COLSON, Daniel. "L’action directe"

syndicalismeaction directeCOLSON, Daniel

Notion pratique et théorique inventée par le syndicalisme révolutionnaire et l’anarchosyndicalisme, et qui s’inscrit en continuité de la propagande par le fait anarchiste des années précédentes, l’action directe, dans son acception libertaire, embrasse la totalité des activités de l’être humain et de ses rapports au monde. De façon circonstanciée (mais pour l’anarchisme il n’existe que des circonstances), la notion d’action directe fournit ainsi une clé essentielle pour saisir la nature du projet libertaire. Émile Pouget, un des leaders de la CGT française d’avant 1914, en donne la définition suivante :

« L’action directe, manifestation de la force et de la volonté ouvrière, se matérialise, suivant les circonstances et le milieu, par des actes qui peuvent être très anodins, comme aussi ils peuvent être très violents. C’est une question de nécessité, simplement. Il n’y a donc pas de forme spécifique à l’action directe. »  [1]

Ouverte sur l’infini des possibles, « force plastique » et, de ce point de vue, très proche de l’activité générique de Nietzsche ou de l’être univoque de Deleuze [2], l’expérience qui a donné corps à l’idée d’action directe est étroitement liée à la pratique « syndicale » telle que l’anarchosyndicalisme pouvait la concevoir ; ceci à travers deux grandes opérations successives ou simultanées :
1. Une opération fondatrice tout d’abord. Le syndicat révolutionnaire doit impérativement se libérer, par le conflit et la rupture, des pièges symboliques de la loi, de la représentation et de la négociation. Il doit refuser d’être l’« intermédiaire », le « chargé d’affaire des intérêts ouvriers ». [3] Sur le double plan de réalité du mouvement ouvrier et de ses relations avec les autres forces sociales, il doit refuser d’être la « personne interposée » qui, par son statut de « représentant », sépare ce qu’elle prétend unir, transforme le lien qu’elle propose en chaînes et en entraves, interdit toute association directe et toute combinaison effective des « forces physiques, intellectuelles et naturelles » de la classe ouvrière. [4] Refusant de se déployer sur la scène faussement rationnelle, transparente et ordonnée du droit et de la représentation, le syndicat doit non seulement se retirer dans l’« irrégularité », la « diversité » et l’apparente « incohérence » de la « vie ouvrière », mais, pli dans plis, s’inclure et s’impliquer dans sa seule intimité de « groupement autonome ». [5] C’est à cette condition, en raison de l’autonomie de son intimité préservée et de la concentration qu’elle suppose, que le syndicat est à même d’une part de percevoir et de focaliser, sous un certain point de vue, une « vie ouvrière trop complexe dans ses manifestations de détail pour se prêter aux inepties des dirigeants » [6], d’autre part « d’exprimer » cette « vie ouvrière », de devenir la « tribune » et l’« écho » des « préoccupations intimes du travailleur ». [7]
2. « Laboratoire des luttes économiques », selon la formule de Pelloutier [8], agglomérat vivant et vibrant, disposant de la « vitalité » et de l’« influence » correspondant à son « organisme » pour Pouget [9], nouveau creuset alchimique de la révolution sociale pour Griffuelhes [10], le syndicat peut alors, et à cette condition, s’unir et se confronter à d’autres, élargir son intimité singulière à celle de l’ensemble des organisations ouvrières (autres syndicats, coopératives, groupements divers, Bourses du travail, fédérations de métiers ou d’industrie, confédérations, internationales). Grâce à cette union et à cette confrontation, chaque syndicat augmente sa propre force, augmente l’intensité de sa perception de la vie ouvrière, élargit l’acuité et la richesse de son point de vue, pour enfin « faire jour » à la puissance de vie ainsi créée et accumulée, la « développer » au-dehors, jusqu’à la « lutte suprême qui sera la grève générale révolutionnaire ». [11]
Daniel Colson

[1Émile Pouget, L’Action directe (1910), éditions CNT-AIT, s. d., p. 23.

[2Gilles Deleuze, Différence et répétition, PUF, 1968, pp. 52 et suivantes.

[3Fernand Pelloutier, « Du rôle des Bourses du travail » dans Jacques Julliard, Fernand Pelloutier et les origines du syndicalisme d’action directe, Seuil, 1971, p. 41 ; et émile Pouget, op. cit., p. 23.

[4Ibid.

[5Victor Griffuelhes, Le Syndicalisme révolutionnaire (1909), éditions Espoir, s. d., p. 14.

[6Victor Griffuelhes, L’Action syndicaliste (1908), Éditions syndicalistes., s. d., pp. 15 et 16.

[7Ibid., Le Syndicalisme révolutionnaire, op. cit., pp. 29-30.

[8Op. cit., p. 404.

[9Op. cit., pp. 8 et 4.

[10Le Syndicalisme révolutionnaire, op. cit., p. 10.

[11Victor Griffuelhes, ibid., p. 30 ; et Georges Yvetot, A.B.C. syndicaliste (1908), Éditions CNT-AIT, s.d., pp. 39-40.