Chapitre VI : Le pouvoir. c’est l’ennemi

BELLEGARRIGUE, Anselme (né le 23 mars 1813 à Montfort (dép. du Gers, France - 189.? )

" Il n’y a pas un journal en France qui ne couve un parti, il n’y a pas
de parti qui n’aspire au pouvoir, il n’y a pas de pouvoir qui ne soit l’ennemi
du Peuple. "

Chapitres précédents
Chapitre I : L’anarchie, c’est l’ordre
Chapitre II : Que la raison collective traditionnelle est une fiction
Chapitre III : Que le dogme individualiste est le seul
dogme fraternel

Chapitre IV : Que le contrat social est une monstruosité
Chapitre V : De l’attitude des partis et de leurs journaux

Il n’y a pas un journal en France qui ne couve un parti, il n’y a pas
de parti qui n’aspire au pouvoir, il n’y a pas de pouvoir qui ne soit l’ennemi
du Peuple.

Il n’y a pas de journal qui ne couve un parti, car il n’y a pas de journal
qui s’élève à ce degré de dignité populaire,
où trône le dédain calme et suprême de la souveraineté ; le Peuple est impassible comme le droit, fier comme la force, noble comme
la liberté, les partis sont turbulents comme l’erreur, hargneux
comme l’impuissance, vils comme le servilisme.

Il n’y a pas de parti qui n’aspire au pouvoir, car un parti est essentiellement
politique et se forme, par conséquent, de l’essence même du
pouvoir, source de toute politique. Que Si un parti Cessait d’être
politique, il cesserait d’être un parti et rentrerait dans le peuple,
c’est-à-dire dans l’ordre des intérêts, de la production,
de l’industrie et des affaires.

Il n’y a pas de pouvoir qui ne soit l’ennemi du peuple, car quelles
que soient les conditions dans lesquelles il se trouve placé, quel
que soit l’homme qui en est investi, de quelque nom qu’on l’appelle, le
pouvoir est toujours le pouvoir, c’est-à-dire le signe irréfragable
de l’abdication de la souveraineté du peuple ; la consécration
d’une maîtrise suprême.

Or, le maître, c’est l’ennemi.

La Fontaine l’a dit avant moi.

Le pouvoir, c’est l’ennemi dans l’ordre social et dans l’ordre politique.

- Dans l’ordre social :

Car l’industrie agricole, la mère nourricière de toutes
les industries nationales, est écrasée par l’impôt
dont la frappe le pouvoir et dévorée par l’usure issue fatalement
du monopole financier, dont le pouvoir garantit l’exercice à ses
disciples ou agents ;

Car le travail, c’est-à-dire l’intelligence, est confisquépar le pouvoir, aidé de ses baïonnettes, au profit du capital,
élément brut et stupide en soi, qui serait logiquement le
levier de l’industrie Si le pouvoir ne faisait point obstacle àleur mutuelle association, qui n’en est que l’éteignoir, grâce
au pouvoir qui le sépare d’elle, qui ne paie qu’à demi et
qui, s’il ne paie pas du tout, a, pour son usage, des lois et des tribunaux,
d’institution gouvernementale disposée à ajourner àplusieurs années la satisfaction de l’appétit du travailleur
lésé ;

Car le commerce, muselé par le monopole des banques, dont le
pouvoir a la clé, et garrotté par le nœud coulant d’une réglementation
turpide, dont le pouvoir tient le bout, peut, en vertu d’une contradiction
qui serait un certificat d’idiotisme Si elle existait ailleurs que chez
le peuple le plus spirituel de la terre, s’enrichir frauduleusement sur
le chef indirect des femmes et des enfants, pendant qu’il lui est interdit
de se ruiner sous peine d’infamie ;

Car l’enseignement est écourté, ciselé, rognéet réduit aux étroites dimensions du moule confectionnéà cet effet par le pouvoir, de telle sorte que toute intelligence
qui n’a pas été poinçonnée par le pouvoir est
absolument comme Si elle n’était pas ;

Car celui-là précisément paie, au moyen de le pouvoir,
le temple, l’église et la synagogue, qui ne va ni au temple, ni
à l’église, ni à la synagogue ;

Car, pour tout dire en peu de mots, celui-là est criminel qui
entend, voit, parle, écrit, sent, pense, agit autrement qu’il ne
lui est enjoint par le pouvoir d’entendre, de voir, de parler, d’écrire,
de sentir, de penser, d’agir.

- Dans l’ordre politique :

Car les partis n’existent et n’ensanglantent le pays que par et pour
le pouvoir.

Ce n’est pas le jacobinisme que craignent les légitimistes, les
orléanistes, les bonapartistes, les modérés,c’est
le pouvoir des jacobins ;

Ce n’est pas encore le légitimisme que guerroient les jacobins,
les orléanistes, les bonapartistes, les modérés,c’est
contre le pouvoir des légitimistes.

Et réciproquement.

Tous ces partis que vous voyez se mouvoir à la surface du pays,
comme flotte, l’écume sur une matière en ébullition,
ne se sont pas déclarée la guerre à cause de leurs
dissidences doctrinales ou de sentiment, mais bien à cause de leurs
communes aspirations au pouvoir ; si chacun de ces partis pouvait se dire
avec certitude que le pouvoir d’aucun de ses antagonistes ne pèserait
plus sur lui, l’antagonisme cesserait instantanément, comme il cessa,
le 24 février 1848, à l’époque où le peuple
ayant dévoré le pouvoir, s’étaient assimiléles partis.

Il est donc vrai qu’un parti, quel qu’il soit, n’existe et n’est craint
que parce qu’il aspire au pouvoir ; il est donc vrai que nul n’est dangereux
qui n’a pas le pouvoir ; il est vrai, par conséquent, que quiconque
a le pouvoir est tout aussitôt dangereux ; il est, par contre, surabondamment
démontré qu’il ne peut exister d’autre ennemi public que
le pouvoir.

Donc, socialement et politiquement parlant, le pouvoir, c’est l’ennemi.

Et comme j’ai prouvé plus haut qu’il n’y avait pas de parti qui
n’aspirât au pouvoir, il s’ensuit que tout parti est préméditement
l’ennemi du peuple.

Suite
Chapitre VII : Que le peuple ne fait que perdre son temps et prolonger ses souffrances en épousant les querelles des gouvernements et des partis
Chapitre VIII : Que le peuple n’a rien à attendre d’aucun parti
Chapitre IX : De l’électorat politique ou suffrage universel
Chapitre X : Que l’électorat n’est et ne peut être actuellement qu’une duperie et une spoliation
Chapitre XI : Le droit d’aînesse et les lentilles du peuple français
Chapitre XII : Que ce qui fait naître n’est pas ce qui fait vivre les gouvernements
Chapitre XIII : Que démasquer la politique c’est la tuer
Conclusion