Chapitre VII : Que le peuple ne fait que perdre son temps et prolonger ses souffrances en épousant les querelles des gouvernements et des partis

BELLEGARRIGUE, Anselme (né le 23 mars 1813 à Montfort (dép. du Gers, France - 189.? )

Chapitres précédents
Chapitre I : L’anarchie, c’est l’ordre
Chapitre II : Que la raison collective traditionnelle est une fiction
Chapitre III : Que le dogme individualiste est le seul
dogme fraternel

Chapitre IV : Que le contrat social est une monstruosité
Chapitre V : De l’attitude des partis et de leurs journaux
Chapitre VI : Le pouvoir. C’est l’ennemi

C’est ainsi que s’explique l’absence de toutes les vertus populaires
dans le sein des gouvernements et des partis ; c’est ainsi que, dans ces
groupes nourris de petites haines, de misérables rancunes, de mesquines
ambitions, l’attaque est tombée dans la lâcheté et
la défense dans l’abjection.

Il faut flétrir le vieux journalisme ; il faut destituer ces
maîtres sans noblesse qui tremblent de devenir valets ; il faut renvoyer
ces valets sans fierté qui guettent le moment de se faire les maîtres.

Pour comprendre combien il est urgent de tuer le vieux journalisme,
il est nécessaire que le peuple voie clairement deux choses.

Premièrement, qu’il ne fait que négliger ses affaires
et prolonger ses souffrances en épousant la querelle des gouvernements
et des partis, en dirigeant son activité vers la politique au lieu
de l’appliquer à ses intérêts matériels.

Secondement, qu’il n’a rien à attendre d’aucun gouvernement ni
d’aucun parti.

Sauf à le démontrer ultérieurement d’une manière
plus précise, je pose en fait qu’un parti, dépouilléde cet état et de ce prestige patriotiques dont il s’environne pour
attraper les sots, n’est tout simplement qu’un assemblage d’ambitieux vulgaires,
faisant la chasse aux emplois. Cela est si vrai que la République
n’a paru supportable aux royalistes que du moment où les fonctions
publiques ont été occupées par les royalistes qui,
j’en fais le serment, ne demanderont jamais à rétablir la
royauté si on les laisse occuper en paix tous les emplois de la
République. Cela est si vrai que les républicains n’ont trouvéle royalisme supportable que dès l’instant où, sous le nom
de République, ils l’ont géré et administré.
Cela est enfin si vrai que le parti bourgeois a fait de 1815 à 1833
la guerre aux nobles, parce que les bourgeois étaient écartés
des emplois que les nobles et les républicains ont fait de 1830
à 1848 la guerre aux bourgeois, parce que les uns et les autres
étaient écartés des emplois et que, depuis l’avènement
au pouvoir des royalistes, le grand grief des républicains contre
eux c’est qu’ils ont destitué des fonctionnaires de formation soi-disant
républicaine, avouant ainsi, avec une naïveté touchante
que, pour eux, la République est une question d’émargement.

Par la même raison qu’un parti se meut pour s’approprier les emplois
ou le pouvoir, le gouvernement, qui en est nanti, s’agite pour les conserver.
Mais comme un gouvernement se trouve, à tort ou à raison,
entouré d’un appareil de forces qui lui permet de traquer, de persécuter,
d’opprimer ceux qui veulent le dépouiller, le peuple qui, par contrecoup,
subit les mesures oppressives provoquées par l’agitation des ambitieux
et dont, d’ailleurs, la grande âme s’ouvre aux tribulations des opprimés,
suspend ses affaires, marque un point d’arrêt dans la voie progressive
qu’il parcourt, s’informe de ce qui se dit, de ce qui se fait, s’échauffe,
s’irrite et finalement prête main-forte pour aider au renversement
de l’oppresseur.

Mais le peuple ne s’étant pas battu pour lui, attendu que le
droit, comme je l’expliquerai plus loin, n’a pas, pour triompher, besoin
de combat, il a vaincu sans profit ; mis au service des ambitieux, son
bras, a poussé au pouvoir une nouvelle coterie à la place
de l’ancienne et bientôt les oppresseurs de la veille, devenant les
opprimés, le peuple qui, comme devant, reçoit encore le contrecoup
des mesures oppressives provoquées par l’agitation du parti vaincu
et dont, comme toujours, la grande âme s’ouvre aux tribulations des
victimes, suspend de nouveau ses affaires, et finit par prêter une
fois de plus main-forte aux ambitieux.

Mais, en définitive, le peuple dans ce jeu brutal et cruel, ne
fait que perdre son temps et aggraver sa situation il s’appauvrit et souffre.
Il n’avance pas d’une semelle.

Il est difficile, je l’avouerai sans répugnance, que les fractions
populaires qui sont tout sentiment, tout passion, se contiennent lorsque
l’aiguillon de la tyrannie les pique trop avant ; mais s’il est démontréque l’emportement des partis n’aboutit qu à empirer les choses,
s’il est prouvé en outre, que le mal dont le peuple a à se
plaindre lui est apporté par des groupes qui, par cela seul qu’ils
n’agissent pas comme lui, agissent contre lui, il ne reste aux partis qu’àfaire halte, au nom du peuple qu’ils oppriment, qu’ils appauvrissent, qu’ils
abrutissent et qu’ils accoutument à ne faire que se quereller. Mais
il n’y a pas à compter sur les partis. Le peuple ne doit compter
que sur lui-même.

Sans remonter fort haut dans notre histoire, en prenant seulement les
pages des deux dernières années qui viennent de s’écouler,
il est facile de voir que les lois oppressives qui ont étérendues ont toutes, pour cause première, la turbulence des partis.
Il serait long et fastidieux d’en faire ici l’énumération,
mais je dois dire, pour me conformer à l’exactitude des faits historiques,
que si, depuis février 1848, une mesure tyrannique peut être
citée qui ne s’appuie pas sur des provocations de parti, qui soit
due au bon plaisir du pouvoir, c’est celle dont M. Ledru-Rollin enjoignit,
dans ses circulaires, l’exécution à ses préfets.

Depuis cette époque, les prérogatives populaires s’en
sont allées une à une, pour avoir été découvertes
et livrées par l’impatience et l’agitation des ambitieux. Le pouvoir
ne pouvant spécialiser, la loi frappe tout le monde des coups, que
seuls, les partis devraient subir, le peuple est opprimé, la faute
n’en est qu’aux partis.

Si les partis ne sentaient pas le peuple sur leurs derrières,
si, tout au moins, le peuple, exclusivement occupé de ses intérêts
matériels, de ses industries, de son commerce, de ses affaires,
couvrait de son indifférence ou même de son mépris
cette basse stratégie qu’on appelle la politique, s’il prenait,
à l’égard de l’agitation morale, l’attitude qu’il prit le
13 juin vis-à-vis de l’agitation matérielle, les partis,
tout à coup isolés, cesseraient de s’agiter ; le sentiment
de leur impuissance glacerait leur audace ; ils sécheraient sur
pied, s’égraineraient peu à peu dans le sein du peuple, s’évanouiraient
enfin et le gouvernement qui n’existe que par l’opposition, qui ne s’alimente
que des querelles que les partis lui suscitent, qui n’a sa raison d’être
que dans les partis, qui, en un mot, ne fait depuis cinquante ans que se
défendre et qui, s’il ne se défendait plus, cesserait d’être,
le gouvernement, dis-je, pourrirait comme un corps mort ; il se dissoudrait
de lui-même, et la liberté serait fondé.

Suite
Chapitre VIII : Que le peuple n’a rien à attendre d’aucun parti
Chapitre IX : De l’électorat politique ou suffrage universel
Chapitre X : Que l’électorat n’est et ne peut être actuellement qu’une duperie et une spoliation
Chapitre XI : Le droit d’aînesse et les lentilles du peuple français
Chapitre XII : Que ce qui fait naître n’est pas ce qui fait vivre les gouvernements
Chapitre XIII : Que démasquer la politique c’est la tuer
Conclusion