Les présupposés des particularismes et ce qu’ils impliquent. 5

Le personnel en tant que substitut du politique.

féminismepsychanalyse

Naturalisme et psychologie : une association pour le pire !

Si on applique ce modèle critique aux théories féministes, on s’aperçoit justement que le patriarcat a fonctionné comme sous-système de différents rapports sociaux et qu’il s’appuyait sur un arsenal juridico-répressif, surtout à partir du moment où il a été intégré dans les régimes de régulation étatique. Or c’est cet arsenal juridico-répressif qui s’est délité progressivement, jusqu’à s’écrouler assez brusquement dans la seconde moitié du XX° siècle. Mais que nous disent nos « féministes radicales » actuelles ? Que ce patriarcat perdure dans les deux autres niveaux, symbolique/culturel et bio/psychologique et que la domination y est plus perverse puisqu’elle est masquée par une égalité formelle, par de supposés rapports affectifs etc. Sous prétexte que les rapports hommes/femmes restent problématiques, mais les rapports hommes/hommes et femmes/femmes ne le sont-ils pas tout autant ?, c’est toute spécificité historique qui se trouve niée ce qui invalide, par contre-coup, toute l’analyse. Ainsi, si les différentes sociétés, y compris les sociétés primitives, ont pu produire et s’accommoder de différents rôles et statuts de la femme, la société contemporaine est justement la seule où il n’y a, pour la femme, aucun rôle défini…et pour l’homme non plus. C’est bien ce phénomène nouveau qui produit une crise des rapports de sexes et participe d’une crise générale du système de valeurs.
On comprend mieux alors pourquoi ces mouvements autour du « personnel » veulent faire rentrer du juridique-répressif dans tous les rapports et jusque dans les chambres à coucher [1]. Ainsi puisque la domination patriarcale en tant que système n’est plus prouvable il faudra débusquer et punir toutes les pratiques des individus qui exercent concrètement cette domination. L’existence de machos sera la preuve de la pérennité du patriarcat.
La construction psychologique des genres conduit à séparer radicalement les sexes en ne les définissant que par leurs affects. La masculinité est agressive, la femme est compassion ! Pour se faire il faudra associer la « mauvaise part », la masculinité, à ses aspects pathologiques : la violence, le viol, occultant complètement premièrement le fait que l’agressivité est commune aux deux sexes, comme le montrent les chiffres sur les violences commises dans les rapports parents/enfants et deuxièmement que l’agressivité ne constitue pas seulement une pulsion destructrice mais est aussi source d’action et de création. Le procédé est quand même étonnant puisqu’il entérine un préjugé souvent dénoncé comme sexiste, le fait que les femmes seraient plus douces, plus fragiles etc. Cette naturalisation des caractères affectifs (transformés en propriétés affectives) peut aussi conduire à une « science des genres », comme il y a eu une « science prolétarienne » au temps du stalinisme. A propos d’enquêtes sociologiques sur la violence on peut avoir droit à des perles rares : « L’approche qualitative est par excellence une méthode féministe car elle fait ressortir le vécu et ressenti des femmes et nous donne cette claque que des chiffres ( la méthode quantitative des hommes on suppose ! ndlr) [2] ne peuvent donner » . L’ambiguïté du propos, volontaire ou non, laisse bien filtrer ce qui est en jeu dans le féminisme radical. Derrière le prétendu combat pour l’égalité se dessine un combat des sexes qui ne doit toujours laisser qu’un vainqueur, mais qui doit aussi prendre des formes plus détournée que celui théorisé naguère par Valérie Solanas dans Scum [3].
Ce modèle pourra être étendu à tout type de domination et toute une gradation des « crimes » pourra être établie qui désignera en fin de compte le groupe des super-salauds : celui des hommes hétérosexuels blancs chrétiens mangeurs de viande. Cette logique de tri doit être absolue pour éviter toute contamination avec ce qui ne relève quasiment plus de l’humain et désigner un ennemi clairement identifiable. Le glissement du terme féminisme au terme anti-sexisme n’est pas anodin. L’effacement du premier terme marque à la fois le déclin du Mouvement des femmes et la victoire des femmes qui sont enfin reconnues en tant que femmes, comme l’indique le discours rituel repris par le personnel politique sur « les hommes et les femmes ». L’affichage du second terme indique la montée en puissance de toutes les chiennes de garde potentielles. La problématique anti devient fondamentale comme dans l’anti-spécisme, l’anti-fascisme etc. Il ne s’agit que de prendre position dans les rapports sociaux en place, puis de défendre les positions.
C’est une façon radicale de « résoudre » les problèmes rencontrés dans les années 70 par les groupes quotidiennistes autour du journal Tout ; groupes qui se sont heurtés au fait que c’est chez les « dominés sociaux » que l’on trouve le plus de « dominants culturels » qui charrient avec eux toutes les scories dont le capital se débarrasse dans son incessant mouvement d’émancipation vis-à-vis de toute contrainte à son développement et sa reproduction. Ce « tout juridique » est d’autant plus nécessaire pour nos nouveaux censeurs que la crise du système de valeurs produit un effacement des sanctions sociales informelles et des contraintes métaphysiques ou imaginaires. Ils veulent donc paradoxalement tout et son contraire, les libérations d’un côté ( le Pacs, la propriété sur son propre corps ), la répression de l’autre ( loi sur le harcèlement sexuel, loi contre l’homophobie ). Le résultat de tout cela ne peut être qu’un accroissement général de l’ « insécurité », dans un monde où les injonctions positives de la société deviennent floues ou évanescentes et où les injonctions négatives sont fortes et incomprises, le tout dans un climat général d’hédonisme individualisé qui dissout les rôles dans de simples comportements.
Sur le constat, juste, qu’il n’y a plus actuellement de représentation possible d’un sujet historico-politique [4], ces théories fondent un individu qui n’est plus qu’un ensemble empirique d’intérêts, de motivations. Les besoins sont remplacés par le désir (les machines désirantes) [5] et c’est aussi la disparition de toute distinction entre objectivité et subjectivité. Or les désirs sont aussi des désirs sociaux car ils sont ceux d’individus forcément sociaux, riches de toutes leurs déterminations même si ces déterminations sont le produit de rapports sociaux dans l’aliénation. La révolution reste une affaire sociale/politique plus que personnelle/politique ou « bio-politique ».
C’est parce que le désir n’est pas envisagé dans son ambiguïté : il est toujours marqué des signes de l’ambivalence et de l’incomplétude, que tout est vu en termes de domination, de répression, de conditionnement externe. Tout est normalisation comme le développe abondamment Foucault dans son histoire des enfermements. Il faut donc faire éclater chaque lieu de cet enfermement et libérer des désirs qui par essence ou parce qu’ils sont réprimés, sont définis comme bons. Ce relativisme qui exprime une critique vis-à-vis de l’universalisme, assimilé à la norme de la classe dominante, à la norme de l’Occident dominant va profondément marquer les pays qui ont connu un gauchisme politique faible (États-Unis) ou inexistant (Suisse, Pays Bas) et dont la contestation des années 60 a revêtu des caractéristiques essentiellement culturelles. C’est d’eux que partiront les diverses expressions de ce qu’on peut appeler les nouveaux particularismes.

[1Au train où vont les choses les futurs détectives privés auront bientôt à constater les « viols maritaux », comme leurs prédécesseurs ont eu à constater les adultères. Le fait que le plaignant ne soit plus du même sexe rendra-t-il la chose moins sordide ?

[2Revue La Griffe, n°12, article de Léo Vidal p.18. A noter que notre auteur ne parle pas de méthode féminine, mais bien de méthode féministe ! Le nouveau féminisme s’appuierait donc sur les qualités de la féminité pour s’affirmer, tout en dénonçant la différence des sexes comme entreprise de genrisation par le système patriarcal ! A trop vouloir prouver…

[3Society for cutting up Men, première traduction française dans la revue Actuel en 1971. Une seconde dans L’Unique et son ombre.

[4Renaut et Ferry dans La pensée 68, n’y comprenant rien de rien, reprocheront à Deleuze, Foucault et autres d’avoir théorisé cette mort du sujet et produit un anti-humanisme, un anti-démocratisme à la suite de Nietzsche et Heidegger. C’est une interprétation bien intéressée de bons démocrates qui occulte complètement l’effort théorique de ces auteurs-militants pour penser les limites de la dialectique et essayer de dépasser les apories d’une contradiction pensée en fait comme une opposition entre essence et représentation. Que l’entreprise soit risquée et produise erreurs ou dérives n’enlève rien au courage de l’entreprise.

[5On a déjà eu l’exemple historique d’une polémique autour de l’éclatement du sujet et du corps dans le conflit qui a opposé Bataille (l’éclatement) et Breton (l’unité).