Troisième partie : Mai 68 et ses conséquences
L’ensemble du mouvement anarchiste, à la veille de Mai, apparaît très hétéroclite. L’organisation officielle, la FA, est durement touchée par les événements du congrès de Bordeaux tandis que souffle un vent novateur, mais loin d’être uni idéologiquement, à travers les revendications des étudiants et des jeunes anarchistes. Il apparaît clairement à l’intérieur du mouvement une cassure irrémédiable. D’une part, des organisations coupées du réel, enfermées dans des structures idéologiques et organisationnelles inextricables, et qui seront incapables de faire face au déferlement des idées et des faits. D’autre part, un ensemble de militants qui lutte à contre-courant de cette tendance, qui en prend facilement le contre-pied, notamment en matière organisationnelle, et qui s’est déjà imprégné d’un certain état d’esprit. En effet, le mouvement semble une fois de plus enfermé dans des tensions idéologiques et organisationnelles. Cet état de fait, ajouté au caractère explosif des journées de Mai, explique dans une large mesure la surprise des organisations anarchistes.
Il ne sera pas ici question d’analyser les événements proprement dits. Tout juste sera-t-il intéressant de se focaliser sur les thèmes et réflexions libertaires qu’ont indéniablement provoqué l’irruption étudiante puis la contestation généralisée en France. Surtout, il s’agira de mesurer l’importance et la répercussion des événements, autant dans l’imaginaire que dans la pratique des militants. Mai va bouleverser certains aspects des théories anarchistes et de ses applications dans l’action. De ce fait, il sera utile de déceler les conséquences de cette révolte, certes, autant sur un plan idéologique que tactique, mais aussi dans le temps car les journées de mai peuvent apparaître comme un élément fondateur pour certains militants. La floraison des thèmes envisagés amène à rechercher plus de précisions sur la source originelle de ces idées. En effet, quel est l’impact des idées anarchistes telles qu’elles se sont élaborées depuis le début des années soixante ? En outre, certains caractères spécifiques des journées de révolte, en l’occurrence la spontanéité et la violence des affrontements, ne condamnent-ils pas certains courants anarchistes aux concepts moraux et éducatifs, comme l’humanisme libertaire ou la non-violence ? Enfin, il sera intéressant de savoir comment les militants, organisés ou pas, ont-ils assurer l’héritage laissé par Mai ?