Liaisons

Comme nous l’avons déjà signalé, le groupe Liaisons est issu en grande partie de l’ancien groupe Socialisme et Liberté et de sympathisants de Liège qui étaient entrés en contact avec l’I.C.O. à la fin des années 1960. Un responsable de l’I.C.O. s’est même déplacé à Bruxelles pour assister à la première réunion du groupe. Les camarades de Liège créèrent aussi leur groupe.

A partir de décembre 1969, les groupes vont commencer à publier un périodique auquel ils donnèrent simplement le titre de Liaisons. L’éditeur responsable était Joseph DE SMET jusqu’en 1972, puis Philippe DOGUET, qui faisait partie du groupe de Liège. La gestion du journal était confiée à Jacques LEROI, qui occupait le poste d’administrateur, et à Marie-Claire GILLES , qui s’occupait de la correspondance (Philippe DOGUET s’en occupa par la suite). Il y eut vingt-sept numéros de la revue jusqu’en 1975, qui étaient en général tirés à cinq cents exemplaires. A côté de la revue, le groupe éditait parfois en « suppléments » des numéros non-numérotés, bulletins intérieurs et ce qu’on appelait Les Cahiers de Liaisons. Ces différents types de publications avaient chacun une fonction différente, même si cette distinction n’était pas toujours très claire. Il apparaît en tout cas évident que le bulletin intérieur s’adressait plutôt aux militants. Nous ne savons pas à quel prix le périodique était vendu, le montant ne figurant pas sur le journal. Nous savons seulement que l’abonnement coûtait cinquante francs, puis qu’il passa à cent francs. La périodicité n’était pas très régulière, ce qui est encore une fois dû à des problèmes financiers, mais aussi à un manque d’articles.

Le groupe s’intéressait principalement au syndicalisme et au mouvement ouvrier. Il se défendait d’ailleurs de faire rédiger sa revue par un comité de rédaction composé de « pontifes révolutionnaires ». Ses membres se voulaient en effet proches de la base et ouvraient donc leurs colonnes à tous les « groupes, comités d’action, de grève,[…] issus de la base, et qui veulent, sans être noyautés par une secte, exprimer leur point de vue, diffuser leurs informations et leurs communiqués ». Ainsi, les textes qui paraissent dans Liaisons avaient principalement un caractère informatif : renseignements sur le déroulement des grèves, sur la situation dans les usines et dans les mines, bref, informations pouvant « être utile[s] dans la lutte quotidienne ». des travailleurs.

Liaisons constituait avant tout un lieu de contact entre les individus ou les groupes, au sein duquel ceux-ci pouvaient rapprocher leurs expériences et donc gagner en efficacité. Soulignons que l’ambition de Liaisons n’était pas de devenir un lieu d’activisme ou d’intellectualisme. Leur projet initial était de centrer leur publication sur l’information ouvrière, en mettant l’accent sur l’autonomie des luttes qui se déroulaient sur les lieux de production. Ainsi, le groupe (et sa revue) prenait pour base de discussion un texte dont le titre n’était autre que la célèbre phrase de Marx « L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ». Selon eux en effet, la révolution ne pouvait venir que d’un mouvement révolutionnaire prolétarien. Les autres catégories socio-économiques et leurs mouvements de révolte n’auraient dans ce cadre qu’un rôle d’appoint minime, proportionnel à leur niveau d’exploitation par le capitalisme. Le groupe portait de grands espoirs dans la notion d’autogestion et les conseils ouvriers, émanation directe du pouvoir ouvrier. Les organisations traditionnelles de la classe ouvrière, c’est-à-dire les partis et syndicats, faisaient au contraire l’objet d’un certain mépris : les membres de Liaisons y voyaient des éléments de stabilisation et de conservation du régime d’exploitation. Ainsi affirmaient-ils : Ces « soi-disant partis et avant-gardes révolutionnaires, qui se prétendent seuls détenteurs de la conscience de classe et de la voie vers la révolution, [..] reproduisent la distinction traditionnelle entre dirigeants et dirigés, [et] ne peuvent aboutir au maximum qu’à une nouvelle situation de domination et d’exploitation ne modifiant en rien les rapports de production ». Sur ce thème, Liaisons publia de nombreux « articles de combat, des analyses de situations et des études théoriques » dénonçant les méfaits de l’économie capitaliste et des bureaucraties syndicales. Face à cette inefficacité des moyens de lutte traditionnels, les conseils ouvriers présenteraient à leur avis l’avantage d’être sous le contrôle immédiat et permanent de l’ensemble des travailleurs. A la lecture de ces principes directeurs, on comprend que l’idéal du groupe semble laisser une place à l’anarcho-syndicalisme. Liaisons publia d’ailleurs en 1970 un texte en espagnol sur les bases du syndicalisme révolutionnaire de la C.N.T. ».

Le groupe Liaisons, dont on a expliqué les liens avec l’I.C.O. et la part active que ses membres ont prise dans la réunion de délégués de groupes européens en 1969 , va vouloir lui aussi, dès février 1970 , lancer un nouveau bulletin à ambition internationaliste. Cela aboutira à la création de la revue Liaisons Internationales. Son but était d’établir des liens entre les différents groupes qui se référaient aux luttes ouvrières à travers le monde. Dans ce cadre, le groupe essayait de mettre à la disposition de chacun les publications des autres pays. Ainsi, le journal publiait les sommaires de différentes revues proches de leur idéologie, notamment des revues françaises comme Anarchisme et non-violence, Archinoir ou Le monde libertaire.

Bientôt, de nouveaux sympathisants arrivèrent au sein du groupe, ce qui ne fut pas sans poser un certain nombre de problèmes. En effet, si dans un premier temps la principale question que se posait le groupe était l’utilité de sa revue d’information, des débats plus fondamentaux ne tardèrent pas à apparaître suite à l’arrivée de ces nouvelles personnes. On discuta notamment beaucoup du rôle que devaient jouer les minorités révolutionnaires. Un double courant se faisait jour au sein du groupe. Une partie des membres, qui venaient principalement de la capitale et qui se revendiquaient du communisme de conseil, insistait sur la nécessité d’une intervention organisée. D’autres, principalement à Liège, défendaient une conception conseilliste refusant toute intervention pratique au sein de la classe ouvrière. Pour ces derniers, Liaisons ne constituait qu’une simple « boîte aux lettres » au moyen de laquelle les informations sur les luttes ouvrières étaient transmises. Ils refusaient tout dirigisme, la conscience des ouvriers devant progresser spontanément. Cette conception évacuait tout engagement militant. Ce débat aboutit à la constitution au sein de Liaisons d’un groupe de tendance communiste libertaire : le Groupe du 18 février , que nous étudierons par la suite. Celui-ci sera toléré, on peut même retrouver des informations sur la revue éditée par ce groupe dans les pages de Liaisons. Cependant, comme nous le verrons, le groupe du 18 février va assez vite se désagréger, ce qui amena la tendance communiste libertaire à se réinvestir au sein de Liaisons. Cette dissolution, en février 1971, fut saluée par le groupe Liaisons de Bruxelles : ils se félicitèrent de s’être enfin débarrassés de camarades aux positions « petit bourgeois » et « spontanéistes » qui, selon eux, avaient bloqué l’action du groupe en assimilant son travail au « folklore anar, provo ou autres hippies… ». Le malaise restera cependant latent et, à l’approche des élections, un groupe Communiste Libertaire (G.C.L.), plus politique, sera créé, faisant sécession avec Liaisons.