BOIREAU-ROUILLÉ, Monique. "La délégation de pouvoir "

<Réfractions> (Automne-hiver 2001) n° 7.

délégation de pouvoir (élections)BOIREAU-ROUILLÉ, Monique
« C’est que le pouvoir est maudit, et c’est pour cela que je suis anarchiste. »

Louise Michel, La Commune, Histoire et Souvenirs.

« Voter, c’est abdiquer. »

Elisée Reclus, Le Révolté, n° 13, octobre 1885.

« L’iniquité politique peut se résumer en un mot : gouvernement, le représentant ne se soucie que de ses propres intérêts [...], et alors ceux qui l’ont délégué cessent à leur tour d’êtres libres. »

Sébastien Faure, La Douleur universelle.

Alors, la « délégation de pouvoir » serait par nature même une idée à l’écart des conceptions anarchistes ?
Précisons les mots et les choses. Pour éviter toute confusion, il faut distinguer d’emblée délégation de pouvoir et « suffrage universel », considéré par les anarchistes comme une illusion néfaste, un droit trompeur, dépouillant l’individu-électeur de tout pouvoir.
La délégation de pouvoir quant à elle, est un principe et un mode de fonctionnement politiques qui ont pour enjeu le meilleur contrôle possible de la base sur ceux auxquels elle attribue ponctuellement la capacité de « faire en ses lieu et place » ; c’est un principe de « démocratie vraie », fondée sur le constat que, pratiquement, un collectif politique ne peut tout faire directement... mais que la liberté politique ne doit pas s’aliéner pour autant.
Elle repose sur le « mandat impératif », dans lequel les délégués, nommés par le collectif politique, sont responsables devant leur base, révocables à tout moment, et disposent d’un mandat précis, non systématiquement renouvelable. Responsabilité devant (et contrôle par) la base en sont les piliers, afin d’éviter la constitution d’un pouvoir (c’est-à-dire d’une domination) à partir de ce qui est simple exercice temporaire d’une fonction.
La délégation de pouvoir s’oppose au « principe représentatif » qui domine dans les démocraties parlementaires modernes. Le mandat représentatif, a contrario, repose sur une abdication du pouvoir de l’électeur face à l’élu, un abandon de souveraineté du peuple en faveur des représentants, qui vont « vouloir » pour lui. Le fait que les représentants soient périodiquement soumis à élection ou réélection, et qu’ils sont élus sur la base d’un programme, en théorie connu et débattu, ne corrige pas l’aspect bourgeois ou élitaire de la représentation. Cette représentation, entendue comme dépossession du pouvoir de l’électeur, au profit de l’élu, est toujours au fondement de notre démocratie parlementaire. La Constitution de la Ve République stipule dans son article 27 que « tout mandat impératif est nul ».