Mise en contexte
Avant de nous pencher sur la période qui nous intéresse, il nous a semblé important de résumer en quelques lignes, surtout pour la Belgique, la situation du mouvement anarchiste pendant les années qui précèdent. Celle-ci n’était guère brillante. En effet, depuis la fin de la première guerre mondiale, le mouvement anarchiste belge connaissait une perte de vitesse importante. Cette situation était due en partie aux sentiments de désillusion envers l’Homme et, plus encore, envers le mouvement anarchiste. Celui-ci n’avait pas pu s’unir pour refuser la guerre et certains anarchistes l’avaient au contraire justifiée et exaltée ouvertement , notamment par la signature du Manifeste des Seize . De plus, la révolution russe d’octobre 1917 avait suscité l’enthousiasme auprès de certaines personnes qui rallièrent plus tard les mouvements communistes, se détachant par là de l’anarchisme .
Néanmoins, certains anarchistes belges, restés fidèles à leurs idéaux, vont se lancer dans la propagande écrite afin de lutter contre cette désaffection. En 1921, une Fédération Communiste Anarchiste Belge vit le jour. Au sein de cette fédération, il y avait initialement trois groupes : celui de Bruxelles, celui de Liège et celui du Borinage . Des personnalités anarchistes dont le nom reviendra très souvent dans ce mémoire (ERNESTAN , ADAMAS , Camille MATTART ,…) en faisaient partie. Des congrès nationaux furent organisés régulièrement par la fédération durant l’entre-deux-guerres .
Le mouvement anarchiste belge s’enrichit à cette époque de l’arrivée d’Italiens exilés pour des raisons politiques ou venus en Belgique pour y travailler. Ceux-ci sont principalement des anti-fascistes. Ils participeront activement au mouvement anarchiste . Ainsi, cinq revues anarchistes en langue italienne furent éditées à Bruxelles dans l’entre-deux-guerres, ce qui donne une bonne idée de leur importance . Certains Belges collaborèrent d’ailleurs à ces publications et parfois les éditèrent, comme par exemple Hem DAY, ERNESTAN ou Jean DE BOË . La création du Comité International de Défense Anarchiste (C.I.D.A.) en 1928 se fit d’ailleurs en collaboration avec les Italiens . Ce groupe s’est notamment battu pour dénoncer l’oppression du régime fasciste et pour faire cesser les expulsions et les extraditions dont furent victimes les immigrés politiques italiens . Plus tard, une même action sera entreprise en faveur des Espagnols . L’aide aux étrangers eut toujours une place importante dans le travail des groupes anarchistes et surtout de Hem DAY. Ce dernier, dès les années trente, accueillit pendant deux ans ASCASO et DURUTTI, deux leaders de la Fédération Anarchiste Ibérique déjà en exil . Il prêta également refuge à de nombreuses personnes vivant dans la semi-clandestinité : des anarchistes néo-malthusiens, des anti-fascistes italiens, espagnols, allemands, des juifs, des objecteurs de conscience de toutes les nationalités et ceci avant, pendant et après la deuxième guerre mondiale . Dans ce but, il avait mis en place tout un réseau d’évacuation, notamment vers l’Amérique du Sud.
Mais l’arrivée de l’occupant nazi disloqua tout, le mouvement se sépara pour longtemps. Ainsi, certains anarchistes quittèrent la Belgique pour la France, l’Angleterre ou plus loin encore. Beaucoup vivaient dans la crainte que leurs actions passées ne leur causent des ennuis et attendaient impatiemment la chute de leurs nouveaux oppresseurs. Certains anarchistes belges ou étrangers se lancèrent dans la Résistance, d’autres choisirent la collaboration. Il y eut des arrestations, des condamnations, des déportations. Les idéaux anarchistes de solidarité et de fraternité semblaient tellement loin de la réalité que certains en vinrent à en douter . Après la guerre d’Espagne, qui avait déjà rendu perplexes certains anarchistes , la deuxième guerre mondiale et son cortège d’horreurs fit des ravages dans leurs rangs. L’anarchisme mondial, plus que jamais affaibli, allait maintenant se retrouver coincé entre les deux nouveaux blocs qui se partageaient le monde, insatisfait des deux solutions proposées et incapable de faire entendre une voix alternative.