HELMS, Robert. "Profession : cobaye"
Rencontres de Bieuzy, 2002. "A notre santé !"
médecine — thérapieJe suis Robert Helms et j’ai été volontaire 75 fois pour des expériences médicales. Je suis un sujet normal et contrôlé, on m’a testé pour de nouvelles drogues et pour l’usage de documents déjà existants. J’ai mangé des produits chimiques pour voir s’ils étaient toxiques pour l’être humain.
Ma motivation est pour l’argent et je sais qu’il y a des volontaires pour l’aide humanitaire, mais ils ne sont qu’une minorité. Je parle de cela comme anarchiste et généralement ces deux sujets n’ont rien à voir l’un avec l’autre.
La manière dont les sujets se superposent est dans un petit magazine que j’ai créé, autopublié, où je fais des commentaires dans une perspective anarchiste, ou je traite de la condition de cobaye.
La seule manière aux États-Unis de défendre le droit des sujets humains dans l’existence médicale c’est par la presse et en créant des scandales publics. Les régulateurs du gouvernement ont très peu d’argent et de pouvoir pour contrôler ces recherches. Les licences données sont parfois révoquées et les réglements en vigueur parfois appliqués strictement, mais parfois seulement après de nombreux procès.
Les compagnies pharmaceutiques sont tellement puissantes qu’elles achètent les voix au Congrès comme on s’achète un mille-feuilles dans une pâtisserie, donc on ne peut obtenir aucune loi au congrès.
D’un autre côté, la tactique de la honte est extrêmement efficace pour protéger les cobayes, le scandale public apparaît.
Généralement le scandale n’apparaît que quand quelqu’un a été blessé ou tué dans une expérience. Presque tout dans la société américaine fait partie de l’économie de l’argent et la santé ne fait pas partie des exceptions. La protection sociale n’existe pas pour des millions de personnes aux États-Unis à moins de trouver des trucs pour s’organiser. L’éthique médicale est devenue extrêmement corrompue et les bioexpériences et philosophes professionnels discutent ces nouveaux et étranges dilemmes présentés par la science et sont très souvent devenus les apologistes des compagnies. En fait, la semaine dernière, à Philadelphie, un homme est mort après avoir eu la transplantation d’un cœur artificiel expérimental et son épouse a poursuivi en justice le bioéthiciste et non le chirurgien car c’est le bioéthiciste qui a convaincu la famille d’utiliser l’expérience.
La recherche médicale a besoin de sujets humains et sans les millions de personnes, généralement pauvres et la plupart du temps anonymes, toute l’histoire impressionnante et glorieuse de la médecine n’aurait pu avoir lieu. Le corps sain du sujet est une marchandise qui peut être vendue, car elle permet de récupérer des informations de valeur que les chercheurs vendent aux compagnies pharmaceutiques. L’argent sert à l’utilisation du corps du cobaye ; ce n’est pas un salaire mais on les appelle des volontaires payés et on leur donne un dédommagement. Pour des raisons de fiscalité, je suis comme un artisan indépendant, comme un peintre en bâtiment. Je suis censé payer mer propres impôts, ce que je ne fais jamais.
Si le sujet est malade, sa maladie est aussi une marchandise, et il peut l’échanger contre une autre, à savoir une aide médicale. Le sujet accepte le traitement en fonction d’un risque calculé pour éventuellement recevoir une aide médicale ou éventuellement un placebo qui n’a aucun effet. Si le sujet est mort son cadavre est aussi une marchandise dont l’utilisation est rarement faite publique par les compagnies de recherche. Par exemple quand les compagnies d’automobile font de la publicité sur la sécurité de leurs voitures, on voit que des mannequins jouent un rôle presque comique, qui ont un nom. En général la plupart des tests sont faits avec des cadavres parce que scientifiquement cela donne des renseignements plus intéressants.
Mon travail comme cobaye est dans une zone floue entre le travailleur normal et le patient. Aux États-Unis c’est bien cela qui me permet d’être traité un peu moins mal que les autres travailleurs américains. Cela évite que les différents chercheurs partagent les informations à mon sujet.
Une des manières grâce auxquelles on peut gagner plus d’argent, c’est en racontant des mensonges innocents. Ce serait trop long à expliquer, mais c’est très important car nous passons très rapidement d’une expérience à l’autre dès que les médicaments ont disparu de notre système et qu’on ne peut plus voir les résultats. D’après les règles des médecins nous sommes censés attendre entre trois et six mois entre les expériences. J’ai rencontré des centaines de cobayes qui travaillent sans interruption, bien que je ne le fasse plus aussi souvent.
Le genre de mensonge le plus sérieux que font les cobayes n’est rien à côté des mensonges des docteurs et des chercheurs. Tout ce que je viens de dire est totalement différent en France car le gouvernement et les lois sont totalement différents.
La hiérarchie sociale est mise en évidence quand un cobaye meurt au cours d’une expérience faite de façon bruyante. En 1999 il y a eu le cas célèbre de Jessie Jassinger. Ce fut le cas le plus célèbre des trente dernières années et on en parle encore. Le médecin en chef avait des conflits d’intérêts puisqu’il avait des millions de dollars engagés dans le résultat positif de cette expérience ; durant l’expérience il introduisit un jeune de dix-huit ans alors qu’il n’avait qu’une forme bénigne de maladie mais il accepta le nouveau traitement pour le bien des autres enfants qui avaient une forme plus grave de la maladie. Il n’aurait jamais dû être accepté, car la chimie de son corps était hors des limites prévues pour l’expérience et on lui a donné des médicaments pour le rendre acceptable.
Il y eut beaucoup d’autres erreurs et oublis faits par l’équipe médicale au moment de l’’expérience, ce qui résulta dans sa mort quelque vingt heures après qu’on lui ait donné l’injection des gênes.
Ce fut un cas très soigneusement étudié, il fut discuté au Congrès, mais le médedcin en chef ne fut que réprimandé au sein du monde médical et il n’y a eu qu’un procès civil et non pénal. Si toute autre personne qu’un docteur avait commis cela, elle aurait été poursuivi comme un crime ou pour homicide involontaire. Il est devenu un grand héros parmi les cobayes car avant de mourir Jessis a dit : le pire qui puissse m’arriver c’est que je meure et c’est pour le bien de tous ces bébés. Cela dit la différence du statut social entre un médecin et un cobaye.
Maintenant je vais parler du statut social d’un cobaye.
Le médecin est bien plus élevé qu’un citoyen dans la hiérarchie sociale, le cobaye est plus bas qu’un patient normal. L’occupation d’un patient est semblable à une prostituée puisque nous sommes payés pour faire un travail que la plupart des gens trouveraient dégoûtant à faire et parce que cela implique que mon corps soit physiquement pénétré par la personne qui me paye. Je fais ce travail parce que je suis capable de le faire et qu’il me paye mieux que je n’obtiendrais si je travaillais dans la recherche. En deux semaines, je peux aussi lire des livres et regarder la télévision, ce qui me rapporte autant que pour peindre une grande maison, ce que je fais aussi entre les expériences. C’est semblable à une prostituée qui pourrait travailler dans une usine mais cela lui prendrait tout son temps pour très peu d’argent alors qu’elle en gagne beaucoup plus et plus rapidement. Je vais décrire l’expérience type à laquelle je participe.
Je téléphone au service de recherche et leur demande les types d’expérience qu’ils vont produire. Je dois avoir un calendrier flexible et donc pas un travail régulier où je dois être tous les jours. Je vais donc à un rendez-vous de tri, on me prend des échantillons, on examine la présence de drogues illégales ou de médicaments et on vérifie que mon corps est normal.
Je suis accepté dans l’hôpital ou le labo où se passe l’expérience et on me réexamine de nouveau. La visite médicale prend toutes les informations concernant l’état de mon corps avant l’expérience. A partir de là toutes les expériences sont différentes, mais il y a chaque fois des prises de sang et de mon urine.
Certaines expériences sont plus prenantes et une fois alors que je faisais une conférence dans une université un des étudiants s’est évanoui.
Une des choses possibles que je fais pour l’expérimentation peut être tout type de test médical qu’un docteur peut imaginer. Cela inclut l’électrocardiogramme, des examens précis de mon cœur, des tubes dans mon nez et mes intestins. On peut aussi faire des saignées pour obtenir un écoulement de sang régulier et voir combien de temps cela prend de temps pour coaguler. Certaines choses sont ridicules et nous font beaucoup rire entre nous, par exemple la collection des excréments pendant deux semaines.
Au début de la 2e journée, on nous donne la médecine pour la première fois, le médecin en chef est là, le représentant de la firme pharmaceutique et d’autres personnes sont là pour vérifier que le médicament est bien ingurgité. L’infirmière prend une lampe de poche et vérifie que le médicament a bien été avalé et non mis de côté.
Généralement le jour suivant on fait des tests, des prises de sang très rapprochées dans le temps, pour voir à quelle vitesse le médicament se répand dans le sang et à quelle vitesse il est éliminé par l’organisme. Généralement après on reste longtemps avant de pouvoir manger et les repas sont très contrôlés et plus mauvais que le repas américain moyen.
Après ce premier jour chaque expérience est différente, cela peut durer un jour ou trois mois, et nous passons le temps comme nous le pouvons dans les contraintes de l’expérience, mais le problème le plus fréquent, surtout dans les longues expériences, c’est l’ennui.
Parfois il y a plusieurs études entreprises en même temps et durant cette période d’autres viennent pour des expériences plus courtes et on échange sur nos expériences. Certains entendent parler d’une expérience ailleurs qui paye mieux et il arrive qu’on abandonne l’expérience en cours pour aller à une expérience mieux payée. On échange des histoires et des idées sur la manière de court-circuiter les règles, c’est quelque chose qui n’est pas criminel, mais cela change la façon dont les docteurs peuvent lire les résultats de l’expérience.
La dernière expérience à laquelle j’ai participé et la directrice de l’expérience connaît mon magazine et l’apprécie, et m’a raconté qu’après cela les chercheurs ont fait une découverte : ils ont autorisé les cobayes à recevoir une tasse de café avec caféine par jour. A partir de ce moment, le nombre de maux de tête signalés par les cobayes avait baissé de 60%.
En fait tout le monde mentait à propos de leur consommation de café et beaucoup souffraient de phénomènes de manque dus à l’interruption de la prise régulière de caféine. Cela n’est pas le seul mensonge et montre combien la recherche médicale est truquée du fait des relations et des codes entre les docteurs et les cobayes et l’attitude des cobayes entre eux. A la fin de l’étude on nous paye et nous continuons nos humbles existences. Certains ne vivent que d’expérience en expérience et ne possèdent qu’une valise. Je ne fais pas trop d’expériences parce que ma vie ne serait pas intéressante. J’en faisais davantage mais c’était toujours à proximité de mon lieu de résidence.
Parmi les médecins il y a des héros et des méchants. Un héros fut David Hill et il fut renvoyé d’un très haut poste dans une université canadienne pour avoir critiqué les résultats de recherche pour une firme pharmaceutique. Il avait vu des résultats secrets de cette compagnie pour un médicamenet contre la dépression qui indiquait que ce médicament augmentait le nombre de suicides.
Un autre exemple de bon médecin, qui se prend pour un être humain et non un dieu, c’est Berny Ackerman. C’est un dermatologue, impliqué dans des expériences avec des prisonniers dans les années 60 à Philadelphie. Ces expériences furent dénoncées dans un grand scandale où il était impliqué comme jeune médecin et non comme responsable de l’expérience. Il y a un ou deux ans, - il a son propre magazine,- il écrivit un article concernant ces expériences et il les présenta comme un aveu d’erreur et de regret et cela montre qu’il est possible pour un médecin de reconnaître ses torts et de continuer à vivre sans avoir besoin de se cacher derrière ses avocats.
Mais la plupart des médecins vont dans une mauvaise direction. Celui qui a tué Jessy refuse d’en parler et d’admettre sa responsabilité. De même celui qui dirigea l’expérience de dermatologie avec les prisonniers détruisit tous les documents avant qu’ils ne puissent être examinés par les autorités fédérales.
Il est étrange de le voir, car il est dermatologue très célèbre qui rend la peau lisse et bien qu’il ait 90 ans il a la peau aussi lisse que cette table. Et quand il intervient dans l’université il est toujours traité avec les plus grands honneurs car il est très riche et l’université espère récupérer une partie de ces avantages mais il y a à l’extérieur des noirs avec des banderoles qui rappellent ce qu’il leur a fait en prison.
Parmi les cobayes il y a aussi des héros et des martyrs mais la majorité ne sont ni l’un ni l’autre. L’objectif de mon magazine est de révéler les héros et les martyrs car ils ne sont que très rarement reconnus dans l’histoire de la médecine. Ils sont généralement oubliés dans cette histoire et ils ne sont pas cités à coté des docteurs qui ont fait cette découverte.
Un des grands cobayes romantiques est Alexis de St Martin. On l’a accidentellement blessé d’une balle dans l’estomac en 1822 et le médecin se trouvait à la frange, dans une situation très difficile pour opérer, et le médecin lui sauva la vie mais il ne ferma pas le trou qui allait de l’extérieur jusqu’à l’estomac. Il vécut ainsi durant les soixante années suivantes de sa vie.
Tout ce qu’on sait aujourd’hui sur l’estomac humain vient de ce qu’on a pu découvrir grâce à l’estomac d’Alexis St Martin. Mais l’histoire médicale racontée par les conservateurs consiste à le décrire comme un ivrogne ingrat qui ne méritait pas d’être en présence d’un docteur si illustre.
Il était si pauvre, il voulait rester avec sa famille, voulait amener sa famille avec lui quand on lui faisait l’expérience mais le médecin ne voulait pas payer pour les frais que cela occasionnait. Quelque temps plus tard, le médecin qui lui avait sauvé la vie mourut et Alexis s’associa à un charlatan, qui apparaissait dans les cirques, et ce fut un spectacle de foire ridicule et triste.
Vers la fin de sa vie, sa famille veilla à le protéger pour que son corps ne soit pas utilisé par les médecins et on garda son corps à l’extérieur pour qu’il pourrisse et il fut enterré dans un lieu secret. Sa vie est très romantique car il était un de ces voyageurs du Canada, cherchait des fourrures et était exploité par ses employeurs. J’espère que cela vous donne un aperçu de ce que c’est que d’être un cobaye.