GRAEBER, David. "Marcel Mauss: Give It Away"
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L’anthropologie étudie les variations et complexités des sociétés humaines. Elle inclut des disciplines scientifiques qui sont diverses selon les pays. Les anthropologues américains, par exemple, se situent dans une tradition différente de celle de leurs collègues européens. Ce qu’on appelle en France "ethnologie", est généralement vu aux États-Unis comme "anthropologie culturelle". Plus récemment, les chercheurs de divers pays s’intéressent aux sociétés contemporaines, y compris aux mouvements alternatifs.
L’émergence de l’inégalité dans les sociétés premières, les formes de domination, avec leurs symboles, leurs rituels, les pratiques de déférence et de respect, mais aussi les formes de résistance au pouvoir, ont de tout temps intéressé chefs tribaux, meneurs et dirigeants de tous ordres, désireux d’assurer leur autorité. Mais ces formes sociales ont aussi été contestées depuis les temps les plus anciens. Une interrogation particulièrement nette a été exprimée en 1549 par un jeune homme de 18 ans, Étienne de La Boétie. Son ouvrage, Le Contr’un, s’étonnait que contrairement à tous les animaux, l’être humain avait renoncé à sa liberté pour se soumettre à un tyran. Commentant cet ouvrage, l’ethnologue Pierre Clastres écrivait : "Ce qui est ici désigné, c’est bien ce moment historique de la naissance de l’Histoire, cette rupture fatale qui n’aurait jamais dû se produire, cet irrationnel événement que nous autres modernes nommons de manière semblable la naissance de l’État. [1] "
C’est dès les débuts du mouvement anarchiste européen que les militants ont aussi cherché à étudier ces sociétés et, dans une certaine mesure, à en tirer des réflexions plus générales. On trouve ainsi chez le géographe Élisée Reclus des observations et des commentaires sur les peuples qu’à son époque on désignait comme "primitifs" ; ces travaux furent sans doute encouragés par l’exemple de son aîné, Élie Reclus, dont les publications sont encore aujourd’hui fort peu connues et encore moins étudiées.
Mais la réflexion des théoriciens du mouvement anarchiste est-elle applicable aux sociétés sans État ? "L’anarchie est exogène à toute communauté dite primitive ou rurale." estime Eduardo Colombo [2] De son côté, l’historien Vine Deloria (1933-2005) met en garde les ethnologues contre l’étude des Indiens dans le but d’en tirer des hypothèses théoriques généralisables à leur discipline [3].
Néanmoins, l’ouvrage de Pierre Clastres, La Société contre l’État, a suscité des questionnements et des vocations au sein des ethnologues et anthropologues. Cet écrit a joué un rôle imminent en posant la question de savoir si les sociétés sans État l’étaient par un choix conscient et volontaire ou si cette absence provenait d’un faible développement de la population. Depuis, diverses interprétations des "modèles" anarchistes sont en cours dans les diverses branches de l’anthropologie et de l’ethnologie. Il est clair que toute réflexion sur le changement social invite à réfléchir sur les formes de hiérarchie et de hétérarchie [4], de domination, d’exploitation, comme aussi sur les questions de décentralisation, de résistance, de monnaie, et plus généralement des divers aspects symboliques et concrets des sociétés humaines.
Ronald Creagh
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