MANFREDONIA, Gaetano. Unité et diversité de l’anarchisme. Un essai de bilan historique.

Résumé de la communication du 27/10/1999 au Colloque de Toulouse : "L’anarchisme a-t-il un avenir ?"

révolutionMANFREDONIA, Gaetano (1957-....)mouvement anarchiste : histoire

Question : Comment, malgré les changements qui ont eu lieu, le mouvement a-t-il tenu la route ?

Réponse : Parce que le mouvement avait, malgré tout, une certaine unité, même si en fait certains ont vu dans cette diversité un facteur de faiblesse ou de force selon les cas.
En fait, plutôt que de comprendre ce qui s’est effectivement passé, on a mis en relief les aspects partisans qui servaient à l’orientation des groupes. Ce type d’interprétation partiale se poursuit aujourd’hui., notamment par toute une série de thèses qui affirment la disparition d’un soi-disant anarchisme classique, qui se réduirait à l’anarchisme fondé sur le modèle insurrectionnel et la lutte des classes et se recommanderait du communisme.
D’où l’idée de décréter la fin de l’anarchisme classique et un nouveau type d’anarchisme qui ne tiendrait compte ni de la révolution ni de la lutte des classes, donc qui éliminerait le projet traditionnel en vue d’un projet anarchiste vu comme simple revendication de liberté.
Trois points, considérés comme l’essentiel de l’anarchisme avant 1914, doivent être contestés :
1. La nécessité de la révolution
2. L’exclusion du graduellisme
3. Le rôle privilégié des classes ouvrières et paysanne
1. La nécessité de la révolution
Premier point de vue discutable :
Le projet anarchiste est étroitement lié au contexte de plein développement de la révolution industrielle. Crise avec 20e siècle quand la société met en question dès les années 20 et 30 ce projet de changement social, qui devient obsolète. On propose alors d’abandonner le projet de transformation sociale dans les termes définis et d’aborder plutôt l’aspect éthique de l’anarchisme : défense de l’autonomie, de l’autodétermination, de l’individu. Ici aucune référence à lutte des classes, comme si l’autonomie des individus n’était pas quelque chose de social.
Cette analyse orientée correspond à la vision libérale radicale de la société ouverte et donc elle abandonne toute référence historique. La seule chose qui reste à l’anarchiste, c’est de se faire porte parole de liberté. Cette manière tend à faire école et elle est une coupure par rapport au passé.
Quelques réponses :

1er degré : D’une part, il est erroné d’assimiler révolution et idée de violence nécessaire. Il est, en fait très difficile pour le mouvement anarchiste d’accepter l’idée qu’il faut utiliser la violence. Par exemple Proudhon n’accepte jamais la guerre civile, une St Barthélemy, il refuse même de prêcher la grève, qui peut être source de guerre civile.
D’autre part, le choix de la révolution violente n’a toujours été qu’un choix partiel.
2. L’extinction du graduellisme
2e degré : La révolution ne représente pas le seul paradigme de l’anarchisme.
La révolution n’est jamais considérée comme étant incompatible avec des forces progressives du changement social. Par ex. Reclus, révolution résulte d’une certaine évolution. Jamais chez anar idée d’un grand soir qui serait l’aube d’une ère nouvelle.
Joseph Déjacque, porte parole d’une force imaginaire : idéal final de radicalité absolue de liberté, mais aussi nécessité. Il préconise des institutions transitoires, comme la démocratie directe. Donc démarche de type graduelliste
Kropotkine refuse l’idée d’une étape bourgeoise : il faut exproprier la bourgeoisie au lendemain de renversement du pouvoir. Mais il ne dit jamais qu’il faut dès ce renversement établir une société communiste anarchiste.
Les anarchistes n’ont jamais sous-estimé la nécessité d’expérimenter des formes de vie en commun alternatives. Il n’y a pas un seul modèle d’action anarchiste mais plusieurs jusqu’aux années 20 ou 30 :
En réalité, il faudrait propose un nouveau modèle de l’anarchisme qui ne repose pas sur des clivages idéologiques mais sur des clivages d’action. Il y aurait trois modèles d’action qui se détacheraient avant 1914 et jusqu’à nos jours :
1. Le modèle insurrectionnel, privilégie le rôle d’une minorité active dans l’action, qui doit être décisive. Exaltation sans borne de l’action individuelle destinée à exciter les masses ou création d’une force politique suffisamment importante pour défier les forces établies
2. Le modèle syndicaliste : souligne l’importance de l’action collective de la classe ouvrière. Dans cette optique les activités libertaires sont tournées vers l’activité revendicative, en attendant de mettre en oeuvre la grève générale
3. Le modèle " éducationniste-réalisateur " ou expérimental : il pose comme préalable le changement des individus. Formation d’un homme nouveau obtenu au moyen de l’éducation des individus. Pratiques antiautoritaires, savoir, éducation intégrale des enfants au moyen d’institutions indépendantes de l’école de l’Église et de l’État. L’action de l’anarchiste au-delà des divergences de doctrine repose sur des modalités différentes d’envisager le changement social mais aussi qui se complètent réciproquement.
Ces trois modèles d’action ne sont pas mutuellement exclusifs, mais ils se complètent réciproquement. Il ne s’agit plus alors de problèmes d’une faction, mais de questions qui touchent l’ensemble de l’anarchisme.
L’anarchisme est réponse aux problèmes de la modernité, incapacité de la société à répondre à son idéal démocratique. L’anarchisme a su transcender les origines sociales de départ, et se présenter comme modèle alternatif susceptible de convenir à des groupes sociaux très divers. L’anarchisme n’a jamais concédé un rôle privilégié à une classe ouvrière. Donc double exigence de justice et d’égalité.
3. Le rôle privilégié des classes ouvrières et paysannes
L’anarchisme avait fondé sa démarche sur le refus de voir l’État récupérer la classe ouvrière. Celle-ci s’étant produite en partie, les rapports de domination ne peuvent plus être examinés dans les mêmes termes. Et il faut toujours examiner les rapports de domination économique aujourd’hui.
L’anarchisme, sur le plan de l’histoire, doit être regardé non comme un événement transhistorique, fondamental à la nature humaine, mais comme un phénomène historique.