Cédric Guérin

Deuxième partie : “ Le creux de la vague ” 1960-1968

Si le mouvement et la Fédération anarchiste ont réussi au cours des années cinquante le vœu de réorganisation des anciens, ils leur restent à l’aube des années soixante à répondre à l’attente des militants et à structurer et fédérer un mouvement d’une plus grande ampleur et d’une plus grande définition et précision idéologiques. L’accueil fait à la création et aux idées des GAAR au sein de la FA montre tout le chemin qu’il reste à parcourir dans l’organisation la plus importante quantitativement. Au cours de cette période, le mouvement anarchiste se retrouve devant deux objectifs essentiels : d’une part se doter d’une définition organisationnelle précise afin de constituer un mouvement efficace et d’autre part redonner à l’anarchisme la place qu’il a perdu dans les luttes sociales. C’est pourquoi le mouvement va se caractériser par de profondes mutations, qui se caractérisent par leurs diversités : en effet, si ces mutations se font sur le plan idéologique, elles vont se manifester aussi à travers de nouvelles organisations et formations, qui se démarquent par leur méthodes d’action, de recrutement ou leur rapprochement avec certaines idéologies non libertaires.

A travers ces changements, la Fédération anarchiste va voir s’envoler ses espoirs de représentation exclusive au profit de nombreux autres groupes moins enclins à une certaine frilosité idéologique qui semble la caractériser. En outre, l’apport d’une nouvelle génération va changer les données du problème. Cette jeune génération, dans la lignée générale des générations qui vont secouer le monde dans les années soixante notamment par les mouvements “ beat ”, castriste, trotskiste ou situationniste qui remettent en question l’ordre établi, va terriblement creuser le fossé entre les tenants d’un certain anarchisme, qu’on peut qualifier de traditionnel et ceux qui veulent, à leur manière, sortir l’anarchisme de son sommeil et lui donner un visage plus actuel. Cette nouvelle génération est celle qui assurera sa place au drapeau noir lors des événements de 1968 et, à ce titre, il est particulièrement intéressant de voir en quoi elle a pu rompre ou s’allier, selon les circonstances, avec les différentes organisations anarchistes.

Cette génération, en majorité estudiantine, arrive à l’anarchisme par différents moyens ; c’est pourquoi il nous semble indispensable d’établir un lien entre celle-ci et les différents courants révolutionnaires ou pseudo-révolutionnaires de l’époque. Toujours dans cet esprit, cette période s’avère décisive pour comprendre les raisons qui ont pu pousser cette jeunesse à rompre définitivement avec le marxisme et à préfigurer la démarxisation de notre société.

C’est à travers ces enjeux que vont se dessiner les formes de pensée qui éclateront en 1968. Les années cinquante ont montré la nécessaire “ actualisation ” des théories anarchistes. Cet effort va-t-il être fait ? Si oui, quel bilan peut-on en tirer à la veille de mai 1968, au regard de la situation du mouvement en 1960 ? Enfin, on pourra se demander d’où vient le souffle novateur qui va caractériser la période. Ce sont dans un premier temps les événements qui vont guider notre étude en terme de réflexion, d’organisation, d’action et d’expériences à travers la création d’une tendance communiste libertaire ou anarchiste communiste au sien de la FA. Ce retour de l’anarchisme communisme va se matérialiser doublement dans la Fédération anarchiste et à travers les réflexions de l’équipe de Noir et Rouge. A ce retour s’ajoute la création de nouveaux groupes anarchistes d’une grande diversité qui vont matérialiser l’opposition entre anarchisme traditionnel et “ néo-anarchisme ”. De cette opposition se déterminera l’état général du mouvement avant la période agitée de Mai 1968. Tous ces éléments nous amèneront aussi à étudier le renouveau de la pensée anarchiste, de ses acteurs principaux et des mouvements qui ont pu l’influencer dans un sens ou dans l’autre.