BOIREAU-ROUILLÉ, Monique. "Les li-li, les bo-bo et Kropotkine"

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Loin d’être une idée abstraite, un principe transcendant donné a priori, un principe existant parce que « proclamé » lors de la Déclaration des droits en 1789, la liberté apparaît comme intrinsèquement liée à la lutte (pour sa conquête, individuelle et collective), d’une part, et, d’autre part, la liberté ne prend sens que dans un contexte intellectuel (et historique) qui la lie à d’autres valeurs, l’égalité, la justice.

Au chapitre des trouvailles journalistiques contemporaines, une nouvelle catégorie est apparue : les « li-li » (libertaires-libéraux), qui peuvent au choix s’identifier ou s’opposer aux « bo-bo » (selon que l’on entend : bourgeois-bohème ou bonaparto-bolchevique). Cette récente découverte pourrait nous laisser indifférents. Mais cette variante contemporaine de l’idéologie libérale se qualifie de libertaire, et elle nous invite donc à une mise au point sur la notion de liberté dont il est question pour elle et pour nous.
« À partir des années 1879-1880, la plupart des compagnons se déclarent partisans du communisme anarchiste dans lequel ils voient la synthèse des deux buts poursuivis par l’humanité à travers les âges : la liberté économique et la liberté politique » (P. Kropotkine, la Conquête du pain), nous rappelle J. Maitron ; voilà de quoi rapprocher nos ancêtres et les modernes li-li !... pourrait-on ironiser !
L’idéologie des li-li ne fait pas l’objet d’une définition rigoureuse. Il semblerait s’agir plutôt d’un état d’esprit contemporain, partagé par une gauche intellectuelle bien intégrée qui, ayant pris bonne mesure de ses erreurs de jeunesse et des méfaits du monde soviétique, pense que libéralisme politique et libéralisme économique sont indissociables (ce qui ne va pas de soi, cf. le Chili de Pinochet), en y ajoutant le « libéralisme culturel » issu de Mai 1968. C’est sans doute cette dernière composante qui leur fait donner l’étiquette « libertaire », car leurs références semblent plus proches du libéralisme que du mouvement libertaire.
L’histoire nous montre que si les conceptions anarchistes de la liberté s’inscrivent dans la philosophie moderne des droits naturels construite à partir du xviie siècle et aussi dans le matérialisme philosophique des Lumières, elles prennent leurs sources dans une double dimension de l’émancipation de l’individu et de l’affranchissement des travailleurs : celle de la lutte contre l’exploitation économique et de la lutte contre la domination politique.