – la période qui nous intéresse : si Jean Grave revient à Paris en 1885, Louise Michel par exemple sort de prison en 1886 et quitte Paris pour Londres à l’été 1890 ; Charles Malato se convertit à l’anarchisme au milieu des années 1880 avant de partir en exil en Angleterre en 1892, tandis qu’Alexandre Zévaès commence à militer tardivement et ne consacre qu’un seul chapitre de son livre aux années 1889-1895 dans le Quartier Latin. Ensuite, parce que dans l’ensemble, ils restent souvent assez imprécis et vagues : Louise Michel, dans L’Histoire de ma vie focalise surtout son attention sur l’atmosphère dans laquelle se sont déroulées les diverses réunions auxquelles elle a participé en évoquant très peu le milieu parisien de l’époque et les compagnons qu’elle a fréquentés (moins d’une vingtaine d’entre eux apparaissent dans le texte) [26]. Egalement, parce que leurs auteurs n’ont du mouvement qu’une vision souvent très fragmentée – d’autant que ce dernier est de plus en plus cloisonné au fil du temps –, et parce qu’ils réécrivent – ce qui est bien naturel – plus ou moins consciemment leur vie afin de livrer à la postérité, sans négliger de régler quelques comptes, leur part de vérité : ainsi, Jean Grave, dans ses mémoires, n’appréhende le mouvement parisien que du 140 de la rue Mouffetard et s’emploie surtout à nous montrer le travail journalistique qu’il a pu accomplir ; ce faisant, il justifie un certain nombre des choix, notamment éditoriaux, qu’il a été amené à faire, tandis que dans le récit, les rencontres se succèdent les unes aux autres au gré de son activité militante en ne permettant pas au lecteur d’appréhender en profondeur le milieu anarchiste [27]. De même Charles Malato, au milieu des années 1880, concentre surtout son attention sur les individus qui auront pu favoriser son évolution vers l’anarchisme [28].
Egalement, parce qu’au milieu des années 1880, le regard porté sur les compagnons parisiens par la presse non anarchiste de l’époque manque la plupart du temps d’acuité et ne nous permet pas vraiment, aujourd’hui, d’identifier tous ceux qui auraient pu apparaître à l’époque comme les leaders du mouvement parisien, cela pour plusieurs raisons : parce que les journalistes font bien sûr en sorte de ne pas « brûler » leurs sources d’information et ne mentionnent que très peu de noms de militants ; à cause de la difficulté qu’ils éprouvent à pénétrer le milieu, les compagnons restant méfiants ; enfin, à cause du peu d’intérêt – sauf pour témoigner d’un travail de terrain – qu’ils peuvent avoir à mentionner des noms qui resteront ceux d’inconnus et qui n’intéressent pas les contemporains. Ainsi, si l’on tente d’approcher les leaders anarchistes à travers les dossiers de presse constitués à cette époque par les services de la Préfecture de police de Paris (la réalité anarchiste étant alors filtrée, avant de nous parvenir, par le regard du journaliste et par de celui de l’agent de la préfecture ayant constitué le dossier), nous constatons que les auteurs des articles se bornent, lors de leurs « reportages anarchistes » dans les arrondissements de Paris, à relayer les propos de compagnons qui « ont refusé de dire leurs noms » ; qu’ils mentionnent parfois, de manière un peu artificielle, des noms de militants peu connus afin surtout de rendre le propos crédible en montrant la proximité qu’ils entretiennent avec le milieu anarchiste, des noms d’ailleurs que le lecteur oubliera immédiatement après les avoir lus ; qu’ils utilisent enfin, aussi, les noms de quelques ténors du mouvement connus du grand public, là encore surtout pour crédibiliser le propos : en 1884 par exemple, les noms d’Emile Pouget [29] ou de Louise Michel qui sont alors en prison, ou celui de Pierre Kropotkine [30] en 1887, qui n’est pratiquement jamais physiquement à Paris cette année. A priori donc, au début des années 1880, les lecteurs de la presse de l’époque connaissent mal ces leaders et le mouvement se résume pour eux à quelques figures comme celle de Louise Michel.
Toutefois, cette situation évolue au début des années 1890, comme le montre par exemple un dossier de presse de 155 pièces pour les années 1892-1893 conservé aux Archives de la Préfecture de police de Paris [31]. Ce regard se précise alors et nous livre près de 90 noms de compagnons ou supposés tels dans le cadre de différents types d’articles : certains, qui racontent avec précision le déroulement des réunions publiques ayant pu donner lieu à des actes de violence, ou encore l’évolution des enquêtes effectuées à la suite de vols ou d’attentats. D’autres, qui auscultent en profondeur le milieu anarchiste en mettant en lumière les liens qu’entretiennent les individus, en indiquant le métier qu’ils pratiquent et l’environnement social dans lequel ils évoluent. D’autres, qui délivrent à leurs lecteurs des « leçons » d’anarchisme à travers des informations portant sur la manière de vivre des compagnons, sur les publications importantes du mouvement ainsi que sur des éléments de la doctrine. D’autres, enfin, qui publient avec beaucoup de sérieux les noms des individus arrêtés, expulsés, ou dont le domicile a été perquisitionné. Ces divers types d’articles mettent alors bien en lumière, tandis que le « péril noir » prend consistance à travers des attentats et qu’il y a une volonté de la part du public de comprendre en profondeur ce qu’est l’anarchisme pour – surtout – mieux évaluer la menace, plusieurs catégories de compagnons : les propagandistes par le fait ; les écrivains du mouvement, les orateurs, les animateurs de groupes, les autres militants, adhérents, ainsi que les individus plus obscurs dont l’engagement est plus discutable.
Parce que, si nous considérons maintenant les sources policières (mémoires et rapports de police), qui seules nous permettent finalement d’appréhender au jour le jour – certes filtrée par le regard des agents et des indicateurs –, la réalité des militants à l’œuvre, leur place dans les structures du mouvement ainsi que le rôle qu’ils purent jouer dans le cadre de la propagande écrite, orale ou par le fait, elles ne sont pas sans confronter le chercheur à de très nombreux problèmes méthodologiques sur lesquels nous avons longuement insisté dans l’introduction non publiée de notre thèse [32] ainsi que dans divers articles [33].
Enfin, parce qu’il n’est pas toujours facile d’identifier tous les leaders parisiens à travers les archives conservées.
Certains sont aisément identifiables car leurs noms apparaissent dans la plupart des sources : dans les articles que des journalistes « bourgeois » écrivent sur le mouvement ; dans les mémoires de leurs camarades de lutte ; dans les rapports d’indicateurs, qui décrivent leurs faits et gestes ; dans les catalogues d’imprimés anarchistes... c’est par exemple le cas de Louise Michel, de Joseph Tortelier [34] ou de Sébastien Faure [35] bien sûr. Cette visibilité s’explique par la personnalité originale de l’un ou de l’autre ; par un militantisme dans la durée qui leur confère une vraie notoriété ; par leur activisme au sein des groupes ou dans l’espace publique (soit par des actions qui ont pu avoir un certain retentissement dans la presse de l’époque ; soit par le rôle majeur qu’ils ont pu jouer dans le domaine de la propagande orale ou écrite).

Dans la seconde moitié des années 1880, certains autres, comme Jean Grave, ne voient en revanche pratiquement jamais leurs noms apparaître dans la presse de l’époque ainsi que dans les sources policières (pour ces dernières, parce que Jean Grave fréquente très peu les groupes de la capitale), alors qu’il fait paraître le seul journal anarchiste ayant une vraie longévité à cette époque, Le Révolté qui devient La Révolte en février 1887, dont le local, rue Mouffetard, est connu de presque tous les compagnons : pour le chercheur, au vu des archives conservées sur la seconde moitié des années 1880 – Jean Grave sera plus visible dans les sources au cours des années suivantes –, ce dernier n’existe que par ses articles dans La Révolte (souvent anonymes), les divers ouvrages qu’il a déjà publiés et qui sont répertoriés dans les catalogues, sa correspondance ainsi que les portraits que font de lui certains de ses camarades de lutte comme Malato [36].
Certains autres leaders n’apparaissent – parfois avec fracas – dans les sources policières ou judiciaires, dans les mémoires écrits par des anarchistes, dans la presse anarchiste ou non anarchiste qu’au moment de leur arrestation ou au contraire alors qu’ils ne risquent plus d’être arrêtés : ce sont par exemple des hommes comme le dénommé Soudey, dont Jean Grave pense dans ses mémoires qu’il a une part de responsabilité dans l’organisation de la campagne de « dynamitage » de bureaux de placement et de commissariats parisiens dans les années 1887-1888 à Paris [37] ; ce sont aussi les meneurs de petites bandes luttant contre la société bourgeoise en recourant à des actions illégales, comme Duval [38] où Pini [39], dont les noms surgissent dans l’espace public avec leur arrestation ; ce sont aussi les auteurs d’attentats retentissants bien insérés dans le mouvement et l’organisant autour d’eux dans la perspective de telles actions comme Koenigstein dit « Ravachol » [40], que la presse bourgeoise décrit comme l’archétype du criminel endurci et dont une partie de la presse anarchiste fait un martyr de la cause [41], ou comme Emile Henry [42], que John Merriman décrit comme l’inventeur du terrorisme moderne [43]. Pour les plus « médiatisés » d’entre eux, ils jouent un rôle de leader de deux manières différentes : en entraînant d’autres compagnons vers un but commun d’abord ; ensuite, en appelant les anarchistes à suivre leur exemple à travers leurs déclarations relayées par la presse ou lors de procès largement couverts par la presse de l’époque.
Enfin, il y a ceux qui ont eu une visibilité pour leurs camarades de lutte au sein des structures du mouvement mais dont les sources n’ont pas retenu les noms, soit parce que leurs actions n’ont pas été assez éclatantes pour trouver des échos dans la presse bourgeoise, dans la presse anarchiste, ou retenir l’attention des compagnons ayant couché leurs souvenirs par écrit, soit parce que les structures dans lesquelles ils jouaient un rôle n’ont jamais été infiltrées par des indicateurs ou parce qu’ils n’ont jamais été arrêtés.

4. Identifier les leaders anarchistes et comprendre leur rôle : question de méthode

Pour tenter d’identifier ces leaders et pour comprendre leur rôle, il nous faudra donc confronter ces sources, qui se complètent pour nous apporter une vision somme toute assez approfondie du milieu anarchiste parisien à l’époque.
Nous nous appuierons d’abord sur les rapports de police, qui nous permettent de les repérer à travers :
1. Les informations qu’ils nous livrent sur ceux qui impulsent l’action et qui occupent une place à part dans les structures du mouvement à Paris
2. Le vocabulaire utilisé pour les désigner par les indicateurs ou agents de la préfecture : « chefs », « meneurs », « principaux anarchistes », « grands pontifes », « président » (un vocabulaire qu’il ne faut bien sûr pas prendre « au pied de la lettre » [44])
3. La fréquence avec laquelle les noms de certains d’entre eux apparaissent dans les rapports, même si cet élément d’appréciation peut paraître très hasardeux. En effet, parce que le nom de tel ou tel militant revient à de nombreuses reprises dans les rapports, nous pourrions être amenés à penser que ce dernier joue un rôle particulier au sein des groupes de la capitale.
Toutefois deux raisons peuvent nous inviter à être prudents sur la question. Première raison : certaines « personnalités » du mouvement peuvent être plus « tapageuses » [45] que d’autres et focaliser l’attention des indicateurs sur eux alors que du point de vue de la propagande, elles ne jouent pas un rôle important ; deuxième raison et autre effet d’archives : les rapports perdus, l’absence de rapports sur les groupes qui n’ont pu être infiltrés, et à l’inverse, le suivi très pointilleux de quelques groupes et de quelques individus par des mouchards soucieux de bien informer la préfecture, peuvent totalement fausser notre perception. Ces réserves émises, un sondage sur l’année 1884 à partir des archives de la préfecture de police nous montre que ce travail sur les noms peut néanmoins donner des résultats significatifs : ainsi, pour l’année 1884, les sources policières en P. Po. B.A./74 conservent les noms de 148 individus considérés comme anarchistes à Paris, dont certains répétés plusieurs fois, soit 630 occurrences, dont 55,4 % sont celles de 18 militants dont nous savons effectivement par ailleurs qu’ils sont parmi les plus actifs [46].
Nous fonderons par ailleurs notre étude sur les dossiers de presse conservés dans les sources policières, parce qu’ils décrivent le mouvement – surtout à partir du début des années 1890 – avec une certaine profondeur. Egalement, sur les sources anarchistes mêmes, notamment sur les portraits – évidemment subjectifs – que certains compagnons auront pu laisser de leurs camarades de lutte. Enfin nous utiliserons les outils de travail cités ci-dessus, qui, notamment pour ce qui est du monde des imprimés anarchistes, sont souvent les seuls à rendre visibles aujourd’hui ceux qui publiaient à l’époque en créant, parfois, des impulsions importantes au sein du mouvement.

II. Le leader anarchiste parisien du milieu des années 1880 à 1894 : une figure centrale du mouvement

Au cœur des réseaux et/ou à l’intérieur des groupes dans lesquels les leaders ne sont pas désignés selon des procédures formalisées, ces derniers ont pu s’affirmer de différentes manières (qui ne s’excluent bien sûr pas les unes les autres) : grâce à des qualités humaines et ou morales, et/ou grâce à des aptitudes ou des talents.

1. Qualités humaines, qualités morales, talents et autres ressources des leaders

Ainsi, certains font preuve de qualités humaines qui leur permettent, par exemple dans ces lieux de sociabilité que sont entre autres les groupes anarchistes constitués sur une base affinitaire, de se faire accepter et de contribuer à la bonne ambiance, au climat de confiance et d’entraide existant entre militants, et finalement à la cohésion du groupe. Ainsi, certains leaders sont d’abord présentés par les camarades qui les fréquentent comme des « compagnons » (le mot s’impose au début des années 1880 au sein du mouvement, et il faut l’utiliser ici dans son sens anarchiste le plus plein) dont la présence est appréciée : il en va ainsi d’Emile Méreaux [47] par exemple, ébéniste de Charonne, que Charles Malato décrit comme un « convaincu » d’« allure sympathique » [48]. Certains sont appréciés car ils sont également prompts à aider leurs camarades dans le besoin, comme Antoine Rieffel [49] en 1883, qui doit partir en voyage et propose son logement à plusieurs anarchistes sans domicile [50]. Enfin quelques-uns seraient même capables de donner jusqu’à leurs propres vies pour leurs semblables, comme Charles Gallo [51], qui déclare à son procès : « J’ai voulu mourir obscurément mais en servant une idée utile entre toutes, l’émancipation de quatre-vingt-dix-neuf pour cent de l’humanité » [52]. Selon Pierre Kropotkine d’ailleurs, c’est à cette attitude intérieure que l’on reconnaîtrait l’authentique révolté, ce dernier étant d’abord un homme pénétré du sentiment de solidarité, qui, par sa force ainsi que par l’exubérance de sa vie, est poussé à donner aux autres son intelligence, ses sentiments, ses actes, « sans rien demander en retour » [53], cela jusqu’à la mort même [54].
D’autres – parfois les mêmes – ont pu s’affirmer comme des leaders au sein des structures du mouvement en faisant montre de qualités morales telles que la sincérité (exprimée dans l’engagement notamment), l’honnêteté ou le désintéressement. Ainsi, Charles Malato dépeint d’abord Joseph Tortelier comme un « travailleur laborieux et modeste », qui, des années durant, « a craché ses poumons pour convertir ses frères de misère à ce qu’il sentait vrai et juste » [55] ; de même Jean Grave, dans Le Journal du 7 août 1894, est décrit par un contemporain comme un ouvrier « à l’air loyal […] à la physionomie énergique, poussé à l’ingénuité par la ténacité presque candide de la foi » [56]. Aux yeux d’une partie des compagnons, ces qualités sont importantes pour plusieurs raisons. D’abord, parce que les rapports entre anarchistes au sein des structures du mouvement doivent reposer sur la confiance mutuelle nécessaire à la maturation des projets, surtout lorsqu’un membre du groupe se voit confier de l’argent pour faire aboutir telle ou telle action ; le leader doit inspirer confiance et se montrer digne de cette confiance. Ensuite, parce que, pour être crédible et pouvoir être considéré comme un homme politique, le révolté qui recourt à la « reprise individuelle » en prenant de nombreux risques ne doit pas pouvoir être confondu avec un vulgaire malfaiteur volant pour lui-même : ainsi Le Révolté fait de Clément Duval un excellent ouvrier serrurier jouissant de l’estime de tous, courageux (blessé deux fois à la guerre), « parfait honnête homme », convaincu qu’il « devait prendre dans la poche des jouisseurs pour répandre parmi ceux qui souffrent » [57]. Enfin, de manière plus générale, parce que le mouvement, alors que ses principaux leaders ont reconnu, à Londres, au début des années 1880, la propagande par le fait comme un fondement de leur action future, ne doit pas pouvoir être amalgamé à une vaste association de malfaiteurs. Et Pierre Kropotkine comme Jean Grave, qui souhaite moraliser le mouvement à la fin des années 1880, n’hésitent pas à affirmer dans La Révolte que l’authentique révolté est celui qui, seul, enracine sont action dans une morale naturelle supérieure s’ancrant dans le sentiment de solidarité [58].
D’autres (parfois aussi les mêmes) ont su jouer un rôle au sein du mouvement en faisant preuve d’aptitudes ou de véritables talents forçant l’admiration de certains de leurs compagnons de lutte : la force physique, qui, avec Ravachol par exemple, servie par le courage, est utilisée contre la bourgeoisie dans le cadre d’actions dangereuses ; le talent oratoire, qui fait par exemple s’élever Joseph Tortelier, « sans autre culture que celle qu’il s’est donnée à d’admirables hauteurs d’éloquence » [59] ; des capacités intellectuelles remarquables, comme la mémoire « extraordinaire » d’Alain Gouzien [60] ; un bon niveau d’instruction, comme celui d’Alexandre Tennevin [61], qui se fait passer dans les groupes pour un licencié en droit, et qui, selon un long rapport d’indicateur daté du 15 novembre 1889, aurait alors voulu s’imposer comme « l’orateur judiciaire du mouvement » [62] ; le talent de plume, qui permet à Jean Grave d’exposer et de défendre ses idées avec clarté dans les colonnes de La Révolte ; le talent d’organisation, qui caractérise par exemple le compagnon Druelle [63] (un rapport d’indicateur du 8 novembre 1884 le décrit comme un « excellent organisateur » [64]), infatigable propagandiste au cœur de l’action à Paris avant qu’il ne soit dénoncé par certains de ses camarades comme étant l’indicateur de police « Sabin », ou encore le charisme ou l’autorité naturelle…
Enfin, certains (ou les mêmes) ont su mettre à disposition de leurs camarades d’autres ressources. Parmi ces compagnons – et sans chercher à être exhaustif –, il y a ceux qui ont beaucoup milité (en n’hésitant pas à payer, parfois chèrement, leurs actes) et qui peuvent faire bénéficier leurs camarades de leur expérience et de leurs conseils : ainsi Tortelier, en 1894 à Paris, au sein d’un mouvement pratiquement atone, reste une de ces personnalités que l’on vient voir quand on est un jeune anarchiste ; il est alors « un vieux militant qui donne de temps en temps la note sur la ligne de conduite » [65]. Il y a ceux comme Emile Henry [66], qui, au fil de leurs activités militantes, sont parvenus à établir des contacts avec d’autres compagnons ou d’autres révolutionnaires de diverses tendances à l’intérieur et à l’extérieur du territoire national, des contacts qui les placent au cœur de réseaux régionaux, nationaux et internationaux plus ou moins fragiles dont ils peuvent faire bénéficier les compagnons qu’ils rencontrent et en qui ils ont confiance [67]. Il y a ceux qui ont la capacité à médiatiser telle ou telle situation, tel ou tel acte, comme Jean Grave grâce à son journal, et auxquels des compagnons peuvent recourir si nécessaire pour faire connaître leur situation et leurs besoins. Il y a encore ceux qui disposent de facilités financières, comme Elisée Reclus [68], ce qui lui permet par exemple de soutenir par des dons la propagande écrite [69].

2. Rôle des leaders parisiens au sein du mouvement

Ces qualités humaines, morales, ainsi que ces talents ou autres ressources reconnues par leurs pairs permettent à ces militants de devenir des leaders au sein d’un mouvement qui en compte différentes catégories, catégories qui, bien sûr là encore, ne s’excluent pas les unes les autres.
Tout d’abord, il y a ceux qui sont ses porte-paroles dans le cadre de la propagande écrite, orale (ceux qu’un mouchard appelle ironiquement les « génies anarchistes » en septembre 1891 [70]) ou par le fait. Ce sont ces orateurs, qui animent les réunions des groupes, font souvent partie du bureau lorsque des réunions publiques sont organisées et/ou sont inscrits sur les listes d’orateurs (quand elles existent) prévues pour les animer ; bref, ce sont ceux qui parlent « en premier » pour reprendre une expression fréquente dans les rapports de police et qui, à une échelle locale, régionale voire nationale, donnent ses impulsions à la propagande orale. Ce sont aussi ces écrivains plus ou moins en prise avec le milieu anarchiste parisien comme le montrent encore des travaux récents [71], qui contribuent par leurs écrits (articles, brochures, livres), comme le rappelle Caroline Granier en citant un article de la Revue Libertaire, à orienter la réflexion et l’action des compagnons [72] :
« On connaît enfin les chefs de cette mystérieuse association. Cette découverte est due à un heureux hasard : un haut fonctionnaire du service de la Sûreté ayant entendu parler d’un moyen de transmission de pensée appelé littérature, eut l’idée de diriger ses investigations de ce côté. »
Ce sont enfin certains propagandistes par le fait comme Pini, Ravachol, Emile Henry qui, à travers des actes, puis, éventuellement, des discours plus ou moins médiatisés par la presse de l’époque, veulent donner l’exemple à suivre et peuvent être considérés, dans le laps de temps qui court de leur arrestation à leur jugement, à la fois comme des porte-paroles et comme des leaders avant parfois d’entrer dans un martyrologe anarchiste [73].
Ensuite, il y a ceux, et ce sont souvent les mêmes, – ce qui renforce leur rôle au sein du mouvement –, qui contribuent à donner vie aux réseaux et qui animent des groupes (qu’ils ont d’ailleurs pu fonder), des bandes, des comités, des syndicats... Ils sont désignés dans les rapports d’indicateurs comme les membres « les plus importants », les « meneurs », les « chefs », les « dirigeants », les « présidents » de ces structures, ce qui signifie simplement (à l’exception par exemple du « Syndicat des hommes de peine », pour lequel il existe des statuts, et, de manière institutionnalisée, un « secrétaire général », un « secrétaire adjoint » et un « trésorier » [74]) qu’ils y sont écoutés, respectés et parfois craints, que, très actifs, ils donnent les principales impulsions à ce qui s’y fait, et enfin qu’ils y assument souvent des responsabilités, à condition que les autres membres en soient d’accord bien sûr : par exemple, qu’ils se chargent de la correspondance extérieure du groupe (les rapports les désignent alors comme les « secrétaires » des groupes) ou qu’ils gèrent sa caisse (les indicateurs les présentent alors comme les « trésoriers » des groupes), groupes qui peuvent éventuellement aussi se réunir chez eux. Un long rapport daté de décembre 1887 permet d’identifier un certain nombre d’entre eux à Paris [75].
Mais au sein d’un mouvement qui ne fonctionne selon aucune règle écrite, dans lequel il n’y a pas de cartes d’adhérents, où l’on ne recourt ni au vote, ni au système des mandats, où il n’y a pas d’autorité institutionnalisée, certains d’entre eux parviennent à jouer un rôle encore plus important : ils ne sont plus alors les « chefs », les « présidents » ou les « directeurs » d’une structure, mais ils deviennent dans les rapports de police les « chefs » ou les « directeurs » du mouvement à Paris, voire davantage, cela grâce – toujours – à leurs qualités-compétences-talents-et-autres-ressources, mais également à d’autres stratégies plus ou moins conscientes :
1. D’abord, en parvenant à être admis au sein des structures (groupes, réseaux...) composées, (sur la base des affinités) des militants les plus impliqués, au sein desquelles les décisions les plus importantes sont prises : il existe bien sûr au sein du mouvement des structures qui, parce que leurs membres sont des militants très actifs, jouent à l’échelle de Paris et de sa banlieue, du territoire national, voire davantage, un rôle central du point de vue de la propagande, alors que d’autres jouent un rôle plus périphérique [76].
2. Egalement, en appartenant à différentes structures importantes en même temps [77] (réseaux, groupes, bandes, ligues, syndicats…), qui, a diverses échelles et de diverses manières, contribuent à organiser fortement le mouvement à certaines époques : c’est par exemple le cas d’Alexandre Tennevin en 1887, qui est régulièrement présent aux réunions générales des groupes de Paris et de la banlieue mais est aussi « membre principal » de cinq groupes tout en étant un militant des plus actifs de la « Ligue des Antipropriétaires » et un membre fondateur de la « Ligue des Antipatriotes » [78]. De manière plus générale, toujours en 1887, c’est encore le cas de cette quinzaine de militants parisiens qui appartiennent au moins à deux groupes importants de la capitale en même temps [79].
3. Non seulement en adhérant en même temps à plusieurs structures importantes du point de vue de la propagande, mais encore en étant le plus possible présents sur le terrain : en s’attachant avec constance à prendre part, personnellement, directement, aux diverses délibérations qui, en différents lieux de la capitale et dans ces diverses structures, permettent les décisions importantes, la volonté d’occuper coûte que coûte, en personne, le terrain décisionnel, s’expliquant d’ailleurs par les théories anarchistes elles-mêmes à travers toutes les critiques que les compagnons formulent à l’encontre du système représentatif : pour eux en effet, se faire représenter au sein d’une structure quelle qu’elle soit en confiant à un autre – qui n’est pas forcément compétent – le soin de régler ses propres affaires, c’est entre autres se déresponsabiliser et abdiquer une part de sa liberté en risquant de se voir imposer une décision que l’on n’aurait pas souhaitée. Ce qui distingue donc l’anarchiste – et a fortiori le leader –, homme entre tous éveillé et responsable, c’est sa capacité à participer – c’est ici un point très important – aux diverses activités du mouvement en étant jour après jour un acteur direct des événements [80]. Ainsi, au milieu des années 1880, les rapports d’indicateurs témoignent, à travers notamment la fréquence avec laquelle certains noms y apparaissent (ainsi, pour l’année 1887, les sources policières en P. Po. B.A./75 conservent les noms de 235 individus considérés comme anarchistes, dont certains répétés plusieurs fois, soit 822 occurrences dont 44 % sont celles de 25 militants seulement) de la présence de ces quelques compagnons à la plupart des réunions, toutes organisées par les anarchistes à Paris.
4. Aussi, en prenant une large part aux décisions, parce que le processus de prise de décision auquel les anarchistes recourent à l’intérieur de la plupart des structures du mouvement permet à ces leaders, souvent, d’y faire prévaloir leurs vues. En effet, comme nous l’avons vu, à la fin du XIXe siècle, les compagnons contestent la démocratie bourgeoise à travers le système représentatif mais aussi à travers le vote et le principe majoritaire, parce que, pour simplifier, ces principes et mécanismes conduisent à la tyrannie du plus grand nombre [81]. Bien sûr, ces théories sont transposées à l’intérieur du mouvement, et, dans les groupes (ce que montre par exemple les délibérations du groupe dont Ravachol est l’homme de main [82]) la prise de décision ne fait l’objet d’aucun vote ni d’ailleurs d’aucune formalisation particulière (écrite ou orale) : ainsi les réunions ne font pas la plupart du temps l’objet d’un ordre du jour ; chacun parle quand il le souhaite, et, pour les présents, la délibération est intimement liée à la notion de consensus et d’unanimité. Or au cours de ces discussions, si l’on se fonde à nouveau sur les rapports d’indicateurs ainsi que sur les mémoires des anarchistes, nous constatons que ce sont surtout certains leaders, d’ailleurs parfois présents – comme nous l’avons vu – à presque toutes les réunions du ou des groupes et délégués dans presque tous les comités, qui font accepter leurs idées par les autres, cela parce qu’il n’existe pas au sein de ces structures de procédures comme les tours de paroles obligeant les militants plus neufs ou plus timides à s’exprimer, et également parce que les autres militants leur font confiance : c’est ici un autre point très important.

3. Pouvoir, rapports de force et légitimité

Etre des leaders donne alors bien évidemment du pouvoir pour deux raisons : d’abord parce que les leaders, à cause des informations qu’ils détiennent ou à cause de leur place dans les structures du mouvement, sont vis-à-vis des autres compagnons dans un rapport de force qui leur est favorable ; ensuite, parce qu’ils ont la liberté d’accepter ou de refuser (pour diverses raisons) de faire bénéficier les autres compagnons de leurs talents, de leurs aptitudes ou de leurs autres ressources. Ainsi, les membres du « Comité de secours aux détenus » qui fonctionne en 1886 ont le pouvoir d’user des fonds dont ils disposent, en conscience, et donc d’accepter ou de refuser d’aider ceux qui, parmi les compagnons, en font la demande [83]. De même, les membres d’une commission (dont font partie Louis Duprat [84] et Emile Pouget [85]) chargée en 1882 par divers groupes anarchistes, avec leur argent, de faire paraître un manifeste, ont le pouvoir de ne pas partager certaines informations confidentielles avec les membres de ces groupes s’ils l’estiment nécessaire : par exemple lorsqu’ils refusent, par peur des mouchards, de leur faire connaître, lors d’une réunion, le nom de l’imprimeur qu’ils ont choisi [86]. De même encore, Jean Grave, en tant que gérant de La Révolte, a le pouvoir (il peut accepter ou non de publier des articles dans son journal ; il a la possibilité d’y organiser des souscriptions : il peut ou non y annoncer les réunions de certains groupes dans la rubrique « Convocations » ; il peut ou non distribuer et redistribuer de l’information concernant les militants via par exemple des rubriques comme la rubrique « Petite correspondance » du journal) de refuser à certains compagnons l’accès aux ressources que peut offrir son journal. Ainsi, en toute conscience, au nom de ce qu’il considère comme étant le bien du mouvement, il prive de ses services dans la seconde moitié des années 1880 une majorité d’anarchistes parisiens parce qu’il estime qu’ils sont seulement capables de formuler « les pires idioties sous couvert d’anarchie » [87]. Dernier exemple, et on pourrait les multiplier, celui de Pierre Kropotkine au début des années 1890 : parce qu’il a la possibilité de s’exprimer via le canal de La Révolte et parce qu’il a une vraie notoriété au sein du mouvement, il a le pouvoir d’influencer un grand nombre de compagnons, ce qu’il fait en les invitant à abandonner les formes d’action individuelle pour s’engager dans des formes d’action collective ; et ce n’est pas forcément du goût de nombre d’entre eux, qui crient « presque à la trahison » [88].
Mais bien entendu, les compagnons, parce qu’ils restent méfiants vis-à-vis de ceux d’entre eux qu’ils soupçonnent de vouloir se réserver une parcelle de pouvoir ou parce qu’ils peuvent s’estimer lésés par ce qu’ils considèrent comme un abus de pouvoir, voire trahis, n’hésitent pas à réagir. D’où des tensions entre la base militante et les leaders. La gestion de celles-ci au sein du mouvement, gestion qui lui permet de continuer à exister, s’effectue alors de plusieurs manières – au moins six, mais nous ne prétendons pas ici épuiser le sujet –.
1.Pour ceux qui ne sont pas d’accord avec les initiatives prises par certains : en refusant la discussion et en feignant d’ignorer la contradiction (ainsi Jean Grave nous dit qu’au milieu des années 1880, les compagnons favorables à La Révolte se refusent à aller dans les groupes parisiens au sein desquels le journal est vivement critiqué [89]).
2. En appelant à la discussion ou au débat dans les groupes ou les journaux. Ainsi au sein des différentes structures, la discussion permet souvent de comprendre les motivations du ou des leaders et de trouver une solution dans le cadre du consensus le plus large, si possible de l’unanimité sur la question. Et très nombreuses sont les tensions qui, lors de l’organisation d’un meeting, de la rédaction d’un manifeste ou pour toute autre raison, naissent et se dénouent.
3. En recourant à des discussions et des débats au cours desquels, au contraire, les positions se radicalisent et peuvent déboucher, au sein des groupes par exemple, sur des violences – tant verbales que physiques – entre tenants de telle ou telle option, violences donnant parfois lieu à la scission du ou des groupes et à l’apparition de tendances : ainsi le positionnement de La Révolte au début des années 1890, à travers, entre autres, les articles de Pierre Kropotkine sur la question de l’action collective et de l’action individuelle, témoigne de l’existence d’un clivage qui va en s’approfondissant au sein du mouvement entre une tendance anarchiste communiste et une tendance individualiste, tendances qui toutes deux s’incarneront dans des structures concurrentes.
4. En utilisant des stratégies de contournement ou des formes de pression : ainsi, les anarchistes de Paris, qui sont en, désaccord avec les choix éditoriaux de Jean Grave et qui demandent à ce que ce dernier annonce dans La Révolte leurs réunions, n’ont d’autre solution, pour protester contre ce que Charles Malato appelle « la petite phalange », « le noyau immaculé, silencieux et il faut le dire sectaire, à la fois intransigeant en théorie et endormi en action » [90], que d’appeler au boycott du journal soutenu financièrement par Elisée Reclus ainsi qu’à l’apparition d’un nouveau journal financé par tous les compagnons de la capitale, qui, lui, alors qu’ils ne considèrent plus La Révolte comme le porte-paroles des anarchistes parisiens, sera bien la voix de tous les anarchistes parisiens.
5. En demandant des comptes aux leaders concernés : ainsi, lorsque Emile Digeon [91] se heurte à Druelle et Amédée Denèchère à propos de la création d’un journal anarchiste en septembre 1884 et les accuse d’avoir « mangé » l’argent en réclamant des explications [92] ; en 1886, lorsque les groupes anarchistes parisiens sont convoqués pour vérifier les comptes du « Comité de secours aux détenus » dont le compagnon Gallais est le trésorier [93].
6. En mettant à l’écart, de manière plus ou moins formalisée (en fait de moins en moins formalisée au fur et à mesure que l’on avance dans les années 1880) celui qui n’est pas digne, pour diverses raisons d’être un leader. Ainsi, en 1884, un certain nombre d’anarchistes parisiens organisent un véritable procès révolutionnaire pour juger Druelle, accusé d’être l’indicateur « Sabin », ce qui le marginalise [94] tandis que quelques années plus tard, le « sphynx anarchiste » Paul Martinet (l’expression est utilisée par un indicateur en 1891), sans qu’il y ait été besoin d’un procès, voit progressivement les compagnons se détourner de lui entre autres parce qu’il est accusé par certains d’entre eux, dont Jean Grave [95], d’être un agent provocateur à la solde de la préfecture [96].
Dans tous les cas, ces situations montrent que, si ces leaders jouent un rôle important au sein du mouvement et restent des leaders, c’est parce que, comme l’ont montré Simon Luck et Irène Pereira à un siècle de distance en étudiant les modalités de la prise de décision dans certaines organisations anarchistes contemporaines en France [97], leur autorité est reconnue explicitement par les membres du groupe ou des groupes qui la jugent légitime pour diverses raisons, mais aussi parce qu’elle est considérée implicitement comme « collectivement contrôlable » [98] : les décisions traduisent alors au sein des groupes « l’assentiment du collectif vis-à-vis de l’autorité naturelle ‘ » [99] de ces leaders, sans qu’ils n’apparaissent la plupart du temps comme des « despotes locaux » [100].

III. « Hiérarchie dans les faits » et « exécutifs anarchistes » à Paris et Londres du début des années 1880 à 1894

1. Nombre des leaders et profils sociologiques

Il est impossible de dénombrer ces leaders dans la capitale du milieu des années 1880 à 1894 dans la mesure où les noms d’une partie d’entre eux ne nous sont pas parvenus parce qu’ils n’ont pas été identifiés par les indicateurs, leurs groupes ou leurs réseaux n’ayant pas été infiltrés. Nous pouvons toutefois supposer qu’ils ont été relativement nombreux pour trois raisons : d’abord, parce que les structures qui permettent, entre autres, au mouvement d’exister sont diverses, multiples, souvent de petite taille et que la répression des années 1890-1894 a encore contribué à leur émiettement ; ensuite, parce que le mouvement, avec la répression, est de plus en plus cloisonné au fil du temps, notamment à partir de 1890-1891 à Paris, années au cours desquelles les groupes « fermés » se multiplient ; enfin, parce que, toujours à cause de la répression, avec les départs pour l’étranger ainsi que les condamnations nombreuses des compagnons les plus actifs, le monde militant connaît un certain renouvellement. On peut ainsi postuler, cela sans grand risque d’erreurs, que le nombre des leaders est supérieur à 10 % des militants dans la capitale.
D’un point de vue sociologique, pour ceux que nous connaissons bien entendu, ce sont dans leur très grande majorité (à l’exception notable de Louise Michel) des hommes. Ils sont soit très jeunes, soit dans la force de l’âge, et ils exercent pour la plupart d’entre eux une profession manuelle (tailleur, ébéniste, cordonnier, menuisier... sans que l’on sache la plupart du temps s’ils sont à leur compte ou non), mais parfois intellectuelle (ainsi, Casimir Pennelier [101] est clerc de notaire ; Louise Michel, femme de lettres, Alexandre Tennevin serait licencié en droit et Sébastien Faure [102] a été au séminaire) surtout pour ce qui est des orateurs et des écrivains du mouvement.

2. Les leaders anarchistes parisiens au milieu des années 1880 : des hommes jouant un rôle central dans un mouvement parisien relativement structuré

1887 est une année commode pour sonder le mouvement anarchiste parisien en travaillant sur ses leaders : nous disposons en effet à cette époque de quelques rapports de synthèse éclairants sur son fonctionnement, qui permettent de bien y appréhender leur rôle. A Paris, à l’époque, ces structures (qui n’épuisent bien sûr pas ce qu’est le mouvement parce qu’il existe des individus qui refusent résolument d’entrer dans celles-ci), nées des affinités et, pour les groupes notamment, de la proximité géographique, sont nombreuses, diverses, s’enchevêtrent, sont plus ou moins visibles, plus ou moins cloisonnées, en recomposition constante, et ont plusieurs raisons d’être : permettre aux compagnons, qui sont environ 80 dans la capitale, de se connaître et de se reconnaître ; coordonner l’entraide ; servir la propagande orale, écrite ainsi que la propagande par le fait éventuellement [103].
Il s’agit de réseaux plus ou moins étendus, de groupes plus ou moins bien organisés et plus ou moins difficiles d’accès ayant vocation à jouer un rôle à l’échelle des rues, des quartiers et des arrondissements de la capitale ; de ce que nous avons pu appeler des « groupes forum », comme ces « réunions de tous les anarchistes de Paris et de la banlieue » organisées par exemple salle Horel, rue Aumaire, qui permettent aux compagnons fréquentant les divers groupes de se rencontrer ; de « comités » plus ou moins stables créés lorsque le besoin s’en fait sentir, ayant vocation à rassembler des délégués (sur la base du volontariat, de manière informelle) de deux, voire trois, voire tous les groupes de la capitale et de sa banlieue pour les faire coopérer plus ou moins temporairement afin d’éditer une brochure ou un journal, de préparer une manifestation ou tout autre type d’action ; également de syndicats (le « Syndicat des hommes de peine ») ou de ligues (« la ligue des Antipatriotes » ou celle des « Antipropriétaires » par exemple), dont les sections à Paris, se confondent avec les groupes anarchistes locaux ; enfin de journaux (dont les sièges sont des lieux de rencontre), qui jouent le rôle de centrales d’informations pour les compagnons ou relaient les initiatives des individus, des groupes, des comités, des ligues.
Au sein de ce mouvement, les leaders jouent un rôle plus ou moins central, et ce qui détermine cette centralité, c’est d’une part leur capacité à faire reconnaître par leurs camarades leurs qualités-talents-et-autres-ressources, et d’autre part leur place et leur rôle conditionnés par ces mêmes qualités-talents-et-autres-ressources dans ces structures elles aussi plus ou moins centrales. Une partie d’entre eux animent en effet de petites structures (des réseaux peu étendus ; des groupes à l’échelle de la rue, du quartier ou de l’arrondissement...) au sein desquelles ils initient des actions dans le domaine de la propagande écrite, orale, voire par le fait, tandis qu’une minorité, un peu plus d’une vingtaine, qui se connaissent tous bien, ont une autre stature et jouent un rôle bien différent dans la capitale, comme en témoigne par exemple la fréquence avec laquelle leurs noms reviennent dans les sources policières [104]. Ils sont au cœur de réseaux composés des militants les plus sûrs et les plus actifs. Comme on peut le constater dans le tableau ci-dessous, ce sont également eux qui, pour ce qui est de la partie visible du mouvement dans la capitale, animent les principaux groupes parisiens en étant souvent membres de plusieurs d’entre eux à la fois. La plupart d’entre eux participent aussi aux réunions de tous les groupes anarchistes de Paris et de la banlieue. Presque tous sont des membres importants (fondateurs et/ou animateurs) des divers comités impulsant des actions particulières ainsi que d’une ou plusieurs ligues et/ou du « Syndicat des hommes de peine ». Ce sont encore certains d’entre eux qui permettent à une presse anarchiste embryonnaire de fonctionner, des journaux dont on sait le rôle structurant au sein du mouvement (quatre d’entre eux ont fondé L’Avant Garde cosmopolite ; deux d’entre eux jouent un rôle moteur dans la parution de L’Autonomie Individuelle, et deux autres jouent un rôle essentiel dans la parution de La Révolte/Le Révolté. Enfin la plupart d’entre eux prennent la parole lors des réunions publiques importantes et quelques uns ont une véritable notoriété en dehors du mouvement comme Louise Michel, Gustave Leboucher et Joseph Tortelier.
Rôle des principaux anarchistes parisiens au sein des structures du mouvement en 1887 [105]

Les leaders anarchistes de la capitale « Principaux membres » des « groupes les plus importants » en décembre 1887 Anarchistes participant aux réunions générales des groupes de Paris voire de la banlieue Membres de la « Chambre syndicale des hommes de Peine » Membres « les plus connus » de la « Ligue des Antipropriétaires » « Principaux promoteurs et orateurs » de la « Ligue des Antipatriotes » Membres de la « Ligue cosmopolite » Anarchistes jouant un rôle dans le cadre de la parution de journaux du mouvement
Bidault Emile [106] Membre d’1 groupe X Un des fondateurs en 1886 X
Couchot Jean [107] Membre de 4 groupes X Un des possibles fondateurs
Diamisis [108] Membre d’1 groupe X
Duprat Louis [109] Membre de 3 groupes X Un des principaux rédacteurs de Terre et Liberté
Grave Jean Gérant du Révolté puis de La Révolte
Gouzien Alain Membre de 4 groupes X X Rédige une brochure en 1887
Guillet [110] X
Guyart [111] Membre de 2 groupes X
Jahn Octave [112] X Un des fondateurs A collaboré avec Bidault, Jahn, Tennevin, Murjas,Tortelier à la Revue Antipatriote en 1884. Fondateur selon Pouget de L’Avant-garde
Laurens Lucien et Charles [113] X Premier adhérent
Leboucher Gustave X Un des fondateurs Collabore à Terre et Liberté
Louiche Jean-Baptiste [114] Membre de 3 groupes X Remplace Leboucher à la direction et rédige les statuts. Syndic X Un des principaux animateurs du Groupe L’Autonomie individuelle
Lucas [115] Membre de 3 groupes X Premier adhérent X Membre de la Ligue cosmopolite Un des rédacteurs de L’Autonomie individuelle avec Louiche
Méreaux Emile X Publie les résultats d’une tombola en faveur de membres de la Ligue des Antipatriote Gérant du Révolté à Paris.
Michel Louise X
Moreau [116] Membre d’1 groupe X Syndic X
Moucheraud Adrien [117] Membre de 2 groupes X X Imprimeur gérant de L’Avant-garde
Murjas Etienne, dit « Alexandre » [118] Membre de 2 groupes X Premier adhérent X Un des fondateurs Fondateur selon Pouget de L’Avant-garde
Niquet Ferdinand [119] Membre d’1 groupe X Un des fondateurs
Pennelier Casimir Membre d’1 groupe X Premier adhérent
Sureau Albert [120] X Premier adhérent et syndic
Tennevin Alexandre Membre de 5 groupes X X Un des fondateurs Collabore à la Revue antipatriote en 1884
Fondateur selon Pouget de L’Avant-garde
Thomas [121] Membre de 2 groupes X Premier adhérent X
Tortelier Joseph Membre de 2 groupes X Un des fondateurs Un des animateurs

Donc, à l’échelle de la capitale, ces leaders sont en quelque sorte, pour sa partie la plus visible, « l’arbre de souche auquel se rattach[e] [presque] tout le mouvement » [122] pour reprendre l’expression – postérieure – d’un indicateur. En effet, à l’échelle de Paris au moins, leurs liens avec la base militante, le rôle qu’ils jouent pour rendre les structures plus poreuses et la façon dont ils occupent l’espace décisionnel, contribuent à la fois à la structuration du mouvement, à la mobilisation des militants ainsi qu’à une certaine cohérence dans l’action.
Par ailleurs, comme la capitale est alors, pour reprendre une expression de Constance Bantman, « l’épicentre » du mouvement [123] (à l’échelle du territoire national – voire au-delà –, cette vingtaine de leaders parisiens donnent, de divers manières, comme nous l’avons longuement montré dans notre thèse [124], les grandes impulsions du point de vue de l’activité militante à des « périphéries anarchistes » dépendantes de ce « centre » [125] dans lesquelles les structures du mouvement sont, elles aussi, animées par des leaders locaux comme François Monod [126] de Dijon, Pierre Martin [127] de Vienne, etc…), il est possible d’affirmer qu’ils sont au sommet d’une hiérarchie informelle à l’échelle du mouvement ; et c’est sans doute leur centralité au sein du mouvement qui a poussé certains indicateurs à pointer du doigt l’existence de « comités directeurs » du mouvement, qu’ils fantasment en se les représentant comme des comités occultes institutionnalisés composés des conspirateurs les plus connus se réunissant pour donner des ordres à des exécutants disciplinés. Seulement, ce que les indicateurs appellent « comités directeurs » recouvre une toute autre réalité, que, pour nous démarquer du vocabulaire policier, nous avons appelé dans notre thèse : « exécutifs anarchistes ». Ils comptent en effet des compagnons déterminés qui se connaissent, peuvent s’estimer ou se détester, sont en position centrale au sein du mouvement (donc au sommet de cette hiérarchie informelle), et qui, au sein ou à la convergence de structures elles aussi centrales, dans des rapports de gré à gré la plupart du temps, avec le soutien de tout ou partie de la base militante, donnent de grandes impulsions à la propagande orale et écrite, ce qui n’empêche pas, bien sûr, que des groupes ou des individus agissent de leur côté à l’étranger et sur le territoire national.

3. Au début des années 1890 : des leaders militant au sein d’un mouvement parisien qui a beaucoup évolué

Moins de cinq ans après, l’année 1891 est intéressante pour tenter de faire un point sur ces leaders, alors que la capitale commence à trembler devant les propagandistes par le fait.
A cette époque, le mouvement a beaucoup évolué, comme le montrent à la fois les dossiers de presse constitués par les agents de la Préfecture de police de Paris, les mémoires des compagnons ainsi que les rapports de police. Le nombre des anarchistes parisiens a en effet considérablement augmenté (en moyenne 120 individus fréquentent la salle Horel en 1890 et 150 en 1892), les groupes se sont eux aussi multipliés, et il est beaucoup plus difficile d’appréhender, à travers les sources, les structures en recomposition constante qui permettent au mouvement de fonctionner, d’autant que l’on ne trouve pas de rapports de synthèse pour cette année dans les archives de la Préfecture de police de Paris. Tout au plus peut-on dire que, comme en 1887, on constate l’existence dans la capitale d’un enchevêtrement de structures plus ou moins visibles (dans lesquelles certains compagnons refusent toujours résolument d’entrer) qui leur permettent de se mobiliser. D’abord des réseaux plus ou moins étendus ; ensuite des bandes, des groupes, des comités à l’échelle des rues, d’un ou plusieurs quartiers et d’un ou plusieurs arrondissements ; puis, à l’échelle de la capitale, ce que Constance Bantman appelle à Londres (lorsqu’elle évoque par exemple l’épicerie de Victor Richard [128] au 67, Charlotte Street) les « centres d’attraction du mouvement » ou ses « institutions » [129] : à Paris par exemple, les sièges des journaux du mouvement comme le 140 de la rue Mouffetard, ou encore la salle Horel, rue Aumaire, qui continuent à servir de « groupe forum » pour les anarchistes de la capitale et de la banlieue.
Dans ce cadre, comme en 1887, un certain nombre de leaders préparent discrètement des attentats ou autres actions violentes en entraînant dans leur sillage quelques compagnons ; d’autres animent des groupes de quartier qui font partie des structures visibles du mouvement. D’autres sont plus en vue et ont une autre stature, comme Charles Laurens, secrétaire du « Syndicat des hommes de peine » en 1891, Edouard Leboucher et Sébastien Faure, conférenciers, Paul Martinet, conférencier et gérant de L’Anarchie, Jean Grave, Emile Pouget, gérants de La Révolte et du Père Peinard, Pennelier… Les compagnons parisiens sont par ailleurs toujours capables de coopérer ponctuellement à l’échelle de la capitale, comme par exemple lorsqu’ils décident en 1891, salle Horel, que tous les groupes soutiendront le projet de faire du Père Peinard un quotidien, ce qui restera toutefois un vœux pieux une fois la réunion terminée [130]. Enfin, Paris reste un de ces « centre anarchiste » qui donne, à l’échelle du territoire national au moins, à des « périphéries dépendantes », de grandes impulsions du point de vue de l’activité militante.
Toutefois, le mouvement parisien entre également dans une phase au cours de laquelle il se morcelle pour diverses raisons. Parce qu’il est miné par un conflit de générations qui oppose « jeunes » (souvent neufs au sein du mouvement) et « vieux ». Parce qu’il tend à se diviser en différentes tendances, divisions qui recoupent pour partie la fracture générationnelle : notamment une tendance communiste et une tendance individualiste opposant – schématiquement – les partisans de l’action collective, sous différentes formes (entrée dans les organisations ouvrières ; manifestations aux côtés des ouvriers lors du 1er mai ; participation aux mouvements grévistes….) aux tenants de l’action individuelle et violente. Parce qu’à la même époque, du point de vue de la propagande, on constate l’essor, en périphérie du mouvement, d’une anarchie de lettre sans contact direct avec la base militante parisienne, et sociologiquement différente. Parce qu’alors que le mouvement entre progressivement en France dans ce que Jean Grave appelle « la terreur », ses structures les plus visibles (les groupes les plus stables, les comités, les groupes forum) commencent à disparaître ou sont vidés de leur raison d’être (par crainte des mouchards, c’est par exemple de moins en moins dans les « groupes forum » que les membres des différents groupes prennent un certain nombre de décisions) pour laisser place à des groupes plus fermés, à des réseaux en recomposition constante ou à des réunions informelles chez les uns, les autres ou dans des débits de boisson. Enfin, parce qu’un certain nombre de leaders parisiens de la fin des années 1880 qui avaient pu jouer ou jouaient un rôle structurant pour le mouvement, sont emprisonnés, tandis que d’autres quittent le territoire national.
Dans ce contexte, le monde des leaders parisiens visibles dans les sources – mais également ceux qui sont moins visibles – est en partie renouvelé, même si d’un point de vue sociologique, il évolue peu, comptant sous réserve d’inventaire peut-être plus d’ouvriers d’usine. En même temps, ces leaders ne jouent plus vraiment le même rôle qu’en 1887 au sein du mouvement parisien, ce pour diverses raisons :
1. Parce qu’ils sont toujours plus victimes d’une atmosphère générale, cela dans un contexte de regain de l’action individuelle, conduisant la base à se méfier des « pontifes » qui prendraient trop d’ascendant sur elle, atmosphère dont témoigne Charles Malato : « Toute action tant soit peu étendue ou combinée » devenait « entachée d’autoritarisme [131].
2. Parce qu’ils semblent faire moins l’unanimité au sein du mouvement, dans un monde qui se morcelle et qu’ils contribuent à morceler : d’après les renseignements que nous livrent les rapports d’indicateurs, certains, comme Martinet s’isolent parce qu’ils sont trop bagarreurs et provocateurs ; d’autres, comme Jean Grave, trop dogmatiques, dérangent ; d’autres comme Charles Laurens sont considérés comme trop autoritaires ou n’inspirent pas confiance ; enfin Faure, Martinet, Leboucher, Charles Laurens… semblent avoir de plus en plus de mal à s’entendre entre eux, tandis que Grave est en concurrence avec Pouget…
3. Enfin, parce que dans un mouvement au sein duquel le nombre des compagnons augmente, mais en même temps, qui se divise, dont les structures visibles se dissolvent et dont les principaux leaders sont arrêtés, ceux qui continuent de militer sont de moins en moins capables de coordonner les actions à l’échelle de la capitale.
Il semble donc en 1891 qu’à l’échelle du quartier ou de la capitale, le mouvement parisien, moins structuré, au sein duquel les forces centrifuges l’emportent désormais sur les forces centripètes, s’organise davantage autour de leaders plus indépendants les uns des autres. Ces hommes initient les actions importantes dans des structures (réseaux, groupes...) centrales (centrales parce que composées des militants les plus sûrs et les plus déterminés et parce qu’initiant les actions principales), elles aussi plus indépendantes les unes des autres. Ils sont toujours au sommet d’une hiérarchie informelle déterminée par la position plus ou moins centrale qu’ils occupent au sein du mouvement et continuent à agir au sein de ce que les indicateurs appellent des « comités directeurs », que nous avons appelés « exécutifs anarchistes » dans notre thèse.

4. Juillet-décembre 1894 : des leaders relativement passifs au sein d’un mouvement parisien atone

Du point de vue du mouvement anarchiste, ces mois sont ceux de l’aboutissement d’un processus répressif qui l’a profondément fait évoluer. D’abord, la plupart des leaders sont partis à l’étranger ou sont apparemment inactifs. Ensuite, les structures visibles de l’organisation ont disparu : groupes, « groupes forum », comités... Enfin, il n’y a pratiquement plus de propagande orale, non plus que de propagande écrite, et les écrivains de l’anarchie sont alors souvent anxieux qu’on les assimile aux propagandistes par le fait. Quant à la dynamite, elle a fini par se taire. Bref, Paris ne donne plus le « la » de la propagande, et de ce point de vue, n’est plus un « centre » anarchiste. L’activité des compagnons dans la capitale se limite alors à quelques réunions informelles autour, entre autres, de « vieux » anarchistes comme Amédée Denèchère ou Charles Sourisseau [132] ; à l’affichage ou à la distribution dans la capitale, peut-être par l’intermédiaire de Louis Letellier par exemple [133], lui aussi un « vieil anarchiste », d’imprimés qui arrivent d’outre Manche ; à quelques péroraisons de Joseph Tortelier que certains écoutent [134]. Reste alors l’activité difficile à évaluer de « leaders peu visibles » comme Emile Spagannel [135] et sa bande d’anarchistes cambrioleurs.
Après l’attentat contre Sadi Carnot, il est bien sûr toujours possible de parler de hiérarchie informelle dans la capitale, hiérarchie déterminée par la plus ou moins grande centralité (pour des raisons diverses) des militants au sein du mouvement (celle d’Emile Spagannel en tant que chef de bande ; celle de Joseph Tortelier en tant que référent expérimenté pour un certain nombre de compagnons). En revanche, il n’est plus possible de parler, dans une capitale qui s’est transformée en « périphérie » de l’anarchie (car c’est de Londres que partent les principales impulsions dans le domaine de la propagande orale, écrite et par le fait) de « comités directeurs », ce que ne font d’ailleurs plus les indicateurs. Pour ces derniers, les « comités directeurs » se trouvent désormais à Londres, et s’il ne faut pas céder au fantasme d’une Internationale noire ayant la forme d’une « organisation tentaculaire préparant la révolution depuis Londres » [136] comme l’écrit Constance Bantman, il existe des « groupes », et des « cercles » londoniens « assez actifs » [137] donnant en ordre dispersé de grandes impulsions à la propagande (orale, écrite et par le fait) à des périphéries plus ou moins éloignées dont la France fait partie, comme nous avons pu le montrer dans notre thèse et comme en témoigne Constance Bantman dans des pages très riches [138]. Et c’est entre autres à Londres, comme le rappelle Guillaume Davranche, que se prépare, autour d’hommes comme Emile Pouget le basculement de l’anarchisme d’« une période grève-généraliste (1886-1892), après la parenthèse terroriste (1892-1894) à une période syndicaliste (après 1894) » [139].

Conclusion

A Paris, fin XIXe, le leader anarchiste est la figure importante, centrale, d’un mouvement qui se veut égalitaire et antiautoritaire. Il se distingue tout d’abord par des qualités humaines et/ou morales et/ou par des aptitudes particulières et/ou par d’autres ressources qu’il peut proposer à ses compagnons de lutte. Ce sont ces qualités-aptitudes-et-autres-ressources mises au service des idées anarchistes qui, tant qu’elles sont reconnues comme avantageuses pour le mouvement par une partie des compagnons et tant que le leader ne paraît pas trahir les idées partagées par ces derniers, le légitiment dans son statut de leader, lui permettent de jouer un rôle plus ou moins clé dans « l’organisation » [140] (écrivain, conférencier, animateur d’un ou plusieurs groupes, chef de bande…) et d’y avoir une certaine visibilité. Au sein d’un mouvement fonctionnant selon le modèle centres-périphéries, ces leaders, en fonction de la position plus ou moins centrale qu’ils y détiennent, parfois très provisoirement, contribuent à l’existence d’une hiérarchie informelle qui s’édifie dans des rapports de gré à gré, au sommet de laquelle se trouvent ces « comités directeurs » signalés par les indicateurs de police. Ces « Comités » n’ont bien sûr rien à voir avec les cercles occultes composés de donneurs d’ordres fantasmés par certains (probablement pas tous) de ces indicateurs : en effet, le fonctionnement de ce que nous avons appelé « exécutifs anarchistes » dans notre thèse pour nous distancier du vocabulaire policier est tout autre.

[1Jean Grave, voir sa notice in Jean Maitron, Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier en ligne à l’adresse suivante : http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/.

[2Vivien Bouhey, Les Anarchistes contre la République, Presses Universitaires de Rennes, 2008, 491 p., p.80 sqq.

[3P. Po. B.A./74.

[4Alain Gouzien, voir sa notice in Jean Maitron, Dictionnaire biographique..., op. cit.

[5Charles Malato, voir sa notice in Jean Maitron, Dictionnaire biographique..., op. cit.

[6Charles Malato, De la Commune à l’Anarchie, Paris, Stock, 1894, 294 p., p. 251.

[7Amédée Denéchère, voir sa notice in Jean Maitron, Dictionnaire biographique..., op. cit.

[8Guillaume Bordes, voir sa notice in Dictionnaire international des militants anarchistes en ligne à l’adresse suivante : http://militants-anarchistes.info/.

[9Gustave Faliès ou Falliès, voir sa notice in Dictionnaire international…, op. cit.

[10P. Po. B.A./73. Voir la notice de Druelle, in Jean Maitron, Dictionnaire biographique..., op. cit.

[11Jean Grave, Quarante ans de propagande anarchiste, Paris, Flammarion, 1973, 608 p.

[12Louise Michel, Histoire de ma vie, Presses Universitaires de Lyon, 2000, 177 p. Voir sa notice in Jean Maitron, Dictionnaire biographique..., op. cit.

[13Charles Malato, De la Commune à l’Anarchie, Paris, op. cit.

[14Victor Serge, Mémoires d’un Révolutionnaire : 1901-1941, Paris, Le Seuil, 1951, 416 p. voir sa notice in Jean Maitron, Dictionnaire biographique..., op. cit.

[15Alexandre Zévaès, Sur l’écran politique. Ombres et silhouettes. Notes, mémoires et souvenirs, Paris, Impr. Dubois et Bauer, Edition Georges Anquetil, 1928, 359 p. Voir sa notice in Jean Maitron, Dictionnaire biographique..., op. cit.

[16L. Andrieux, Souvenirs d’un préfet de police, Paris, J. Rouff, 1885, 2 volumes, 356 et 304 p.

[17E. Raynaud, Souvenirs d’un commissaire de police au temps de Ravachol, Paris, Payot, 1923, 2 volumes.

[18René Bianco, Répertoire des périodiques anarchistes de langue française : un siècle de presse anarchiste d’expression française, 1880-1983, Aix-Marseille, 1987, thèse mise en ligne sur internet à l’adresse suivante : http://bianco.ficedl.info/.

[19Max Nettlau, Bibliographie de l’anarchie. Préface d’Elisée Reclus, New York, B. Franklin, 1968, XII-294 p.

[20Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste en France, Paris, F. Maspero, 1975, tome 2, p. 439 p., p.209 sqq.

[21Vivien Bouhey, Les Anarchistes contre la République de 1880 à 1914. Radiographie du mouvement anarchiste français. Contribution à l’histoire des réseaux sous la Troisième République, sous la dir. de Ph. Levillain, Université Paris X, 2006, 1337 p. La partie « Annexes, Bibliographie, Sources » est en ligne sur le site Raforum : https://archives.cira-marseille.info/theses//spip.php?rubrique59.

[22Jean Maitron, Dictionnaire biographique…, op. cit.

[23Dictionnaire international…, op. cit.

[24Olivier Delous, Les Anarchistes à Paris et en Banlieue (1880-1914). Représentation et sociologie, mémoire de maîtrise d’histoire, Paris, Panthéon-Sorbonne, 1996, 287 p.

[25Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste en France, Paris, F. Maspero, 1975, tome 1, 485 p., p. 141.

[26Louise Michel, op. cit.

[27Jean Grave, op. cit.

[28Charles Malato, op. cit.

[29Emile Pouget, voir sa notice in Jean Maitron, Dictionnaire biographique…, op. cit.

[30Pierre Kropotkine, voir sa notice in Jean Maitron, Dictionnaire biographique ..., op. cit.

[31P. Po. B.A./78.

[32Vivien Bouhey, Les Anarchistes contre la République de 1880 à 1914. Radiographie du mouvement anarchiste français…, op. cit. p. 26 sqq.

[33Voir notamment Vivien Bouhey, « Le mouvement anarchiste à travers les sources policières de 1880 à 1894 », https://archives.cira-marseille.info/raforum/spip.php?article6176, mars 2011.

[34Joseph Tortelier, voir sa notice in Jean Maitron, Dictionnaire biographique ..., op. cit.

[35Sébastien Faure, voir sa notice in Jean Maitron, Dictionnaire biographique ..., op. cit.

[36Charles Malato, op. cit., p. 265 sqq.

[37Jean Grave, op. cit., p. 58.

[38Clément Duval, voir sa notice in Jean Maitron, Dictionnaire biographique ..., op. cit.

[39Pini, voir sa notice in Jean Maitron, Dictionnaire biographique ..., op. cit.

[40François Koenigstein, voir sa notice in Jean Maitron, Dictionnaire biographique ..., op. cit.

[41Vivien Bouhey, Les Anarchistes contre la République, op. cit., p.80 sqq.

[42Emile Henry, voir sa notice in Jean Maitron, Dictionnaire biographique ..., op. cit.

[43John Merriman, Dynamite Club. L’invention du terrorisme à Paris, traduit de l’anglais par Emmanuel Lyasse, 2009, Tallandier, 256 p.

[44Marianne Enckell (Marianne Enckell, « Compte rendu de Vivien Bouhey », Le Mouvement Social en ligne : http://mouvement-social.univ-paris1.fr/document/php?id=1488.

[45L’expression : « personnalités tapageuses » est celle d’un indicateur de police en novembre 1891 (P. Po B.A/77, rapport du 5 novembre 1891).

[46P. Po. B.A./74.

[47Emile Méreaux, voir sa notice in le Dictionnaire international…, op. cit.

[48Charles Malato, op. cit., p. 258.

[49Antoine Rieffel, voir sa notice in Jean Maitron, Dictionnaire biographique ..., op. cit.

[50P. Po. B.A./73, rapport du 10 décembre 1883.

[51Charles Gallo, voir sa notice in Jean Maitron, Dictionnaire biographique ..., op. cit.

[52La Gazette des Tribunaux du 15 juillet 1886.

[53Pierre Kropotkine, La Morale anarchiste. La Loi et l’Autorité, septembre 2008, éd. l’Escalier,112 p., p. 62.

[54Vivien Bouhey, « La morale des révoltés à travers le journal anarchiste de Jean Grave (Le Révolté puis La Révolte) à la fin du XIXe siècle », in Sébastien Hallade (dir.), Morales en révolutions, à paraître.

[55Charles Malato, op. cit., p. 253.

[56Cité par Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste…, op. cit., tome 1, p. 145.

[57Le Révolté, n°41 paru la semaine du 24 janvier au 4 février 1887, « Le procès Duval ».

[58Vivien Bouhey, « La morale des révoltés... », op. cit.

[59Charles Malato, op. cit., p. 253.

[60Ibid., p. 251.

[61Alexandre Tennevin, voir sa notice in Jean Maitron, Dictionnaire biographique ..., op. cit.

[62P. Po. B.A. /76.

[63Druelle, voir sa notice in Jean Maitron, Dictionnaire biographique ..., op. cit.

[64P. Po. BA/73.

[65P. Po. BA/79, rapport du 6 novembre 1894.

[66Emile Henry, voir sa notice in Jean Maitron, Dictionnaire biographique ..., op. cit.

[67John Merriman, op. cit.

[68Elisée Reclus, voir la notice in Jean Maitron, Dictionnaire biographique..., op. cit.

[69P. Po. B.A./76, rapport du 15 novembre 1889.

[70P. Po. B.A ./77, rapport du 1er septembre 1891.

[71Voir par exemple Paul Henri Bourrelier, « L’empreinte politique de Fénéon sur la Revue Blanche », http://revueblanche.over-blog.com/article-31553479.html ou Justin Moisan, « Quand l’édition devient terroriste : solidarité intellectuelle chez Jean Grave et Octave Mirbeau à la fin du XIXe siècle en France » in Mémoires du livre/Studies in Book Culture, volume 3, numéro 1, automne 2011, http://www.erudit.org/revue/memoires/2011/v3/n1/1007575ar.html?vue=resume.

[72La Revue Libertaire, 1er-15 janvier 1894 (https://archives.cira-marseille.info/theses//spip.php?rubrique17).

[73Vivien Bouhey, Les Anarchistes contre la République, op. cit., p.80 sqq.

[74P. Po. B.A./75, rapport de décembre 1887, article 5 des statuts.

[75P. Po. B.A./75, rapport sur « L’Organisation des forces socialistes révolutionnaires à Paris » daté de la fin de décembre 1887.

[76Vivien Bouhey, « Les réseaux anarchistes à la fin du XIXe siècle. Courte tentative de caractérisation », https://archives.cira-marseille.info/raforum/spip.php?article5988&lang=en

[77Nous entendrons par groupement importants les groupes dont les militants sont les plus actifs.

[78P. Po. B.A./75, rapport sur « L’Organisation des forces socialistes révolutionnaires à Paris » daté de la fin de décembre 1887.

[79 Ibid.

[80Vivien Bouhey, « L’antiparlementarisme des anarchistes à la fin du XIXe siècle, plus précisément au moment du scandale de Panama » https://archives.cira-marseille.info/raforum/spip.php?article6603&lang=en.

[81Ibid.

[82La Gazette des Tribunaux du 27 avril 1892.

[83Voir sur ce point les rapports conservés en P. Po. B.A./74.

[84Louis Duprat, voir la notice in Jean Maitron, Dictionnaire biographique...op. cit.

[85Emile Pouget, voir la notice in Jean Maitron, Dictionnaire biographique...op. cit.

[86P. Po. B.A ./1502, rapport du 8 octobre 1882.

[87Jean Grave, op. cit., p. 210.

[88Vivien Bouhey, [Les Anarchistes contre la République, op. cit., p. 227.

[89Jean Grave, op. cit., p. 211.

[90Charles Malato, op. cit., p. 265.

[91Emile Digeon, voir sa notice in Jean Maitron, Dictionnaire biographique...op. cit.

[92P. Po. B.A./73, rapport du 18 septembre 1884.

[93P. Po. B.A./74, rapport du 9 mars 1886. Probablement J. Gallais, dont le nom apparaît dans deux notices de périodique (Terre et Liberté et le Ca Ira) in René Bianco, Répertoire des périodiques anarchistes de langue française… op. cit.

[94Vivien Bouhey, Les Anarchistes contre la République, op. cit., p. 42.

[95Jean Grave, op. cit., p. 210.

[96P. Po. B.A./77, rapport du 13 juin 1891.

[97Simon Luck et Irène Pereira, « L’impératif délibératif dans les organisations anarchistes, des principes aux expérimentations », http://www.participation-etdemocratie.fr/sites/default/files/luck__pereira.pdf.

[98Ibid.

[99Ibid.

[100Ibid.

[101Casimir Pennelier, voir sa notice in le Dictionnaire international..., op. cit.

[102Sébastien Faure, voir la notice in Jean Maitron, Dictionnaire biographique..., op. cit.

[103Sur le nombre des compagnons et sur les structures du mouvement au cours des années 1880, voir Vivien Bouhey, Les Anarchistes contre la République, op. cit., p. 23 sqq.

[104Voir supra.

[105Ce tableau synthétise un certain nombre d’informations provenant de sources policières et anarchistes en 1887, ainsi que des outils de travail signalés ci-dessus.

[106Emile Bidault, voir sa notice in Jean Maitron, Dictionnaire biographique..., op. cit.

[107Jean Couchot, voir l’annexe 56 de la partie « Annexes, Bibliographie, Sources » de notre thèse en ligne sur le site Raforum : https://archives.cira-marseille.info/theses//spip.php?rubrique59.

[108Diamisis, Ibid.

[109Louis Duprat, Emile Bidault, voir sa notice in Jean Maitron, Dictionnaire biographique..., op. cit.

[110Guillet, voir l’annexe 56…, op. cit.

[111Guyart, Ibid.

[112Octave Jahn, voir sa notice in Jean Maitron, Dictionnaire biographique..., op. cit.

[113Lucien et Charles Laurens, voir l’annexe 56…, op. cit.

[114Jean-Baptiste Louiche, voir sa notice in le Dictionnaire international…, op. cit.

[115Lucas, voir l’annexe 56…, op. cit.

[116Moreau, Ibid.

[117Adrien Moucheraud, voir sa notice in le Dictionnaire international…, op. cit.

[118Etienne Murjas, voir sa notice in Jean Maitron, Dictionnaire biographique..., op. cit.

[119Ferdinand Niquet, voir sa notice in le Dictionnaire international…, op. cit.

[120Albert Sureau, voir l’annexe 56, op. cit.

[121Thomas, Ibid.

[122P. Po. B.A./76, rapport d’un indicateur en date du 13 mai 1890.

[123Constance Bantman, Anarchismes et anarchistes en Grande-Bretagne, 1880-1914 : échanges, représentations, transferts, thèse sous la direction de François Poirier, 2007, Paris XIII, 728 p., p. 276.

[124Vivien Bouhey, Les Anarchistes contre la République, op. cit., p. 96 sqq.

[125Sur la définition de « centre » et de « périphérie », voir Vivien Bouhey, « Y a-t-il eu un complot anarchiste contre la République française à la fin du XIXe siècle ? », sur le site Raforum (https://archives.cira-marseille.info/raforum/spip.php?article5632), et, légèrement modifié, dans la rubrique « Débats historiographiques » du Mouvement Social en ligne (http://mouvement-social.univ-paris1.fr/document.php?id=1624), octobre 2009-mars 2010.

[126François Monod, voir sa notice in Jean Maitron, Dictionnaire biographique..., op. cit.

[127Pierre Martin, Ibid.

[128Victor Richard, voir sa notice in le Dictionnaire international…, op. cit.

[129Constance Bantman, op. cit., p. 260.

[130P. Po. B.A./76, Rapports d’août 1891.

[131Charles Malato, op. cit., p. 265.

[132Charles Sourisseau, voir sa notice in Jean Maitron, Dictionnaire biographique..., op. cit.

[133Louis Letellier, voir sa notice in le Dictionnaire international..., op. cit.

[134P. Po. B.A./79, rapport du 6 novembre 1894.

[135Emile Spagannel, voir l’annexe 56 de la partie « Annexes, Bibliographie, Sources » de notre thèse en ligne sur le site Raforum : https://archives.cira-marseille.info/theses//spip.php?rubrique59.

[136Constance Bantman, op. cit., p. 317.

[137Ibid.

[138Ibid., p. 249 sqq.

[139Guillaume Davranche, « Pelloutier, Pouget, Hamon, Lazare et le retour de l’anarchisme au socialisme (1893-1900) », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 110 | 2009, mis en ligne le 01 octobre 2012, consulté le 19 janvier 2013. URL : http://chrhc.revues.org/1998

[140Sur le sens que nous donnons au mot « organisation », voir Vivien Bouhey, « A propos de mon livre Les Anarchistes contre la République, 1880-1914. Réponse à Romain Ducoulombier », https://archives.cira-marseille.info/raforum/spip.php?article5442, mai 2009.