Il faut être borné pour ne voir l’immigration que sous un seul angle. Le regard misérabiliste s’apitoye sur les conditions d’accueil, les âmes patriotiques s’intéressent aux conditions d’intégration, les visions utilitaires (ou qui se croient telles) examinent leur apport économique. Ces mille facettes, bien évidentes, ne doivent pas nous masquer que l’immigration, phénomène mondial, est aussi un mouvement autonome. Les gens votent avec leurs pieds, ils quittent une terre ingrate, une société répressive, une pauvreté endémique, pour un milieu où ils espèrent s’épanouir. C’est à cause de cette autonomie que, partout, on s’efforce de contrôler le mouvement, au départ comme à l’arrivée. Dans la France du dix-neuvième siècle, les préfets recevaient des instructions pour limiter au maximum les passeports : la nation avait besoin de chair à canon.
Saisir cette autonomie, c’est découvrir le Paris du milieu du dix-neuvième siècle où le russe Bakounine se rend en visite chez le français Proudhon qui, à son tour, rencontre l’allemand Marx. Ou encore les milieux d’exil des grandes capitales, hier et aujourd’hui, au sein desquels se fermentent des idées et des mouvements nouveaux.
L’anarchisme a très peu été étudié sous cet angle : par exemple les discussions entre Reclus et Kropotkine, Malatesta et les sud-américains. Ou encore ces milieux dont on croit avoir tout dit quand on les décrit comme "des étrangers subversifs".
Ronald Creagh