Histoire

1866. Groupe autour de Bakounine (au milieu) à Naples en juin 1866.

A gauche, tenant un livre, Antonia Kwiatkowska, sa compagne. Debout derrière : Giuseppe Fanelli à sa droite, et Saverio Friscia à sa gauche.

On raconte l’histoire de l’anarchisme de beaucoup de façons. Ces présentations sont si contradictoires que, après le défilé des portraits, on ne sait plus lequel choisir.

Tout le monde a vu le carton jaune que brandissent tous ceux qui veulent nous commander : l’anarchisme, c’est la pagaille, la société sans lois, le désordre. En fait, ça veut dire : vous devez obéir à l’État, lui donner vos sous, obéir à ce qu’il décide. Les braves gens y croient.

Et les médias font la surenchère. Ils noircissent le portrait. Quand on organise une manifestation contre le système, les photographes se mettent à l’endroit où ils pensent qu’il y aura une bagarre. Le lendemain, on n’a de photos que sur ça.

Puis il y a les "scientifiques". Lorsque le mouvement anarchiste est apparu en Europe, au 19e siècle, le criminologue italien Cesare Lombroso, déclara que l’anarchiste était un criminel de naissance. Cela pouvait s’observer à la forme de son crâne, à ses tatouages, etc. Un tiers des gens qui naissaient étaient ainsi des criminels-nés, surtout dans les classes "inférieures".

Il n’y avait donc pas d’histoire de l’anarchisme, pas plus qu’il n’y a une histoire du banditisme. Mais les anarchistes répondirent en racontant leur histoire. C’est ainsi que, comme le grand historien de la Grèce antique Hérodote, un Autrichien, Max Nettlau, se mit à collectionner toutes les références, les journaux, les livres, les récits. Ainsi est née une des plus importantes collections d’archives du monde, l’Institut International d’Histoire Sociale. Il se trouve en Hollande, à Amsterdam, et conserve par exemple les écrits deKarl Marx, que Nettlau aussi avait préservés.

Depuis la fin du 20° siècle, les universitaires ont commencé à s’intéresser à l’histoire de l’anarchisme. Leurs motivations étaient diverses. Et leur présentation aussi.

Il y a donc au moins quatre manières de raconter l’histoire de l’anarchisme.

 Celle des Etats, qui y voient des barbus terroristes ; après la mort de ceux-ci, quand on les a oubliés, les services publics découvrent qu’ils étaient des héros et pas du tout des "extrêmistes." En France, par exemple, il y a près de la Tour Eiffel une avenue qui s’appelle Elisée Reclus, un géographe communard, des timbres qui représentent Louise Michel, Léo Ferré. Il y en a même surProudhon, qui avait pourtant écrit que "la propriété c’est le vol".

 Le 2° genre d’histoire est celui des médias : comme l’important, c’est le profit, on réédite leurs livres, on invente l’anarchisme "chic" des artistes bohèmes, on parle d’anarcho-capitalisme comme on dit "un jeune vieillard". Après chaque "révolution", on republie les ouvrages séditieux, quand cela se vend bien.

 Les universitaires, à leur tour, coupent les cheveux en quatre, quoique plus récemment certaines contributions ont enrichi cette réflexion. Mais la dévalorisation du marxisme a entraîné les universitaires, avec plus d’un siècle de retard, à "découvrir" l’anarchisme. Gauche et droite s’y sont intéressés, avec des objectifs différents. Puis, les années 2000 ont vu l’esprit anarchiste s’infiltrer dans des mouvements sociaux très vastes : refus d’être "récupéré", méfiance à l’égard des dirigeants, volonté de créer des lieux alternatifs, des manières de penser différentes de celles inculquées par la tradition ou par les autorités, etc. Même les ennemis acharnés des anarchistes, marxistes et socialistes de tout poil, s’efforcent de les caresser dans le sens du poil.

Fanfare du syndicat des I.W.W., Lafayette (Colorado) Etats-Unis, 1931

 Enfin, il y a l’histoire racontée par les anarchistes. Elle tombe parfois dans la légende dorée, mais c’est une mémoire collective, entretenue par les jeunes qui interrogent leurs anciens, et par des militants autodidactes qui, en pratique, ont produit environ 80% des travaux d’histoire sur l’anarchisme.

Ronald Creagh

Pour en savoir plus :

 L’histoire vue par les universitaires : recherche, méthodes et discours

 Les historiens anarchistes

 La mémoire collective des anarchistes

 Autobiographies d’anarchistes