Les présupposés des particularismes et ce qu’ils impliquent. 7

La posture « radicale » tient lieu de position politique.

De cette histoire il existe une version plus hard, celle écrite et jouée par les « féministes radicales », les « hommes pro-féministes » ( appellation contrôlée et subventionnée par la Commission européenne ) et certaines tendances au sein d’un mouvement libertaire ramasse tout [1], qui font de la simple existence de leurs revendications, la preuve même de l’existence de leurs luttes, alors qu’elles n’expriment bien souvent chez ces individus qu’une posture somme toute très passagère. Le tour de force de cette tendance, qui s’exprime surtout aux États-Unis, au Québec, en Suisse et en France dans certaines villes comme Lyon et Toulouse, consiste à poser un lien étroit et indéfectible entre capitalisme et patriarcat, entre capitalisme et hétérosexualité. Cela lui permet de se lier au milieu révolutionnaire en présentant sa lutte comme anti-capitaliste au même titre que les combats anti-capitalistes plus traditionnels [2]. Et ça marche, éditorialement parlant, comme le montrent la fréquence de ces thèmes dans les revues libertaires et la pratique de la genrisation de l’orthographe. Cela conduit à une lecture à l’envers du monde qui ne fait que rajouter aux difficultés qu’a le mouvement anarchiste à se situer dans le mouvement de l’histoire et particulièrement, par rapport à tout ce qui s’est passé dans l’immédiat après 68. Bien souvent cela le conduit à épouser à froid toutes les « causes » que les mao-spontex ont enfourché à chaud au début des années 70 (VLR, Front de Libération de la Jeunesse, Tout ). A la lecture de la presse libertaire on a alors souvent l’impression d’être dans un autre monde, complètement idéologisé tout en étant déshistorisé, ce qui permet la coexistence de discours complètement contradictoires. Le dernier numéro de la revue La Griffe (n°17) en offre un bon exemple avec un premier texte d’obédience communiste libertaire (Paul Boino), qui niant toute transformation des rapports sociaux produite par la société capitalisée et négligeant apparemment une lecture attentive de la presse libertaire en langue française, nous annonce que les luttes actuelles et les préoccupations des groupes libertaires se sont recentrées sur la lutte de classes qui doit rester au centre de l’analyse et du processus révolutionnaire. Ce texte est suivi par des textes qui montrent justement le contraire avec le développement tout azimut d’un courant culturel libertaire qui intègre jusqu’aux anti-spécistes [3]. On pourrait penser que le développement actuel du syndicat CNT renforce les arguments de Boino, mais qu’elle n’est pas notre stupeur quand on lit au dernier paragraphe de l’interview des fondateurs de la CNT PTT à Lyon, syndicat qui n’est pas qu’une simple baudruche anarcho-syndicaliste, mais qui a une influence réelle et mène de dures luttes quotidiennes, que leur plus gros problème actuel serait que la CNT 69 est pour l’essentiel un syndicat d’hommes blancs ce qui ne reflète pas vraiment la composition de notre société ! (p.14).
Pour le moment, seules les quelques revues d’influence ultra-gauche ou situationnistes font front contre ce raz de marée des particularismes.
Sauf quand elles s’affirment clairement comme un choix de vie [4], ces positions s’inscrivent rarement dans la durée parce que la résistance qu’elles démontrent éventuellement par rapport à l’ancienne norme (confondue avec la domination), ne s’inscrit pas essentiellement dans une expérience sociale-historique mais uniquement dans une expérience personnelle [5]. Comment expliquer cela ? La société capitalisée présente le paradoxe d’apparaître comme entièrement sociale et en même temps d’être celle de la liberté personnelle des individus. « Les individus atomisés ont donc tendance à ne se déterminer qu’à partir de ce qui fait qu’ils sont encore quelque chose en dehors de leur existence abstraite, leurs corps et à ne créer de liens sociaux qu’à partir de ses spécificités. Par corps il faut entendre le corps physique (le sexe, l’alimentaire, la conscience d’être une simple partie de l’univers), mais aussi le corps pensé et référencé à des racines biologiques (la race, l’ethnie) » [6] .
Pourtant expérience historique et sociale et expérience personnelle ne sont pas incompatibles et participent de l’expérience globale des individus…à condition de ne pas nier justement ce social-historique, négation qui permet alors de reconstruire un système patriarcal immuable et toujours présent. Le « personnel » n’a en soi rien de critiquable, si on ne l’isole pas ou s’il n’est pas mis en avant que pour mieux le noyer dans une fusion trompeuse au sein du groupe [7]. Il est alors un élément de la critique du militantisme et particulièrement de ce militantisme au profit de « Causes » ( la cause du peuple, la cause des femmes, la cause des animaux etc.), qui toutes marquent une extériorité par rapport à l’individu militant qui épouse justement la cause de… [8]
Dans Le Monde, on lit aussi que pour l’association Aides, le PACS montre qu’on est passé d’une question de sexualité à une question sociale, ce qui n’est pas autre chose que de vouloir faire apparaître en quoi une question personnelle devient politique, même si ici le terme de social lui est préféré, vu le caractère particulièrement modéré de cette association.. C’est le propre de tous les communautarismes modernes que de faire de leurs déterminations « de genre », de religion une question sociale. C’est ce qui leur permet d’assurer leur identification à une appartenance. La discrimination individuelle de départ est à l’arrivée remplacée par l’égalité du groupe. Les pairs remplacent les pères. Le groupe en question doit s’isoler des autres groupes et surtout de la société conçue comme la chose des dominants. Conséquence pratique l’éclosion des groupes « non mixtes ».

[1Nous le disons là un peu crûment mais Deleuze l’habille plus élégamment dans Pourparlers, Minuit, quand il développe l’idée, positive pour lui, d’un anarchisme comme unité du multiple qui doit donc retrouver sa force dans ce mouvement du multiple alors qu’il s’est dissout dans le modèle politique très vague de l’absence d’État.

[2Cf le n° 12 de la revue La Griffe consacré aux « rapports sociaux de sexes ».

[3Cf. ma critique dans le texte « L’identité libertaire : une drôle de conception du renouveau" dans le n°15 de la revue La Griffe, pages 5 à 8 et reprise ici dans la seconde partie du présent ouvrage.

[4Là encore nous n’échappons pas à l’ambiguïté de donner l’impression qu’il peut y avoir un véritable choix. Par exemple aujourd’hui, les pratiques homosexuelles sont présentées souvent comme une variable comportementale comme une autre. La légitimité nouvelle acquise par cette pratique ou ce mode de vie, auprès de l’État, entraîne une exhibition contente de soi et prête à concurrencer n’importe quelle autre pratique dans le cadre de « la lutte des places ». On vient encore d’en avoir un exemple en Italie où le même jour devait se dérouler une Gay Pride internationale et un rassemblement papiste. Cruel dilemme en vérité pour la municipalité concernée ! Mais il n’ y a pas que l’État et ses ramifications qui sont touchés, puisque comme nous le dit le journal Le Monde du 14/03/2000, les grandes entreprises américaines des secteurs high tech se lancent dans un recrutement spécifique de cadres supérieurs homosexuels !
Ce qui est oublié là-dedans c’est que l’homosexualité est une prédétermination sociale. S’il y a bien une pulsion homosexuelle à tendance universelle, ce que Freud a difficilement reconnu, la préférence sexuelle ne l’est pas.
Toute remarque là-dessus risque aujourd’hui de déboucher sur l’accusation d’homophobie comme le « pauvre » Docteur Bounan a pu s’en apercevoir avec son livre Le temps du Sida. Et puisque l’homosexualité n’est plus un « crime contre nature », ni une maladie (c’est la faute à la nature disait déjà Aznavour dans sa célèbre chanson, donc c’est la faute à personne, reprenant sûrement involontairement la position du célèbre sexologue Havelock Ellis), cela ne peut relever que d’un choix comportemental individuel ou du fameux gène disent les militants homosexuels. Conclusion : c’est l’homophobe qui est malade et qui serait le seul atteint par la misère sociale et sexuelle produite par l’aliénation dans les rapports sociaux actuels. Pour certains il s’agira même de rechercher les racines de cette homophobie dans la structure familiale dominée par une violence qui serait inhérente à la masculinité (cf. Violence et masculinité de D. Weltzer-Lang. Publications…). Accessoirement cela permet de faire le lien avec la lutte anti-patriarcale

[5« J’ai été battu par mon père dans mon enfance, donc j’ai compris ce qu’était le patriarcat et le machisme, donc… ». Ce que cette litanie peut avoir de lassant et de peu politique a déjà été décrit il y a près de 30 ans.
« Une fois que tu avais fait ton trajet personnel, il fallait que tu déblatères à nouveau ton histoire. Il y a toute une partie du discours qui ne supporte pas la répétition. Ca devenait un mouvement de faussaires. La parole sur ton vécu ne se transmet pas comme un discours politique (Corrine Wegler :« Je suis une affreuse renégate », dans Le Temps des femmes n°12. Mais comment en tirer des leçons quand, justement, toute dimension historique est niée ?

[6J. L. Rocca : « La politique contre la morale » Temps Critiques n°10, pp. 35-36.

[7« Nous nous faisons peur ! Nous nous épions ! Nous nous traquons ! Nous nous piégeons ! (…) Je revendique aussi le droit de me tromper, de dire des conneries, et de ne pas être, pour autant, JUGEE, JAUGEE, EVALUEE, mais AIDEE , COMPRISE, même et surtout avec mes lacunes » (Mes petites sœurs du MLF j’en ai marre de me faire chier la peau avec vous ! ! ! dans Le torchon brûle, n°6. Aujourd’hui l’histoire se répète en farce, comme d’habitude quand on peut voir une brochure d’avril 2000 éditée par Madivine, avec des photos de femmes Blacks Panthers sur la 4° de couverture et qu’on peut y lire que cette brochure entend dénoncer le racisme dans les mouvements gays et lesbiens. Moralité, on est toujours le dominant de quelqu’un. A qui le tour ?

[8Dans "Notes sur une théorie de l’identité", page 130 de son ouvrage Odyssée d’une amazone, des Femmes, Ti-Grace Atkinson fait le constat : « Si l’association politique se forme autour du problème de l’oppression, il va de soi que dans une association de cette sorte, la nature de l’individu doit temporairement s’effacer. Et ce, chez des êtres dont la nature est déjà en état de privation (…). Nous croyons beaucoup plus raisonnable de suggérer que, l’identité personnelle étant souhaitable, les individus qui en sont privés s’unissent dans une confédération pour lutter en tant qu’individus, contre l’association politique qui les prive de leur identité individuelle. Le Mouvement des Femmes marche précisément dans le sens opposé (…). On vise à l’identité collective, qui est une contradiction si on prétend l’appliquer aux individus. Comment l’individu dont on nie l’identité individuelle (justement parce qu’on le classe et que cette classification même est une restriction) pourrait-il atteindre un sens plus défini d’individualité en se soumettant à la classification même qui l’en prive ? ». Hormis le langage en terme d’identité, on ne peut que souscrire à la démonstration.