Frank MINTZ

Les Tortures durant la guerre

Guerre civile en Espagne (1936-1939)

Les anarchistes auraient-ils utilisé une torture psychologique de leurs prisonniers au moyen de peintures surréalistes et d’art abstrait ? Cette accusation surprenante, fondée sur une interprétation erronée d’une pièce de procès, a été néanmoins présentée par le quotidien espagnol El Païs et reprise aussitôt par The Gardian de Londres. Une fois de plus, la presse ne mentionne les anarchistes que pour les diffamer.

Des tortures surréalistes
Un article paru dans El Païs, Madrid, du 26 janvier 2003, rédigé par l’historien d’art Jose Milicua et repris dès le lendemain par Giles Tremlett, dans The Guardian, Londres, le 27 janvier 2003 prétend avoir découvert le premier usage de l’art moderne comme forme délibérée de torture.
A l’appui, le témoignage d’un peintre anarchiste français, Alphonse Laurencic, devant un tribunal franquiste, témoignage recueilli en 1939 par un certain R L Chacon.
Au cours de la guerre civile, Laurencic aurait reçu des instructions d’un meneur anarchiste, qui aurait entendu parler de prisons similaires en d’autres lieux de l’Espagne républicaine. Ainsi, au cours de la guerre civile, des cachots auraient été construits à Barcelone et ailleurs par des anarchistes dans le but de torturer psychologiquement les prisonniers.
Les murs, ornés de lignes en trompe-l’oeil, destinés à faire perdre aux occupants le sens de la perspective, étaient également colorés en vert, couleur que l’accusé estimait susceptible de déprimer les observateurs. Les cellules, d’un mètre sur deux, étaient parsemées de briques afin d’entraver les exercices physiques des prisonniers, le lit, incliné de 20°, rendait le sommeil presque impossible, un banc de pierre faisait glisser jusqu’à terre la personne qui s’y asseyait. Certains murs étaient enduits de goudron afin de surchauffer la cellule quand le soleil dardait ses rayons. Enfin, l’éclairage était fait pour donner l’impression que les murs bougeaient et susciter le vertige.
Laurencic prétendit s’être inspiré des artistes du Bauhaus tels que Kandinsky, Klee, Itten, ainsi que du cinéaste Luis Buñuel et de son ami le peintre Salvador Dali. Ces cellules auraient été dissimulées aux journalistes étrangers ; ces prisons et centres de torture auraient été construits à Barcelone, mais aussi ailleurs, par exemple à Murcie où les prisonniers étaient condamnés à regarder l’image choquante du film de Buñuel et Dali, "Le chien andalou", où le globe oculaire est détaché avec une lame de couteau.
Un historien commente
L’article d’ El País du 26 janvier 2003 révèle une confusion mentale grave de l’auteur :
 les cellules construites par le parti communiste espagnol, avec les conseillers soviétiques, pour incarcérer les anti-communistes espagnols et étrangers, en particulier les membres de la CNT ;
 une influence des anarchistes sur ces cellules (ce qui est déjà absurde) ;
 l’impact du film de Buñuel "le chien andalous", qui aurait été projeté pour
impressioner les prisonniers [comment les fonctionnaires communistes auraient-ils perdre leur temps avec du matériel non communiste d’abord, et vieux de plus de dix ans ensuite].
Le vecteur est la personnalité zigzagante de Laurencic, affilié d’abord à la CNT en 1933, puis à l’UGT en 1936. Or l’auteur de l’article oublie complètement que l’UGT était contrôlée par le PSUC (le parti communiste catalan).

Donc la présence de la CNT, directe ou indirecte, est totalement impossible dans cette politique du parti communiste en liaison avec l’ambassade de l’URSS.

Dernier détail, visiblement le personnage dont il est question était assez fluctuant, puisqu’il a été relativement actif en parlant beaucoup devant le tribunal franquiste (donc pour avoir une condamnation plus légère).

En conclusion, seul un manque de culture historique et artistique et de connaissance de l’Espagne peut expliquer l’intérêt pour ce papier confus, sans photos de cellules, mais avec des reproduction de Buñuel et d’une couverture d’un ouvrage franquiste à partir du témoignage de Laurencic.

Frank Mintz