Le Cercle la Boétie
Le cercle la Boétie, du nom de l’auteur du Discours de la Servitude volontaire, un des tout premiers textes libertaires, a été créé en 1959. Il présentait une tendance très nettement anarchiste. Son but était de regrouper tous les « socialistes libertaires, organisateurs communautaires, anarchistes et tous esprits indépendants des Eglises, des États et des grands groupes financiers » afin de créer les bases d’une « Fédération mondiale des peuples et des groupes d’individus ». Comme on le voit dans cette déclaration tirée de son journal, L’Ordre Libre, l’individu constituait une des bases principales du groupe. Ses membres voulaient que soit sauvegardée la personnalité propre et individuelle. Signalons que si la revue était destinée aux anarchistes, elle restait ouverte à toutes les tendances. De même, les conférences organisées par le cercle au Parking, une salle située près de la place de Brouckère, étaient accessibles à tous. Il y avait en fait derrière ce message d’ouverture une volonté de « convertir » les auditeurs à l’anarchisme.
L’organisation de ces séminaires et débats se faisait parfois en collaboration avec d’autres groupes comme Pensée et Action, la S.I.A. ou l’I.R.G. Les liens entre ces associations étaient très étroits. Dans ses communications, le cercle faisait d’ailleurs parfois référence, pour définir sa position sur l’un ou l’autre fait, à des idées émises lors de réunions de l’I.R.G., comme si tous les membres étaient au courant de ce qui se disait au sein de l’organisation non-violente. Remarquons que les lecteurs de L’Ordre Libre étaient souvent abonnés au bulletin de l’I.R.G. Certaines problématiques importantes internes à l’I.R.G., dues à l’opposition entre anarchistes et réformistes, vont d’ailleurs se résoudre ou du moins être débattues au sein du Cercle la Boétie. C’est ainsi que le conflit déjà évoqué entre Hem DAY et Hein VAN WIJK à propos de l’opportunité pour les pacifistes de prendre part aux institutions représentatives fut clôturé par un débat public au cours duquel chacun resta toutefois sur ses positions. Le groupe travailla aussi avec d’autres organes dans les milieux pacifistes. Il collabora notamment au journal L’Anti-antitoutiste pour la paix de Jack HENRIQUEZ, dont nous reparlerons par après, et s’associa à la coordination d’actions lancées par le même groupe. Ainsi, le cercle appela à la mobilisation lors de certaines manifestations pacifistes.
Un des problèmes auquel le groupe se trouva confronté fut le désintérêt des classes ouvrières. En effet, ses membres constataient à regret que les idées libertaires n’intéressaient plus à cette époque que « les intellectuels et quelques travailleurs indépendants non encore inféodés dans le pseudo-mouvement des classes moyennes ». Il s’agit d’une constante durant toute la période étudiée.
De juin 1959 à mai 1960, le groupe édita vingt numéros de son journal L’Ordre Libre, un bulletin très modeste prenant la forme de simples feuilles A4 agrafées ensemble. Un numéro exceptionnel sortit en 1965, ce qui prouve la longévité du groupe. La revue était surtout le fruit du travail de Joseph DE SMET, son éditeur responsable, secrétaire et aussi principal rédacteur. On relèvera encore la participation assez régulière de Hem DAY. En annexe de certains numéros, se trouvaient aussi des tracts du W.R.I.
L’Ordre Libre était avant tout un lieu d’échange, d’information, et de promotion de la pensée libre. Il regorgeait d’articles faisant référence à des grands penseurs anarchistes comme Domela NIEUWENHUIS, Barthélémy DE LIGT, Francisco FERRER, Rudolf ROCKER, Victor CONSIDERANT (le disciple de FOURIER), à la pensée non-violente indienne (KRISNAMURTI ou GANDHI) ainsi qu’à l’individualisme de NIETZSCHE et STIRNER. Notons que l’on retrouvait souvent traités les mêmes thèmes et les mêmes personnalités que dans la revue Pensée et Action ou, plus tard, dans Les Cahiers de Pensée et Action, ainsi que dans la bibliothèque personnelle, aujourd’hui éparpillée mais principalement conservée à la Bibliothèque Royale, de Hem DAY, grand admirateur de ces penseurs.
La revue était bien accueillie tant en Belgique qu’à l’étranger (France, Hollande, Allemagne, Angleterre, États-Unis, Uruguay ). Cela ne l’empêcha pas de connaître très tôt des problèmes financiers. L’année 1959 n’a pas amené de pertes, mais les comptes se sont soldés par un résultat nul, si bien que le cercle se trouva contraint de faire de nombreux appels aux dons pour couvrir les frais que demandait la gestion du groupe et de ses activités. Ces problèmes vont dans un premier temps être résolus par les dons, mais cette amélioration sera de courte durée. Un des principaux généreux donateurs fut E. GARCET, membre de l’I.R.G. Une fois encore, la principale cause de ces problèmes financiers était que de nombreux numéros étaient envoyés à titre publicitaire à des sympathisants potentiels ou amis. On décida de stopper cette politique, si bien qu’à partir du douzième numéro, le bulletin ne fut plus envoyé qu’aux membres en ordre de cotisation. Pour continuer néanmoins la propagande, le groupe va éditer des tracts reprenant les principales idéologies développées par le groupe, qui seront vendus à des distributeurs désireux de propager l’idéal anarchiste. En dépit de tous ces efforts, les finances ne vont pas s’améliorer. Ainsi, le bulletin devra conserver sa présentation rudimentaire pour limiter les coûts de publication, ce qui donna lieu à des plaintes de certains lecteurs. Ces remarques négatives furent peut-être l’une des causes de la suppression de la revue, qui constituait, selon son éditeur, une mauvaise façade publicitaire pour le cercle.
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